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EAN : 9782290381373
224 pages
J'ai lu (23/08/2023)
4.03/5   343 notes
Résumé :
1835. Gus, un jeune scientifique, est envoyé par le musée d’Histoire naturelle de Lille étudier la faune du Nord de l’Europe. Lors d’une traversée, il assiste au massacre d’une colonie de grands pingouins et sauve l’un d’eux. Il le ramène chez lui aux Orcades et le nomme Prosp.
Sans le savoir, Gus vient de récupérer le dernier spécimen sur Terre de l’espèce. Une relation bouleversante s’instaure entre l’homme et l’oiseau. La curiosité du chercheur et la méfi... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (87) Voir plus Ajouter une critique
4,03

sur 343 notes
Comme ce roman aux avis dithyrambiques figurait parmi les 8 romans sélectionnés pour le prix Renaudot 2022, ainsi que parmi les 6 romans français sélectionnés pour le prix Femina 2022, je ne voulais pas être le dernier des miens à l'avoir lu.

Le roman s'ouvre en 1835 sur la scène de massacre assez insoutenable d'une colonie de grands pingouins. Parmi les marins venus décimer ces animaux pacifiques en période de nidification sur l'île d'Eldey au large de la Finlande, Gus, un jeune zoologiste envoyé par le Musée d'Histoire Naturelle de Lille, assiste impuissant à cette avalanche de cruauté. Par hasard, il parvient cependant à recueillir l'un d'entre eux, qui flottait blessé et meurtri dans les eaux glacées. Un spécimen, peut-être bien le dernier de son espèce, qu'il ramène chez lui et qu'il baptise Prosp…

Malgré une scène inaugurale d'une violence rare, Sybille Grimbert propose un roman introspectif qui raconte la relation touchante entre deux êtres qui s'apprivoisent au fil des pages. Un récit bercé par la solitude. Celle d'un animal dorénavant obligé de vivre loin des siens et de son milieu naturel, mais également celle d'un naturaliste qui pensait initialement s'attirer une certaine renommée en étudiant ce spécimen rare, mais qui finit par remettre en question les certitudes de ses compères et d'une époque qui n'imagine pas encore qu'une espèce puisse tout bonnement disparaître.

« le dernier des siens » est donc d'une part le récit d'une catastrophe écologique, mais surtout un beau roman d'amitié qui invite à réfléchir à notre rapport avec la Nature. Un ouvrage que l'on referme en se rendant compte que l'on vient de quitter Prosp, le dernier représentant de son espèce…
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Envoyé, en cette année 1834, en mission d'observation dans l'archipel écossais des Orcades par le musée d'histoire naturelle de Lille, un jeune zoologue français, Auguste, se joint à des marins partis chasser le grand pingouin – un gibier d'autant plus recherché et lucratif qu'en voie de raréfaction – jusqu'à la petite île Eldey, au large de l'Islande. En vue d'en ramener un spécimen, si possible vivant, au naturaliste qui l'emploie, le jeune homme soustrait un de ces oiseaux, blessé, au massacre systématique que les hommes, ravis de l'aubaine, opèrent sans se poser de questions. le monde est si vaste et d'une telle profusion...


Mais, voilà que l'ayant installé chez lui, à la grande incompréhension des voisins qui s'empresseraient bien, eux, de tordre le cou à cette espèce de poule aux oeufs d'or, Gus, de plus en plus fasciné par son observation du paisible volatile baptisé Prosp, commence à se prendre d'affection pour son pingouin. Au lieu de le ramener à Lille, il décide de se consacrer à son étude, s'installe avec lui aux îles Féroé pour lui offrir une captivité adaptée et, d'année en année, ne cesse d'approfondir un questionnement personnel, encore diffus et totalement atypique pour l'époque, mais qui, pour le lecteur, entre cruellement en résonance avec le présent.


Car, ce dont Gus prend tout juste conscience, avec stupéfaction et en avance sur son temps, c'est que la profusion terrestre n'est pas illimitée et que l'homme, par son activité, est en train d'exterminer d'autres espèces vivantes. Alors qu'il s'emploie de plus en plus désespérément à trouver un congénère pour Prosp, il réalise ainsi que son protégé est réellement « le dernier des siens », et que, n'en déplaise à ses contemporains qui refusent de le croire, les espèces devenues introuvables, comme le dodo depuis bien avant 1700, ne se sont pas simplement réfugiées dans un lieu encore inexploré du globe...


Captivante et touchante histoire d'amitié, même si teintée d'un soupçon d'anthropomorphisme, entre un homme et l'ultime représentant d'une espèce animale – le dernier grand pingouin aurait été tué en 1844 –, ce texte, qui plus est servi par une écriture de toute beauté, met très joliment en perspective, depuis les théories de Buffon, Lamarck, Cuvier et Darwin, jusqu'aux débats contemporains sur la sixième extinction, la prise de conscience par l'homme de l'impact de son activité sur la planète. Bien sûr, premier des siens à réfléchir sur sa responsabilité, Gus est ici davantage un symbole qu'un personnage totalement plausible. Pour se convaincre de son originalité pour l'époque, il suffit de se référer aux hécatombes animales perpétrées lors de ses explorations, exactement à la même période, par le naturaliste Audubon, ainsi que le relate Louis Hamelin dans son tout aussi passionnant Les crépuscules de la Yellowstone.


Sibylle Grimbert signe un fort joli livre, magnifiquement écrit et aussi touchant que ce si gauche et si inoffensif pingouin « aux ailes nanifiées par le bonheur », dont nous n'avons littéralement fait qu'une bouchée. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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La rentrée littéraire, chaque fois, c'est, un peu comme la boîte à livres de mon quartier, le rendez-vous des espoirs déçus et des découvertes inattendus.
Que dieu me savonne, et que Bernard Pivot me pardonne.
Que de papier gâché, de quatrièmes de couvertures introspectives et de phrases ennuyeuses promises au pilon !
Déjà, le départ de la course aux prix vient de retentir, et la littérature, semble y être confisquée par quelques notables de la lettre, paraît n'être plus que le refuge des sempiternelles même plumes devenues aphones à force de n'avoir plus rien à dire ?
Serait-il "le dernier des siens", le livre qui aurait une belle et tragique histoire à raconter ?
Sibylle Grimbert a trouvé son inspiration sur un rocher désolé au large de la péninsule de Reykjanes, au sud-ouest de l'Islande.
Elle a été y chercher ses personnages.
Une chance qu'elle en fût revenue à temps pour participer à cette nouvelle et prometteuse rentrée littéraire !
"Le dernier des siens", paru aux éditions "Anne Carrière", est la belle surprise de cette rentrée littéraire.
C'est un récit original, profond et touchant.
C'est un beau récit qui nous concerne, qui parle à notre humanité et questionne nos rapports à l'animal.
Sur Eldey, rocher abrupt islandais battu par les vents, deux colonnes en mouvement se dirigent l'une vers l'autre.
Puis soudain c'est le massacre, rapide, violent comme toujours lorsque l'humain s'en mêle.
Une des dernières colonies de grands pingouins, peut-être la dernière, vient d'être décimée.
Un seul a pu survivre, meurtri, blessé, qui a été recueilli, une aile cassé, par Auguste.
Auguste travaille pour un naturaliste du Muséum d'Histoire Naturelle de Lille.
Le pingouin, quand à lui, répondra désormais au nom de Prost.
Quelque chose de profond et de solide va se nouer entre les deux êtres ...
Sybille Grimbert aurait pu se contenter de raconter une belle amitié qui aurait serré le coeur, et ravi tout à chacun de ses lecteurs.
Mais, en même temps que de raconter une histoire touchante, Sybille Grimbert s'est mise en tête de se questionner, de nous questionner ...
Et son livre prend alors une toute autre dimension de s'être élargi ainsi.
Car elle vient dans cet ouvrage intelligent et sensible toucher de sa plume la destinée tragique de la race de ce pingouin aujourd'hui disparu bien sûr, mais aussi de celle d'Auguste, l'humain qui fût son ami.
Car qui des deux a vu le vrai monde ?
Sybille Grimbert, enfin, lâche l'affaire de la fameuse supériorité confiée à l'homme mais sans pour autant sombrer dans les travers d'un animalisme primaire.
Sa réflexion est profonde, bien menée et juste.
Ce livre est tout bonnement la bonne surprise qu'il faut lire dans une rentrée littéraire avec laquelle j'ai un peu joué au début de cette chronique ... trop peut-être ... quoique ...
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-Ohé, il y a quelqu'un ?
-…
Non, le problème c'est qu'il n'y a plus personne.
Gus a beau arpenter la terre à la recherche d'un compagnon pour Prosp, son grand pingouin, force est de constater que les pingouins semblent avoir été rayés de la carte. de grand pingouin point.
En 1835, Gus, jeune assistant du naturaliste du musée d'histoire naturelle de Lille, est missionné pour leur rapporter un spécimen de grand pingouin mort ou vif.
Gus embarque sur un bateau en partance pour l'île d'Eldey, au large de l'Islande, à la recherche du fameux spécimen. Gus assiste, dans une relative indifférence, à une boucherie féroce perpétrée par les marins, sitôt le pied posé sur l'île. le massacre des pingouins, qui tentent vainement de protéger leurs oeufs est total, tous sont méthodiquement exterminés, oeufs compris.
Par un heureux concours de circonstance, Gus réussit à capturer une des rares pingouins ayant réussi à s'échapper en se jetant à l'eau (c'est le pingouin qui s'est jeté à l'eau, pas Gus). Gus repart sur les Orcades, son précieux butin bien vivant sous le bras, bien décidé à l'expédier en France, et d'accélérer sa carrière par la même occasion.
Une relation inattendue va alors se développer entre Gus et le pingouin baptisé Prosp, l'animal sauvage va être petit à petit domestiqué, et une relation de confiance va s'établir entre eux.
Le doute va alors s'immiscer dans l'esprit de Gus, de moins en moins décidé à voir son pingouin finir empaillé dans un musée…
La première partie du livre est celle que j'ai trouvé la plus intéressante avec la description des moeurs et des croyances de l'époque ; les scientifiques n'ont pas encore élaboré l'idée d'une possible extinction des espèces par les actes des hommes, ni leurs conséquences pour la planète. le mécanisme d'apprivoisement mutuel, qui se met en place petit à petit entre Gus et Prosp, est très réaliste et bien décrit, et le lecteur devient le témoin de cette entente hors-norme.
Malheureusement, après ce démarrage prometteur, mon intérêt est allé ensuite decrescendo. Gus part aux îles Féroe, et à partir de là, le récit tourne en rond, puis à vide, dans la dernière tentative de Gus de trouver des congénères à Prosp.
Ce roman, s'il permet d'éveiller les consciences sur les dégâts irrémédiables causés par l'homme sur la planète, s'est avéré à mon gout un peu trop gentil, fade, répétitif tout particulièrement sur la fin. Sybille Grimbert et Gus ressassent en boucle la disparition des espèces, et il m'a manqué des idées nouvelles, un souffle pour repartir sur la fin de la lecture, ou une mise en perspective avec nos connaissances et projections actuelles.
Malgré ces bémols, c'est une lecture qui peut très bien convenir par exemple à un public adolescent sensible à la cause environnementale, et permettre une première prise de conscience sur les impacts irrémédiables de nos actes sur la planète.
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Bye-bye, les oiseaux que j'aimais,
ça se vide dans les rues.
Bye-bye, rendez-vous à jamais,
Les espèces disparues.

C'était une vaine espérance,
C'était une ultime errance,
Et le dernier grand pingouin est tombé…

Eddy, eh dis, c'est le dernier, le dernier billet de l'année.
Le dernier, demain c'est le dernier, le dernier jour de l'année.
On va tourner la page, et rester sage, même si on a la rage,
et on va continuer à faire semblant, pour faire sans blanc.
Faut pas s'arrêter, de s'agiter, pour ne pas entendre le silence,
cher à Rachel, car sonne l'heure de la sixième extinction.
Mais non, pas encore, il reste du temps, fais un effort et attends.
Combien de jours et de nuits, ça fait combien de dodos ?
Ah, euh, y'en a plus, désolé, eux aussi ont disparu…

Alors, comme ça, il est parti, il a quitté la banquise, il avait vachement chaud.
Mais pas du tout, c'était il y a presque deux siècles, il faisait encore très froid.
Alors, il a chuté sur la glace, il s'est luxé les pôles, surtout le nord.
Encore non. Au nord, y' avait les cor – mourants, un massacre, une hécatombe, une opération bébés phoques avant l'heure, mais c'est pas pour la graisse, qu'ils l'agressent, le grand pingouin, c'est pour la chair et les oeufs, ils ont fait comme chez eux, les pêcheurs, comme avec les crabes ou les bulots, c'est facile et ça peut rapporter gros, on assomme et on ramasse, en somme on fait d'la place, mais c'est pas du boulot.

« Quand les tueurs se relevaient, ils emportaient les pingouins flasques, la tête coincée dans leurs poings, les jetaient sur un tas, et l'on pouvait distinguer les deux taches blanches entre leur bec et leur oeil, comme des papillons posés sur la charogne ».

Lorsqu'il était sur la grève, il se mettait en pause, comme s'il faisait grève, en mode ponte et couvaison, quand c'était la saison. Il était maître-nageur, très à l'aise en plongée, mais faire un casse, fallait pas y songer, aucune menace, il était piètre voleur. Et c'était bien là son drame, aucune échappatoire, quand le crime se trame, direct à l'abattoir. Incapable de fuir, avec ses ailes atrophiées, trop facile de lui nuire, y pouvait pas s'méfier.
Erreur de la nature, qui fait parfois des ratures, car rester sur le bord l'a condamné à mort. Les pêcheurs avaient péché, et à trop se gaver, ne purent se faire pardonner. Instaurer des quotas, ça n'existait pas, vu qu'il n'était pas le roi des airs, ce devint le désert.
Et les manchots, me direz-vous ? Ils eurent plus de chance à l'autre pôle,
« on dirait le sud, le temps dure longtemps, et la vie sûrement, plus d'un million d'années.. »

Sibylle Grimbert, sous couvert d'un récit romancé, nous conte l'histoire du dernier grand pingouin, ou présumé tel. La relation qu'elle invente entre l'ultime oiseau plongeur et un scientifique humain rêveur, aux fabuleuses îles Féroé, lui permet de construire une aventure poétique, une quête de l'extrême, en essayant de repousser la mort, la disparition qui signifie l'extinction d'une espèce animale.
Entre l'homme Gus et l'oiseau Prosp naît une complicité qui prend des proportions absolument inédites. Comme pour le vieux Bolivar et le jaguar amazonien de Sepulveda, comme pour le vieil homme et le poisson d'Hemingway, la dualité qui s'instaure entre les deux protagonistes, l'humain et l'animal, est si profonde qu'elle annihile toute rationalité et élude la moindre explication scientifique. Nous sommes ici dans l'allégorie de l'homme face à son destin, une espèce qui s'éteint et tout le monde chavire.

Elle régresse
Son espèce,
N'est plus prospère
Et désespère.
En détresse
Elle cesse,
Et Prosp'erre…
Dans l'amer !

Une bonne dizaine d'années de complicité réciproque, avec des départs et des retours, chercher les siens, retrouver l'humain bienfaiteur, une quête désespérée, jusqu'au bout du destin.

« Un instant, en se souvenant de Prosp, Gus pensa qu'il aurait aimé lui expliquer ce qui lui arrivait, à lui, le grand pingouin. Il se serait excusé de l'avoir mis dans cette situation d'être encore vivant quand tous les siens avaient disparu ; il se serait excusé de ne pas lui avoir trouvé une compagne quand cela était encore possible, de l'avoir ainsi transformé en ce vieillard irascible qu'il était devenu et qui, pour le punir, l'avait quitté ».

C'était bien sûr sans issue, une relation vouée à l'échec, à une époque où l'on ne pouvait envisager l'extinction d'une espèce.
Domestiquer pour sauver, je ne peux m'empêcher de penser à l'oeuvre de Gérald Durrell, le naturaliste britannique frère de l'autre, dont l'enfance à Corfou le fit plus tard regrouper en un « zoo » à Jersey les espèces menacées qu'il découvrit lors de ses voyages naturalistes.
C'était un siècle plus tard, à mi-chemin entre le dernier grand pingouin et le monde actuel.
Cinq décennies ont passé depuis le décret de protection des rapaces, les vautours repeuplent le ciel des causses, des espèces ont été sauvées.
On a enfin compris qu'il faut préserver le milieu naturel pour maintenir la biodiversité. Il semble qu'on s'y soit pris très tard. Trop ?

Ce petit livre est un appel à reconsidérer notre rapport au vivant, une touchante douceur dans un monde de brutes.
Une magnifique façon de finir l'année, avant de changer le calendrier.


Il s'est taillé le grand pingouin
Un costard noir et vêtement chaud.
Tu ris, carnage des gros sagouins,
Plus la peine de faire d'exquis mots...

Prosper, yop la
BOUM !
… ce fut le dernier des siens.
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critiques presse (2)
LaLibreBelgique
29 décembre 2022
Magnifique récit par Sibylle Grimbert d'une amitié entre un homme et le dernier grand pingouin.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeFigaro
06 octobre 2022
Magnifique récit d’une symbiose entre l’homme et l’animal.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (88) Voir plus Ajouter une citation
Mais non, le dodo a été une exception, un accident ; les animaux ne disparaissent pas, pensa-t-il aussitôt. La terre n'est que profusion. Certes, jadis, les mammouths, les mégalonyx-cet énorme paresseux, de la taille du mastodonte- s'étaient éteints. Certes, les bêtes se transforment sans doute, les catastrophes les tuent ou, parfois, parce que les conditions autour d'elle changent, une espèce devient plus adroite et prolifère quand une autre s'amenuise. Mais la nature, si bien huilée, si équilibrée, empêche la fin de ce qui n'est pas nuisible à l'homme. Et d'ailleurs la terre est si vaste que, peut-être, quelque part au milieu du Pacifique, ou dans les pôles gelés, sont cachées les espèces que l'on pensait mortes.
(p.94)
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Pendant les premiers temps de cette existence, il arriva à Gus de se demander qui, de lui ou de Prosp était l'être humain ou le pingouin, il voulait dire : c'était comme si, à force d'être en tête-à-tête et d'avoir des habitudes communes, ils avaient créé une espèce hybride, une chimère d'oiseau marin et d'homme. D'ailleurs, lorsqu'il se regardait dans son miroir, Gus ne se reconnaissait plus tout à fait : sa barbe et ses cheveux avaient poussé et, à part son front, ses oreilles, ses mains et le haut de ses joues, quand il était habillé, plus aucune peau humaine n'apparaissait. Prosp, quant à lui, ne se reconnaissait pas dans un miroir et, faute de semblables, devait ignorer son aspect extérieur.
(p.160)
Commenter  J’apprécie          230
Alors Gus se procura l’édition anglaise, la seule disponible, de Lyell. C’était bouleversant, novateur, prodigieux. Le sous-titre des Principes de géologie disait tout : Une tentative d’expliquer les changements de la surface de la Terre par des causes opérant actuellement. Pour ce qui était des espèces, Lyell voyait différentes explications à leur disparition : la modification de leur milieu naturel (par là il ringardisait Lamarck, qui croyait en l’adaptation heureuse, l’amélioration en fait) ; la compétition avec une autre espèce ; et l’homme, qui se débarrassait, comme toujours, des animaux nuisibles, mais dont, en plus, l’accroissement de la population induisait la réduction, voire la destruction de certains animaux. Ainsi parlait-il de l’émeu, qu’il croyait en danger. Ce processus, en réalité, ne le dérangeait pas beaucoup, pour lui tout cela était naturel, répondait à une loi naturelle. C’était aussi indépassable que la mort, contre laquelle on ne peut rien. En un sens c’était la vie, aurait pu dire Gus, et cette idée donnait à l’ensemble une couleur pessimiste, résignée et brutale.
Quand il répondit à Kroyer, il lui fit part de son problème personnel : « Aucun des mécanismes de la disparition chez Lyell ne s’applique au cas précis des grands pingouins. Ni le climat, puisque son milieu n’a pas évolué et qu’il y a moins de vingt ans, dans la même configuration géographique, ils étaient nombreux. Ni la compétition entre animaux, puisque j’ose dire qu’il n’a pas d’ennemis, qu’aucun phoque, aucun macareux n’a besoin de son territoire ou de batailler avec lui. Reste l’homme : mais en quoi les grands pingouins, qui vivent loin de nous, nous nuiraient-ils ? Je ne vois pas. Alors, se pourrait-il que nous, êtres humains, ayons commis une erreur ? »
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Il ne s’agissait pas de ce que Gus avait fait, et pourtant il était responsable, puisqu’il était humain. Comment le dire ? Gus aurait mieux surmonté la disparition du grand pingouin s’il avait pu accuser un volcan, ou les orques, ou des ours blancs. Mais cet oiseau mourrait d’avoir été la matière première de ragoûts, de steaks noirs, d’huile qui n’était même pas meilleure que celle des baleines.
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Sur la plage où [il] se rendait seul au crépuscule, il essayait d'embrasser la mer jusqu'à l'horizon, le plus loin possible. Le désert, croyait-il, devait ressembler à la mer; ce vide, ou ce lieu plein d'une matière qui n'était pas faite pour l'homme, cet espace qui se fichait complètement que l'homme s'y trouve à l'aise ou pas le transperçait. Au sens propre puisqu'une sorte de flèche s'enfonçait en lui, comme elle l'aurait fait avec un ballon, dégonflant sa peau, la laissant tomber au sol, pauvre chose devenue tout à coup inutile.
À cet instant, il se sentait plus léger qu'un pollen, insignifiant et absolu en même temps. Il savait qu'il appartenait à cet univers à l'instar du caillou à droite de sa chaussure qu'il n'aurait pu différencier d'un autre à trois mètres; de la vague au loin, qu'il était certain de voir se reformer ailleurs, alors qu'il s'agissait sans doute d'une tout autre vague, ou du brin d'herbe sur la colline, qui se confondait avec les autres brins d'herbe et pourtant était sans doute unique. Soudain, l'être humain n'avait plus d'importance dans ce monde qui respirait seul, de lui-même, de cet univers indifférent à sa présence, qui existait avant qu'un être humain ne le regarde et qui continuerait après. Ni plus ni moins important qu'un copeau parmi des milliards de copeaux, il n'était plus rien, plus rien qui eût un nom, une corpulence, une odeur, des habitudes, des goûts, une individualité changeante. Et bizarrement il se sentait plus libre, rassuré d'être identique à la vague, de tenir compagnie à la mouche qui volait sur le sable noir, plus fort de discuter, infime, modeste et égal à toutes choses, avec cet univers infini qui ne lui répondait pas.
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Effractions : le podcast #17. Valérie Chansigaud parle du Dernier des siens de Sibylle Grimbert Dans cet épisode d’Effractions : le podcast, Valérie Chansigaud, historienne des sciences et de l’environnement, évoque les thématiques abordées dans le livre de Sibylle Grimbert, Le Dernier des siens (2022). Dans ce roman, l’autrice raconte la rencontre entre un jeune scientifique et son grand pingouin pour interroger l’extinction de cette espèce au 19ᵉ siècle.
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