AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de HordeDuContrevent


En commençant ce livre, je n'ai pu m'empêcher de penser à l'une de mes grands-mères qui me disait toujours dans un soupir mélancolique « si seulement je pouvais avoir de nouveau ton âge en sachant tout ce que je sais…». Avoir le don de prescience, pouvoir rejouer sa vie tout en gardant intacts les souvenirs des joies et des peines, des succès et des échecs, la connaissance des tenants et aboutissants de tous nos choix ainsi que celle des grands événements de l'Histoire…et bien entendu des petits événements tels que résultats sportifs, ou encore succès d'entreprises dans lesquelles investir. Tel est l'objet de ce livre qui peut, à première vue, sentir le réchauffé, le déjà-vu. Pourtant Ken Grimwood nous emporte totalement dans cette histoire menée tambour battant.
Impossible de ne pas penser au film « Un jour sans fin » sauf qu'au lieu d'avoir la répétition sans fin d'une journée c'est tout une tranche de vie qui se rejoue, entre 1963 et 1988 exactement, des 18 ans du protagoniste à ses 43 ans. 1963…hé oui, impossible également de ne pas faire le parallèle avec le 22/11/63 du grand Stephen King et d'ailleurs, lors de la première répétition, notre homme va tenter tout naturellement de déjouer l'assassinat du Président Kennedy. le clin d'oeil est indéniable et malicieux.

Jeff a 43 ans. Il mène une vie triste et insipide avec sa femme Linda. Alors que cette dernière est en train de lui parler au téléphone, conversation qui montre à quel point leur mariage prend l'eau, Jeff meurt d'une crise cardiaque…Mais se réveille 25 ans plus tôt dans sa chambre d'étudiant. Stupéfait, il réalise peu à peu ce qui est en train de se passer, il prend conscience qu'il a conservé tous ses souvenirs et qu'il connait par avance tout ce qui va se passer. Son esprit et sa maturité d'homme de 43 ans dans ce corps jeune et virile de 18 ans…De nouveaux espoirs émergent. de répétions en répétitions, de replay en replay, il va tenter d'être milliardaire, ou encore de vivre l'amour le plus passionné imaginable, ou bien d'avoir une vie totalement débridée emplie de sexe et de drogues, ou encore de faire le bien, qu'importe puisqu'il a une quantité infinis d'essais. Essais sans fin, le cours de sa vie prend l'apparence d'un mandala, d'une roue, d'un cercle concentrique dont les roulements incessants donnent le vertige. Mais est-ce vraiment sans fin ? Et quelle est l'explication de ces répétitions ? Est-ce pour s'améliorer, un peu à l'instar de la réincarnation dans la religion bouddhiste ? Est-ce un projet divin, ou un projet extraterrestre ? Une bénédiction ou, au contraire, une malédiction ? Une explication d'ordre physique, comme une courbure dans le temps ? Et pourquoi ?

« le futur : des épidémies atroces, une révolution dans les attitudes sexuelles suivie de sa réaction, triomphe et tragédie dans l'espace ; les rues de la ville hantées par des punks au regard vide, bardés de cuir et de chaînes, leurs cheveux en épis roses ; des rayons de la mort en orbite autour d'une planète polluée, en train d'étouffer…Bon Dieu, se dit Jeff avec un frisson, de ce point de vue, son monde avait tout l'air d'un cauchemar de science-fiction. A bien des égards, la réalité à laquelle il s'était habitué ressemblait plus à des films comme Blade Runner qu'à la naïveté ensoleillée du printemps 1963 ».

Ce livre m'a donné le vertige. Car à chaque replay, je me disais que là où était mort Jeff, la vie continuait, ses obsèques avaient lieu, son épouse et ses amis le pleuraient, le nouveau replay le séparant de 25 ans désormais d'une vie parallèle possible … Plusieurs versions des gens entourant Jeff dans des vies parallèles toutes distantes de 25 ans, chaque existence poursuivant son propre cours depuis 1988, vous me suivez ? Autre réflexion liée à la précédente, tous les efforts menés, les créations réalisées, les enfants engendrés disparaissent, du moins dans la nouvelle réalité dans laquelle Jeff est projetée…mais existent dans un monde parallèle…Voilà, entre autres, le genre de réflexion que j'avais sans cesse. C'est vraiment le genre de livre qui obsède toute la journée alors que nous faisons tout autre chose et que nous nous réjouissons de reprendre dès que nous avons cinq minutes devant nous, et cerise sur le gâteau, pour ne pas nous faire tourner en bourrique avec les répétitions des répétitions, l'auteur instille une magnifique histoire d'amour permettant de rendre les personnages très attachants et l'histoire profondément humaine. Notre coeur de lecteur et notre tête sont totalement chamboulés !

« Toi et moi, Arjuna, avons vécu de nombreuses vies.
Je me les rappelle toutes. Tu ne te souviens pas ».
Bhagavad-Gita


Le style est fluide, agréable, bien adapté à l'histoire. le livre est hypnotique au point de ne pouvoir le lâcher, curieux de savoir quel est le replay suivant et ce qui va se passer. Quelques passages plus poétiques permettent de donner des ambiances particulières à chaque répétition (il y a même quelques passages poétiques présents dans plusieurs replay tels des fils directeurs, je vous laisse le soin de les découvrir si vous lisez ce livre). Ken Grimwood a un sens certain de la narration.

« le vent de mars, au large de la baie de Chesapeake, transformait la pluie fine en brume glacée, arrêtait les gouttelettes dans leur chute et les rabattait en rafales, formant comme des paquets d'embruns au-dessus des moutons blancs de la baie agitée. L'imperméable de Jeff lançait des reflets noirs brillants dans la brume qui noyait tout ; la bruine glacée qui piquait sa peau puis glissait sur des joues le revigorait ».

Surtout ce livre, qui a déjà trente ans mais qui n'a pas pris une ride, a une véritablement portée universelle car il interroge avec subtilité le sens de toute vie, l'influence de notre petite histoire individuelle sur la marche de l'Histoire. Il est impossible, en le lisant, de ne pas revenir sur notre propre vie, nos propres choix, impossible de ne pas se demander ce que nous ferions, nous, si nous pouvions revenir 25 ans plus tôt avec nos connaissances actuelles…Et je me rends compte avec tristesse, à chaque fois que ma grand-mère me disait son sempiternel regret, pas une fois je n'ai pris le temps de lui demander ce qu'elle aurait fait, elle, de toute cette précieuse prescience…

« Les vieillards, surtout, le fascinaient : leurs regards pleins de souvenirs lointains et d'espoirs perdus ; leur corps voûté comme en prévision de la fin des temps ».

Merci à Christophe (@Christophe_bj) qui m'a donné envie de découvrir ce livre !

Commenter  J’apprécie          10359



Ont apprécié cette critique (101)voir plus




{* *}