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Critique de LaBiblidOnee


Mississipi, Sud des Etats-Unis dans les années 1980. Une ségrégation raciale pas tout à fait abolie dans les mentalités, de la bière pas chère qui coule à flot. Deux fermiers blancs rejetés par une femme, qui pour compenser violent une fillette de dix ans. Une « négresse ». Par chance, ces coupables sont rapidement arrêtés. Mais à l'audience préliminaire, le père de la fillette craint qu'une population majoritairement blanche ne condamne pas assez sévèrement un crime sur une noire ; alors il venge lui-même sa fille en tuant les deux coupables, puis se laisse arrêter.


Dans l'Etat du Mississippi à cette époque, la prison punit le viol, mais c'est la peine de mort qui punit les assassinats. Tout l'enjeu de ce thriller juridique sera donc le procès du père vengeur, avec ce qu'il soulève de grandes questions de société pour le lecteur : D'une part, le débat sur la peine de mort mérite toujours d'être relancé. D'autre part, et surtout, peut-on impunément se faire justice à soi-même, puis demander la clémence du système judiciaire chargé de juger notre propre crime?


Mais Grisham ne s'arrête pas là. En choisissant d'insérer son histoire dans le contexte post-ségrégationniste, il ajoute la question de l'influence de la couleur sur le verdict. Un noir sera-t-il plus sévèrement condamné qu'un blanc pour le même crime ? La réponse dépendra du jury populaire… Or, on juge désormais un noir ayant tué deux blancs, dans un comté majoritairement blanc.
Cerise sur le gâteau, pour être tout à fait exhaustif, Grisham n'omet pas d'ajouter à l'équation déjà complexe une donnée qui fait partie intégrante de cette époque : L'activité flamboyante du Ku Klux Klan, qui fait pression sur l'opinion publique, les jurés, l'avocat de la défense…


Avec tout ça, l'avocat parviendra-t-il à le faire échapper à la chambre à gaz ? Comment, dans un tel contexte, rendre une justice à la fois équitable et dépassionnée ? Vous n'aurez la réponse que dans les toutes dernières pages, après avoir subi toute les péripéties d'un bon thriller juridique.


*****

Non Coupable, c'est comme ça que l'avocat voit son client d'un point de vue moral, et c'est comme ça qu'il doit le faire percevoir au jury populaire… blanc. Mais dans la mesure où il ne fait aucun doute matériel que l'accusé a commis les faits reprochés, il doit trouver une échappatoire légale pour sa demande d'acquittement.


Comme à son habitude, John Grisham prend le temps de poser les faits et le contexte historique, puis de les confronter aux règles juridiques et procédurales. Il enrobe le tout de personnages bien brossés, aux convictions très diverses, qui vont donner au roman tout son relief. Leurs différentes opinions s'affronteront qui donneront au lecteur la possibilité de forger sa propre conviction (coupable ou pas, pour ou contre la peine de mort, verdict)…


Pour ma part, j'ai vivement (et virtuellement) débattu avec l'avocat ; car si je comprends que les circonstances puissent faire naître l'empathie et amènent à demander une sanction adaptée (c'est le rôle de l'avocat), je trouve son idéologie personnelle contradictoire et insensée.
Par exemple, peu importe la couleur de peau de la victime et de l'accusé, je ne cautionne pas, contrairement à lui, le principe d'encourager un père à venger sa fille (encore en vie) en tuant deux hommes en passe d'être jugés pour ça, puis en demandant qu'on épargne sa propre vie à lui dans un procès en bonne et due forme.
De même, j'ai trouvé pour le moins étonnant l'avis personnel de l'avocat sur la peine de mort : il prône son application, mais pas aux cas comme celui de son client, dont l'assassinat reproché serait « justifié » par le crime premier. Ce raisonnement n'a aucun sens pour moi : Concernant les faits, est-ce à dire qu'on légalise le crime et que tuer pour venger, en faisant fi de la justice, est une réponse acceptable ? Concernant la loi, comment peut-on accepter d'un Etat qu'il tue au nom du peuple alors qu'il lui interdit de tuer ? Soit tuer est bien, soit c'est interdit. Et dans ce dernier cas l'Etat doit, selon moi, montrer l'exemple.


Et voilà comment Grisham parvient naturellement à nous impliquer dans le roman et à nous faire participer aux débats !
En exposant les arguments de ses personnages, l'auteur les met en balance - celle de la justice - durant toute la préparation du procès, afin que ce dernier puisse aboutir à une sanction proportionnée à la faute. Dans le même temps, la tension monte hors du palais, la population s'enflamme pour ses idéaux.
Et même si la juriste en moi attend avec impatience le déroulement du procès proprement-dit, j'aime les romans de Grisham pour ce foisonnement préalable d'atmosphères pesantes et d'informations, qui nous immerge dans le décor, crée le débat et maintient le suspense jusqu'au bout.


Alors qu'en pensera le jury ? Jusqu'à la dernière page, nous nous perdrons en conjecture du fait de tous les paramètres à prendre en compte. La composition du jury, exercice auquel nous nous prêterons avec les protagonistes, ne sera pas pour rassurer la défense…
Lorsque le procès arrive pour de bon en fin de roman, la pression qui n'en finissait pas de monter a atteint son apogée : la ville se trouve littéralement à feu et à sang. En tant que juré, comment peut-on rendre un verdict en son âme et conscience dans ces conditions ? Vous devrez attendre les toutes dernières pages pour le savoir.
Et si j'ai craint que le verdict, quel qu'il puisse être, ne paraisse fade comparé à son attente et aux péripéties, j'ai en réalité beaucoup aimé le symbolisme de cette fin, dont la réponse est une magnifique parabole d'un élément phare de la représentation féminine de la justice. Vous y repenserez peut-être à la fin de votre lecture…


Au total, je loue une nouvelle fois la plume imagée de John Grisham, qui laisse entrevoir chaque personnage à la fois de l'intérieur mais aussi du point de vue (parfois ironique) du narrateur omniscient ; ses descriptions de l'impressionnante machine judiciaire, lui qui a pratiqué le droit avant d'écrire et en connaît par coeur les rouages, les forces et les faiblesses ; et son pouvoir d'évocation de l'Amérique profonde, celle qui fait tout le charme des romans américains que j'affectionne tant : on sent le soleil, la poussière, l'alcool et le tabac, on voit les séquelles de la ségrégation, la survivance du KKK, on ressent les tensions, les grands espaces et la recherche des limites. Il s'agit de son premier roman, pas celui dont le procès en lui-même m'a le plus marqué, et il souffre de quelques minuscules répétitions ; mais c'est un excellent cru pour sa performance d'ensemble : l'histoire, les débats divers, l'ambiance, les personnages… L'auteur de la firme, l'affaire pélican, le maître du jeu (très beau procès) et bien d'autres, a encore de bien belles heures de lecture à m'offrir. Il est - et demeure - ma valeur sûre !
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