POÈME EN DÉLIT DE SOLIDARITÉ
Extrait 2
Ce sont vos visages, vos noms inconnus
Vies perdues sans traces
Dans le piège liquide de la mer
Au large de Tarifa
Ou près du fleuve Évros
Tirons par la manche
Les souvenirs cerbères & potentats
Fils d’Agar
Fils d’Énée
Et dans ce qui reste du jour
Offrons-leur la bourse emplie de terre
Que les princes de Byzance attachaient à leur ceinture
Pour se rappeler qu’ils étaient pétris
De la même boue que les autres hommes
& promis à la même poussière.
//Jean-Baptiste Para
NE RIEN DIRE
4
Ne rien dire
caresser la surface de l’eau d’une main rêveuse
Ne rien dire
respirer l’air chaud mêlé de crème solaire
(Eux ils sentaient l’odeur répugnante des barbares excités
par le sang)
Tu te plains souvent :
du clapotis de l’existence
De l’ennui des repas à heure fixe
de la monotonie
(Eux ils ont été dévorés par les bouches de cuir dans un
terrible crissement de soufflet)
Ne rien dire
tuer le temps
Ne rien dire
sidérer le silence
(Eux ils n’ont pas eu le temps de saluer la vie avant de partir)
// Laurent Grison (17/10/1963 - )
NE RIEN DIRE
1
Ne rien dire
écouter le grondement de la houle
Ne rien dire
compter les coques fracassées par l’orage
(Eux ils percevaient les bruits de fluctuation les cris
les épanchements thoraciques les râles)
Ne rien dire
scruter l’horizon
Ne rien dire
plisser les yeux
(Eux ils voyaient de grandes vagues noires menacer
le ciel)
Ce que tu dois faire :
oublier ceux de l’autre rive
effacer tes idées en tête
dissoudre tes idées en corps
(Eux ils croyaient revenir un jour le jour d’après
d’après quoi ils ne savaient pas)
// Laurent Grison (17/10/1963 - )
NE RIEN DIRE
2
Tu ne veux plus entendre l’écho
des lames de fond
qui chassent le sommeil
Tu ne veux plus marcher sur la peau des disparus
collée aux brisants dont les mots délavés
pleurent les sans nom
Tu ériges un monument
avec une petite boîte en carton vide
tu écris À la gloire du noyé inconnu
La conscience vaguement apaisée
tu t’éloignes de la digue
et ne penses à rien d’autre qu’au soleil
// Laurent Grison (17/10/1963 - )
NE RIEN DIRE
3
Des touristes au ventre rouge et blanc
allongés sur les transats bleus d’une plage privée
regardent nonchalamment la mer
Un yacht s’éloigne du rivage
c’est beau s’extasie un homme
bon vivant qui aime les voyages
Une petite veste d’enfant rose
déchirée et gonflée d’algues
flotte près de la jetée
Une femme aux seins nus écrase un mégot dans le sable
et marmonne d’une voix dégoûtée
que les gens sont sales
// Laurent Grison (17/10/1963 - )