Je sais qu'elle veut m'épargner en ne me racontant pas tout en détail, mais cacher la vérité c'est ce qu'il y a de plus mauvais dans la vie. Je ne comprends pas que des parents ne saisissent toujours pas ça, alors qu'on ne cesse de le répéter à la télé, dans les journaux, partout.
C’est ça d’avoir une mère emprisonnée. Détenue, séquestrée ou incarcérée si on préfère, même si ce dernier mot, moi je ne le dis pas. Il me fait penser à « encastrée ».
Encastrée dans une voiture accidentée et dont on ne peut pas sortir. Encastrée dans un train dont les wagons sont pliés en accordéon. « Séquestrée » non plus si j’y pense, ce n’est pas le mot que j’utilise. Ni « détenue » ni « écrouée » ni « emprisonnée ». D’ailleurs je n’en parle pas.
« Dans une prison, tu passes ta vie à attendre. Ce n’est pas pour rien que ça s’appelle aussi « maison d’arrêt ». Le temps, le corps s’immobilisent. »
L'absence de ma mère, je l'ai très bien supportée car je n'ai jamais connu autre chose. Rien ne peut nous manquer qu'on n'a pas déjà possédé.
je dirais qu'on ne retient que les échecs, les erreurs de parcours. Personne n'est là pour compter le nombre de fois où on a traversé au vert sans se faire écraser. C'est injuste.
Ma sortie de prison
J'avais deux ans quand je suis sortie de prison. À cet âge, la loi oblige les bébés à quitter leur mère pour aller vivre dans leur famille ou à la DDASS pour ceux qui n'en ont pas.
Je ne garde bien sûr aucun souvenir de cette période. Il parait que j'ai fait mes premiers pas dans la cour, que j'ai vomi sur un ministre venu faire des promesses qu'il n'a pas tenues, que les femmes se battaient pour changer mes couches, donner mon biberon, me chanter des berceuses, me boucher les oreilles quand la grosse sonnerie retentissait, me cacher les yeux quand une dispute éclatait entre deux détenues. Je passais ma vie comme ça, de bras en bras, de petits surnoms en petits surnoms : Bandiya, Voyouse, Filoute, Pirate...
De retour à la maison, mon interrogation a évolué. Si je vomis dans Space Mountain, comment je vais tenir le coup le jour J ? Il faut que je me développe des nerfs d'acier. Prendre un serpent dans la main, par exemple. Faire cent pompes en souriant. Regarder un film d'horreur. Accoucher une vache. Quoi d'autre encore ?