Poète, écrivain, traducteur et commentateur de textes bibliques, directeur de publication chez Nrf Gallimard, étonnamment peu connu du public, Jean Grosjean est pourtant une figure majeure de la littérature du XXème siècle.
Édité en 1969 sous le titre de "
La Gloire" qui rassemble d'autres textes antérieurs du poète "Apocalypse" (1962), "Hiver" (1964) et "Élégies" (1967), ce recueil a été pour moi la première rencontre avec Jean Grosjean.
Dans l'écriture de Jean Grosjean, la parole se scinde en deux, faisant égale part entre l'image et son retentissement, entre la beauté et le regret, entre l'espoir et le désenchantement. Une écriture grave, toujours à la recherche d'une signification qui ne soit pas ultime, pas figée.
Jean Grosjean est l'auteur d'une poésie du sacré dans laquelle il fait part d'une tension intérieure, celle d'un reproche fait à Dieu de s'être retiré du monde, d'être devenu absent de la vie des hommes, de s'être dilué dans une parole passante… C'est pourtant au creux de la parole, au coeur de la poésie que l'auteur veut faire surgir un Dieu qui ne soit pas éternel mais qui soit bien présent. Jean Grosjean interroge, plus qu'il n'apporte des réponses, suggère plus qu'il n'affirme.
Dans ce beau recueil, ma préférence est allée aux "Élégies". Toujours sur le thème de la disparition, ce sont ici de courts textes en prose qui disent l'absence de l'être disparu, de la femme aimée :
" Jamais ne fut ni ne sera rêvé plus de lumière que n'en tinrent nos mains ni plus d'espace que n'en ouvrirent nos pas quand nous marchions vers cette ombre où ton ombre me sert de blessure et de baume. "
Logée entre mémoire et présent, la parole restitue à la conscience le poids de l'absence, du regard de l'aimée, de sa chevelure, de sa respiration, d'une ancienne promenade partagée, d'une saison traversée, d'un temps que l'on pensait à portée de main et sur lequel le regard se pose aujourd'hui :
" Puisque personne n'a pu dénouer ma soif , c'est la clarté de tes lèvres bientôt qui rouvrira la primevère troublante et peut-être mes yeux."
Une poésie intime, qui ouvre la conscience, qui se resserre un peu plus dans le souvenir de l'autre, dans la possibilité d'une mort qui puisse offrir d'ultimes retrouvailles. Car tout n'est que passage. Il ne reste que la parole.