La préface de Tzvetan Todorov est précieuse. le texte est à priori bien établi par rapport à des éditions plus anciennes (pour Vie et destin au moins). Le choix éditorial a été de ne retenir que les textes postérieurs à la prise de conscience antistalinienne de Grossman. C'est un parti-pris éditorial qui se justifie pleinement par un souci de cohérence. La lecture des derniers textes fait particulièrement sens après celles des romans. Mais on pourra aussi consulter avec profit ailleurs les textes absents de ce volume, dont les Carnets de guerre.
Quitte à se lancer dans Vie et destin (qui prend la moitié de la place au moins), autant se procurer ce beau et utile volume.
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Quand je pense maintenant à la dékoulakisation, je vois tout d'une autre façon, je ne suis plus envoûtée et puis j'ai vu les hommes à l'oeuvre...
Comment ai-je pu avoir ce coeur de pierre ? Comme ils ont souffert ces gens, comme on les a traités ! Mais moi, je disais : Ce ne sont pas des êtres humains, ce sont des koulaks. Et plus j'y pense, plus je me demande qui a inventé ce mot : les koulaks. Est-il possible que ce soit Lénine ? Quelle damnation il encourt !... Pour les tuer, il fallait déclarer : Les koulaks, ce ne sont pas des êtres humains. Tout comme les Allemands disaient : Les Juifs, ce ne sont pas des êtres humains. C'est ce qu'ont dit Lénine et Staline : Les koulaks, ce ne sont pas des êtres humains. Mais ce n'est pas vrai, c'étaient des hommes, c'étaient des hommes ! Voilà ce que j'ai compris peu à peu. Nous sommes tous des êtres humains...
(Page 946, Tout passe)
L'intolérance de Lénine, son activité constamment ordonnée vers le but qu'il s'était assigné, son mépris de la liberté, sa férocité envers les hommes qui ne pensaient pas comme lui, sa capacité de rayer de la face de la terre, sans trembler, non seulement des forteresses mais encore des cantons, des districts, des provinces qui se seraient permis de contester la justesse de ses thèses, tous ces traits n'ont pas surgi chez Lénine après Octobre. Ils existaient chez le petit Volodia Oulianov. Ils avaient des racines profondes.
Tous ses dons, sa volonté, sa passion étaient subordonnés à un seul but : prendre le pouvoir.
Pour prendre le pouvoir il a tout sacrifié. Il a immolé, il a tué ce qu'il y avait de plus sacré en Russie : la liberté.
(Page 979, Tout passe)
Ce qui est sûr, en revanche, c'est que c'est bien en Russie, en 1917, qu'est né le premier Etat totalitaire ; et son accoucheur s'appelle Lénine. C'est là l'une des grandes thèses de Grossman : on ne peut isoler Ejov ou Beria, les chefs de la police politique, de Staline, chef de l'Etat ; ni séparer Staline de Lénine. C'est ce dernier qui fixe les grands traits du nouveau régime. La première caractéristique de son action est d'être entièrement soumise à un but, celui de l'emporter à tout prix. C'est un machiavélisme poussé à l'extrême, où la fin justifie tous les moyens, et où n'existe aucun absolu.
(Pages XIV et XV, Tzvetan Todorov)
On déportait dans les camps des paysans non parce qu'ils avaient lutté contre les kolkhozes mais parce que, dans certaines conditions, ils eussent peut-être pu s'y opposer.
Certaines personnes se retrouvaient dans un camp pour avoir fait une critique innocente.
(...) Cette terreur ne s'exerçait pas à l'encontre de criminels mais d'hommes qui, selon les organes de répression, risquaient un peu plus que d'autres de le devenir.
(Page 926, Tout passe)
Lénine dans la discussion ne s'efforçait pas de convaincre son adversaire. Il ne s'adressait jamais à lui mais aux personnes qui étaient témoins de leur affrontement. Son but était de ridiculiser son adversaire, de le compromettre à leurs yeux. Ces témoins, ce pouvait être quelques intimes ou les mille délégués du Congrès ou encore un million de lecteurs, s'il s'agissait d'un article.
Lénine dans la discussion ne cherchait pas la vérité, il cherchait la victoire.
(Page 978, Tout passe)
Comment écrire la guerre ? de nombreux écrivains s'y s'ont frottés, et Emilienne Malfatto comme Olivier Weber évoquent des figures littéraires majeures qui ont influencé leur propre écriture de l'expérience guerrière. Sorj Chalandon, Malraux, Vassili Grossman ou encore Romain Gary... autant de plumes convoquées par ces deux reporters.
Emilienne Malfatto est auteure et journaliste et publie "Le colonel ne dort pas" (Editions du sous-sol, août 2022). Olivier Weber, lui, est auteur, grand reporter et ancien correspondant de guerre, et publie "Naissance d'une nation européenne" (éditions de l'Aube, août 2022).
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