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Critique de gege1968


Tout passe, le dernier roman de Vassili Grossman, est en quelque sorte son testament politique et spirituel. Il raconte l'histoire d'un homme qui retrouve les siens après un séjour de trente ans dans un camp sibérien. le soir de son retour, il s'assoit à table avec sa famille, mais personne ne lui demande ce qu'il a fait pendant toutes ces années, ni quelles souffrances il a endurées. À quoi bon demander ? Pendant des années, au sein de l'Union soviétique, a sévi un système de surveillance et de délation implacable. Staline vient de mourir sans doute. On découvre l'ampleur des crimes commis par le régime, les prisonniers politiques sont libérés, mais le même état d'esprit continue à régner dans une société où le simple fait de penser met en danger.
Ivan, le personnage principal, a été emprisonné parce qu'il a refusé de dénoncer de soi-disant opposants au régime. C'est un idéaliste épris de liberté. Il retrouve la femme qu'il a aimée, l'ami qui l'avait dénoncé, son cousin Nikolaï qui ne lui a jamais adressé le moindre signe pendant son internement et qui continue à craindre pour sa propre réputation. Nikolaï est l'homme du compromis. Il a signé des dénonciations contre les traîtres, c'est un homme toujours prêt à obéir, mais qui vit constamment la peur au ventre.
Ivan cherche à comprendre les motifs des délateurs, de ceux qui ont trahi, calomnié, dénoncé, par instinct de conservation ou tout simplement parce qu'ils voulaient obtenir la confiance du Parti, seul moyen d'améliorer leur existence. Comment ils ont fait le mal, même sans le vouloir. Cette réflexion est l'occasion pour Grossman de dresser les portraits des victimes de la terreur, avec des scènes parfois insoutenables, notamment lorsqu'il décrit la collectivisation forcée en Ukraine dans les années 1930 et la terrible famine qu'elle a engendrée.
Le témoignage de Grossman est d'autant plus fort que lui aussi été un communiste convaincu, au moins jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, où sa vision du régime a alors changé radicalement. Cette évolution intellectuelle est nettement visible à la lecture de son diptyque sur Stalingrad : alors que la publication de la première partie Pour une juste cause a été autorisée par la censure, le manuscrit de Vie et Destin, où Grossman met en parallèle les régimes nazi et stalinien, a été confisqué par le KGB en 1960. L'écrivain reconnu a perdu ses illusions et est devenu un opposant intellectuel. Avant de disparaître, Grossman s'est senti obligé de dire tout ce qu'il pensait du phénomène totalitaire soviétique. Tout passe parachève son parcours, c'est un résumé de sa pensée, une dénonciation sans complaisance de la dictature et de la souffrance de tout un peuple.
L'ouvrage de Grossman offre une critique féroce de Lénine et de Staline, qui n'ont aucunement amélioré le sort du peuple, déjà asservi sous la Russie tsariste. Pour assouvir leur soif inextinguible de pouvoir, et avec un mépris absolu pour la vie humaine, les deux principaux dirigeants ont sacrifié la liberté du peuple russe. Son livre rend hommage à ceux qui, dans la Russie stalinienne, croyaient encore que la liberté, la tendresse, la bonté étaient « le pain et l'eau de la vie ». Tout passe, nous dit Grossman, sauf l'aspiration invincible de l'être humain à la liberté.
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