AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Chestakova


Dernier écrit de Vassili Grossman avant sa mort, « Tout passe » résonne tout particulièrement dans le contexte de l'agression russe contre l'Ukraine.
le texte, rédigé après la mort de Staline est pour son auteur un testament politique amer et désenchanté. La rédaction du texte jalonne la fin des années cinquante jusqu'en 1963, Grossman, relégué progressivement au rang des écrivains bannis par le régime, y abandonne le lyrisme et la poésie qui accompagnaient Vie et Destin, encore marqué par sa foi inébranlable dans l'homme, ici l'espoir a disparu, le constat est fait d'une impossibilité pour la Russie soviétique d'échapper à son identité profonde, laquelle tourne le dos irrémédiablement à toute évolution de l'état vers la démocratie et la liberté.
Grossman nous parle d'un pays pétrifié, immobile, condamné, comment ne pas y voir les accents prophétiques qui nous ramènent à la Russie de Poutine, dans son aveuglement et ses certitudes monolithiques. Ce texte est d'une densité politique historique philosophique, inversement proportionnel à ses 250 pages, le lecteur y est confronté à chaque page à la dureté et la lourdeur des constats. La mort de Staline n'est pas seulement celle du tyran, c'est aussi la continuation d'un état marqué par nature par l'obscurantisme. Grossman annonce ainsi des lendemains terribles, au-delà du vingtième congrès et des portes ouvertes des camps sibériens. le livre n'est pas un roman, pourtant Grossman y garde la patte du romancier, dans l'introduction du récit, croqué sur le vif à l'arrivée dans la capitale du train de Khabarovsk, dans les personnages qui jalonnent le récit, ceux qui s'effacent vite comme Nicolas Andréiévitch, aux accents qui ne sont pas sans rappeler Victor Strum de Vie et destin, il y a aussi les personnages qui cimentent la réflexion de l'auteur : Ivan Grigoriévitch qui sort de camp et affronte sans illusion le monde retrouvé, Anna Sergueievna par laquelle Grossman met à nu l'organisation par l'état soviétique de la famine en Ukraine qui fit plusieurs millions de mort au début des années 30. Grossman ne s'attarde pas à brosser le portrait de ses personnages, il les fait parler, regarder, constater. le constat est accablant, le livre s'ouvre sur les médecins juifs condamnés dans le pseudo complot des blouses blanches, il se poursuit avec les milliers de mort des obsèques de Staline, il revient sur la réalité des camps et leur mécanique de déshumanisation bien huilée. Grossman s'interroge sur la gestation de la terreur d'état qui caractérise le régime dans toute son histoire, sa condamnation de Lénine est sans appel, Staline n'en est que le continuateur. Au-delà de ces figures, l'auteur pressent que la Russie soviétique ne parviendra pas à échapper à sa marque génétique, celle du servage, qui la condamne à tourner le dos à toute forme de démocratie.
C'est bien la Russie de Poutine qui prend forme dans ces pages.
Un livre terrible.

Lien : https://weblirelavie.com
Commenter  J’apprécie          252



Ont apprécié cette critique (20)voir plus




{* *}