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3,92

sur 617 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Attention chef d'oeuvre. Et ce n'est pas galvauder le mot que le dire.
David Grossman dont je découvre l'univers signe un époustouflant et intime portrait de femme, la bien nommée : Ora.
Ora traverse une période difficile, alors que son mari l'a quitté avec leur fils ainé Adam, Ofer le cadet termine trois longues et angoissantes années de service militaire. Mais alors qu'Ora et Ofer ont décidé de se retrouver un peu, celui-ci accepte une dernière mission. Décision insupportable qui force Ora à fuir le présent. Elle embarque Avram, l'autre homme qu'elle aurait pu épouser pour une randonnée à travers la Galilée. Ce long périple sera pour Ora et Avram celui des confidences et des révélations.
La construction du récit renforce cette fuite en avant, ou passé et présent s'entremêlent comme pour semer le destin.
Richement dialogué, l'émotion palpite, vous cueille avec une force bouleversante. Grossman met à nu le désarroi de cette femme qui a tout fait pour protéger sa maison, sa famille et qui la voit perdre tout contrôle.
La fuite est la seule solution pour ne pas être anéantie.
Le livre montre aussi la stupidité d'un conflit enlisé et interminable, le quotidien des juifs et des palestiniens, vivant dans la terreur d'un attentat.
Mais c'est aussi un livre humaniste, fait d'espoir et de tolérance (alors que Grossman est lui même meurtrie dans sa chair). Ora et Avram sont des personnages que je ne suis pas prêt d'oublier. Un livre magnifique et intense.
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Je voudrais commencer cette chronique en effleurant l'élément biographique qui a tant été évoqué dans les médias, à savoir la mort en opération au Liban du fils de l'auteur pendant que celui-ci rédigeait son livre. Je vous suggère de visionner l'extrait vidéo de "La Grande Librairie" dans lequel l'écrivain dit ce qu'il a à dire - et ce qu'il peut dire, à ce sujet. Cela relève de sa vie privée.
Tout juste me permettrai-je de mentionner comme en écho l'histoire de Gustav Mahler composant les "Kindertotenlieder" (Chant des enfants morts) quelques mois avant la mort de sa fille ainée, et les interrogations de sa femme Alma : créer, est-ce provoquer le destin ? de la prescience ?

En cela, nous sommes déjà dans le thème central d''Une femme fuyant l'annonce", qui, au-delà d'un merveilleux roman, un extraordinaire portrait de femme (un mystère pour moi qu'un homme ait pu à ce point se glisser dans la psychologie féminine...), a une portée davantage philosophique, et, comme toute grande oeuvre, nous élève au-delà de l'anecdote, des personnages, pour nous interroger sur ce que nous sommes, par quoi nous nous définissons : pour moi, "Une femme fuyant l'annonce" pose la question centrale de la langue, celle que nous parlons, celle que nous écrivons, celle que nous inventons (à l'image des deux amis et des deux fils du roman). En effet, j'ai toujours pensé - songeant à la question tant à la mode il y a quelques temps de l'identité "nationale", que nous nous définissons par les mots que nous choisissons, que nous habitons une langue plutôt qu'un pays. "Je suis d'où je parle et d'où j'écris", pourrait être le sous-titre du roman.

Pour en revenir au commencement, Bereshit, ma lecture de ce livre, comme l'écriture de cette chronique, ne peut être abordée pour moi que dans le contexte du long chemin entrepris avec l'auteur - à l'image du périple d'Ora, depuis 1994, date de sortie de "Le livre de la grammaire intérieure", acheté par le désir de savoir ce que recelait ce titre qui résonnait dans ma plus grande intimité. Ce fut un éblouissement, non démenti par la suite de mes lectures des oeuvres produites par l'auteur, dont, chaque fois, les titres semblaient m'hypnotiser et me tenir captive. Pour n'en citer que quelques-uns, "Tu seras mon couteau", "Quelqu'un avec qui courir", "J'écoute avec mon corps".

Dernier opus, "Une femme fuyant l'annonce" n'est qu'un tome supplémentaire de ce qui pourrait être un seul volume, une variation sur le thème évoqué du rapport intellectuel, charnel, voire hystérique que nous entretenons avec le langage, les mots que nous employons pour exprimer nos actes, nos pensées, nos sentiments, nos émotions, nos désirs... que ce soit dans notre langue maternelle, ou la langue de nos grands-parents immigrés, d'une langue étrangère que nous avons appris à l'école et dans laquelle nous aimons chanter, d'une langue amoureuse que nous pouvons inventer avec l'être aimé, du vocabulaire que nous adoptons quand nous aimons écrire, etc...

Que fait Ora , à travers son voyage initiatique en Galilée, sinon chercher la langue qui pourrait protéger son fils, les mots qui pourraient le maintenir en vie, comme ramener son ancien amant à la vie, comme identifier ceux qui l'ont éloignée de son mari ? Elle parle, parle, déroule le fil d'une bobine de chair et de sang, d'une mère reliée par un cordon ombilical lexical à ses enfants, aux êtres aimés, à travers une langue à l'image de la nature qui l'entoure et qu'elle découvre au cours de sa longue randonnée, foisonnante, envahissante, chatoyante, palpitante, angoissante aussi par ses pièges et ses détours, y compris dans le silence, qui n'est autre qu'un autre langage. David Grossman décrit minutieusement, avec force détails et vocabulaire précis le décor dans lequel évoluent Ora et Avram, de l'infiniment grand à l'infiniment petit. de l'immensité de la voie lactée au plus minuscule des insectes, toute manifestation vivante s'inscrit dans le déroulement du récit, dans un style semblable à une ode panthéiste. La nature, tantôt aimante, tantôt hostile, n'est plus que l'ordre d'un monde dans lequel les êtres humains doivent trouver leur place, et contribuer à son bon déroulement. Et pourtant, que cherche Ora, obstinément, si ce n'est bouleverser cet ordre naturel qu'elle pressent annonciateur de son futur malheur ? Cette femme est une héroïne presque mythologique, se dressant seule contre la volonté des Dieux, avec pour arme, le petit cahier qu'elle s'entête à noircir, et les paroles qu'elle lance comme autant de mantras aux oreilles d'Avram et à l'humanité toute entière à travers lui.Quand les mots ne suffisent plus, le corps prend le relais, soulignant une intention par une posture, un regard, un mouvement incontrôlé. Même le sommeil est vocabulaire, le corps endormi livre encore des secrets. Chaque être, chaque plante, chaque pierre est une énigme à déchiffrer, un message codé à traduire. Il faut d'ailleurs souligner l'extraordinaire travail de Sylvie Cohen, traductrice attitrée, qui sait, quand il le faut, conserver le mot hébreu - langue morte ressuscitée à la naissance d'un état, nous fait entendre sa résonance, sait que tel mot doit être conservé "en l'état" parce que, même si sa traduction est possible, le lecteur doit en entendre la musique, l'écho. S'il ne comprend pas le sens, au moins en aura-t-il eu la prescience (parfois le mot cité en hébreu -ou en arabe, langue fraternelle- est suivi de sa traduction).

Je dois avouer qu'il m'est arrivé une chose un peu étrange en lisant ce livre. Arrivée aux deux tiers du roman, j'ai dû interrompre ma lecture, pendant plusieurs semaines. J'avais plongé dans le roman en apnée, et j'ai été prise de l'ivresse des profondeurs. Les interrogations d'Ora sont devenues les miennes (hors de tout contexte factuel) et ont commencé à interférer dans ma vie privée, jusqu'au vertige. A mon tour, j'étais une femme fuyant l'annonce, quelle qu'elle ait pu être. Je n'ai rien lu ou presque pendant quelques temps, puis, lorsque je me suis sentie suffisamment armée, ai repris la randonnée en Galilée avec les protagonistes du récit, et fini le roman cette fois dans l'urgence.

Sans dévoiler la fin de l'histoire, je ne peux pas omettre de signaler que les pages consacrées à la description d'un "fait" de guerre sont d'une crudité et d'une horreur presque insoutenables. Après avoir utilisé les circonvolutions d'une langue poétique et manié la digression, l'auteur décrit chirurgicalement les événements dont l'évocation brute suffit à nous les rendre irréels, parce qu'inconcevables. Ici, nous sommes en présence d'un écrivain majeur, qui, à travers la fiction, pose sans les nommer toutes les questions politiques, philosophiques, éthiques, que se posent les familles israéliennes élevant des enfants sachant qu'ils accompliront au moins trois années dans l'armée, trois années qui, s'ils en reviennent vivants, les transformeront en étrangers, confrontés de l'intérieur au conflit israélo-arabe, dans toute sa violence et son absurdité, comme toute guerre est absurde. "Elevons-nous nos enfants pour en faire des meurtriers ?" s'interroge Ora, et sa question se perd dans l'immensité qui l'entoure. Au-delà du contexte Israélien, David Grossman interroge la conscience de chaque être humain, sans manichéisme, sans donner de leçon, mais l'on sent bien que avec toute la force qu'il imprime au récit, poser cette question est déjà le début d'une réponse.

A ce stade de ma chronique, j'imagine que certaines personnes la lisant me traiteront, comme est traitée Ora dans certaines chroniques Babélio, d'hystérique, mais je ne suis pas plus rationnelle qu'Ora et souhaite que ce compte-rendu de ma lecture soit à l'image du climat dans lequel j'ai baigné au fil des mots qui me retenaient prisonnière et me fascinaient doucement...( un auteur comme Paul Auster indique dans la quatrième de couverture qu'il a "dévoré" le roman "dans une transe fiévreuse"...).

En conclusion, je dirai que David Grossman, à l'image des écrivains qui dépassent leur nationalité et leur époque, à travers "Une femme fuyant l'annonce", ne fait qu'écrire encore et toujours le même livre, initié avec "Voir ci-dessous : Amour", et que cette oeuvre qu'il construit avec un acharnement vital restera bien au-delà de sa propre existence. Il bâtit un monde avec un talent immense et singulier, et j'aime à penser que l'un des non moindres mérites de ce roman est de lui avoir donné un rayonnement de plus en plus grandissant, car plus un auteur est singulier, plus il nous ouvre les portes de l'universel. En inventant au fil de ses écrits un langage unique et intime, il nous incite à nous exprimer du plus profond de nos êtres, à créer à notre tour notre "grammaire intérieure", nous éloigner des lieux communs qui nous affaiblissent et affectent notre relation au monde, pour nous rendre meilleurs et authentiques.

Lien : http://parures-de-petitebijo..
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Ils sont trois. Deux hommes, Ilan et Avram, une femme, Ora. D'un simple trio amoureux (une histoire à la Jules et Jim) né en pleine guerre des Six jours, David Grossman raconte le quotidien de trente ans d'Israël avec cette force inouïe de l'homme qui a perdu un de ses fils alors qu'il écrivait le roman. C'est d'une brutalité incroyable et c'est magnifique. Un témoignage bouleversant sur la bêtise de la guerre.

Est-ce l'histoire d'une femme qui aime deux hommes ou celle de deux hommes qui aiment la même femme ? Quand ils sont dans le même hôpital, durant la guerre des Six Jours, Ilan, Avram et Ora, alors agés de 16 ans, ne sont que ces soldats meurtris qui cherchent à échapper à cette guerre. D'Ilan et Ora naîtra Adam, car il était si simple d'aimer Ilan. D'Avram et Ora naîtra Ofer, car c'est bien Avram qui a toujours aimé Ora. Et c'est cette vie qu'Ora nous fait partager, nous donne à lire dans son petit carnet bleu foncé, quand elle décide d'entraîner Avram, sur les chemins d'Israël. Ofer vient de terminer ses trois ans de service militaire, mais il accepte de partir pour une dernière mission dans les territoires occupés. Ora, persuadée que son fils va mourir, va être celle qui "fuit l'annonce", ne sera pas chez elle quand les militaires viendront lui annoncer la mort de son fils. Et c'est ainsi qu'elle entraîne son ex-amant, le père biologique d'Ofer, l'homme qui n'a jamais voulu assumer sa paternité, dans cette randonnée qu'elle comptait faire avec son fils pour fêter sa démobilisation.

C'est cette excursion sans but, uniquement destinée à conjurer le sort, cette troublante errance qui constitue le gros de ce long roman de 670 pages, une promenade interminable dans la nature, sur les monts et dans les vallées de Galilée.

David Grossman décrit un paysage grandiose, désertique ou verdoyant, riche en sons, en couleurs, et en odeurs que traverse Ora et Avram, nous plongeant tour à tour dans le présent infiniment concret de l'espace, puis dans le passé confus et dense de la vie des deux marcheurs. de l'un à l'autre, au fur et à mesure des révélations et des découvertes, la toile du roman se tisse, avec en son centre, comme point focal, l'angoisse de la mort, de la disparition et de l'oubli.

C'est à la fois une plongée totale dans la personnalité de cette femme puissante qu'est Ora, une mise à nu de sa psyché, de ses sentiments comme de son intelligence, et en même temps l'histoire plus large d'Israël, de ce pays fragile et troublé qui ne connaît pas la paix. Les deux figures se répondent, se déchirent et se confondent, nous immergeant dans les angoisses, les contradictions et les disparités insolubles qui plombent cette région et ceux qui la peuplent. On découvre peu à peu les troubles de cette société israélienne toujours perturbée par un sentiment de méfiance, d'inquiétude qui pousse à des réactions immédiates et non réfléchies. le départ d'Ora en Galilée est une expression de ces décisions instantanées, qui la pousse pourtant vers une bénéfique mise à plat de son existence. Elle tempère ses angoisses, renforce son amour immense pour les siens, retrouve les liens intimes qui l'unissent à Avram. C'est également un combat contre l'oubli, la disparition de ses souvenirs, la mémoire de sa vie, de celle de sa famille et surtout celle de son fils qui est probablement mort. " Tu te souviendras d'Ofer ; tu te rappelleras sa vie, toute sa vie n'est-ce-pas ? ". Tels sont les derniers mots d'Ora : belle leçon de courage et d'humanité.

Une femme fuyant l'annonce est un roman dense, d'une grande justesse porté par une héroïne tour à tour poignante et rugissante , au-milieu de la beauté naturelle de cette terre de Galilée si disputée. Une oeuvre forte et intense qu'on ne peut lâcher une fois commencée, qui prend "aux tripes" et qu'on ne risque pas d'oublier !
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Une femme fuyant l'annonce est une ode dédiée à toutes les mères et j'y ai donc été particulièrement sensible en tant que fils. Mais peut-être est-ce tout simplement un texte qui s'offre à toutes les femmes.
David Grossman parle ici d'une terre qu'il aime, d'une terre meurtrie, maculée de sang, d'une terre divisée par la guerre, il dit l'absurdité de la guerre, à tel point que des générations naissent les unes après les autres, sur cette terre où le seul destin qu'on leur apprend, d'un côté comme de l'autre et de haïr l'autre, donnant bêtement raison aux armes, aux barbelés, aux murs, aux pierres qu'on jette sur l'autre en face, à une haine viscérale, sans permettre l'effort pédagogique d'expliquer et de comprendre...
Elle s'appelle Ora, quel nom magnifique !
Les Israéliens ne naissent pas guerriers, on leur apprend à le devenir, trois ans d'éducation militaire,- le mot « éducation » est sans doute galvaudé ici, suffisent pour en faire des "pitbulls" bien dressés à l'encontre de l'ennemi palestinien de l'autre côté et les lâcher comme des fauves derrière leurs grillages. Et comme la guerre engendre la guerre, comme la haine attise la haine, en face ce n'est guère mieux. David Grossman, écrivain averti et sensible, sait cela mieux que personne, ayant payé un lourd tribut en perdant son fils en mission au Liban au moment où il écrivait ce livre et cela rend les pages encore plus éprises de douleurs...
Certains Israéliens, comme David Grossman, ont l'intelligence et le courage de dénoncer l'absurdité de cette guerre qui n'en finit pas, rêvant de paix enfin... À sa manière, il mène, aux côtés d'autres personnes engagées au sein de son pays, un combat pour cette paix, car oeuvrer pour la paix est aussi une forme de guerre avec des adversaires qui ne supporteraient pas un seul instant qu'Israël rejoigne cette paix.
À l'issue de son service militaire, le fils cadet d'Ora, Ofer, s'est porté volontaire pour mener un combat ultime et de plusieurs jours, vingt-huit jours précisément, contre une ville palestinienne, se coupant du reste du monde. Sa mère décide d'accomplir durant ses vingt-huit jours une randonnée en terre de Galilée,-l'endroit est loin d'être anodin, qu'elle avait initialement prévue avec Ofer. Elle maintient son projet et part avec un autre homme, Avram, amour de jeunesse, cet amant qu'elle n'a jamais oublié...
C'est un voyage autant physique qu'initiatique, chemin intérieur où résonne en elle déjà les affres d'un pressentiment à venir... C'est une pérégrination où les mots se tissent dans ce dialogue en chemin avec un homme qu'elle a aimé, avec ce fils qu'elle attend qui lui ressemble un peu, convoquant le passé, la mélancolie, l'écho et la force des mots qui semblent, durant ce chemin fait de sables, de pierres et de larmes, disposant ainsi des matériaux nécessaires pour construire une citadelle, une muraille, un songe permettant de reculer au plus loin l'annonce à venir...
Tant que les mots s'édifient ainsi, elle sait qu'elle maintient son fils Ofer en vie, alors elle parle, elle parle, telle une Shéhérazade contant toute la nuit et les autres nuits à venir, faisant ainsi venir des vagues de mots pour reculer la mort dans son ressac...
Est-ce une fuite en avant, un chemin qui prolonge un peu le dénouement à venir ou un retour sur le passé ?
Les paysages désertiques, comme cette terre de Galilée, terre ô combien symbolique, ont cela de grandiose qu'ils peuvent tout inventer et accueillir l'absence, lui donner corps...
Les paysages désertiques sont immenses pour tout accueillir...
Accueillir le geste insensé des guerres stupides et qui perdurent, accueillir le chagrin des mères qui pleurent des enfants morts ou qui vont mourir...
Accueillir nos émotions dans le sable des pages qui viennent plus tard...
J'ai aimé ce récit comme un regard particulier et sensible posé sur une mère, mais les mères, nos mères, sont aussi des femmes qui ont aimé et été aimées...
C'est un livre épris d'humanité.
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Égarer la mort

Le soleil contemple ce petit bout de terre qu'est l'État d'Israël, et chacun de ses rayons semble être une larme de sang. Comment ne pas devenir fou lorsque l'avenir ressemble à une mitrailleuse ou une bombe piégée ?

Pour s'offrir une échappée loin de la peur quotidienne, Ora a organisé une randonnée en Galilée avec son fils, Ofer, qui vient de terminer son service militaire. Mais, sourd au désir de sa mère, Ofer décide de participer à une mission dans les territoires occupés. Ora est désemparée. Va-t-elle attendre bien sagement chez elle qu'un officier vienne frapper à sa porte pour lui apprendre la perte de son fils ? Non, il ne saurait en être question.

C'est alors que germe en elle l'idée qu'en partant tout de même pour cette randonnée avortée, elle déjouera la mort et fera acte de vie. Si elle n'est pas dans sa maison, personne ne pourra faire de mal à son garçon. Avec cet espoir bien caché dans son sac — comme un talisman contre le mauvais oeil —, Ora se fera accompagner d'Avram, un ami d'adolescence depuis trop longtemps perdu de vue. C'est avec lui que cette mère "fuira l'annonce" et, dans le dialogue qui se retissera entre eux, la parole servira de boussole pour rechercher le temps perdu.

L'écriture de David Grossman, juste et puissante, creuse à même la terre des vies humaines pour en extirper de vieux secrets aussi explosifs que des mines.

Dans chacun de ses pas, on pourrait entendre Ora dire à la mort : « Suis-moi, je vais te perdre dans les montagnes de Galilée et tu ne me prendras pas mon fils. » Tel est sans nul doute le désir de chaque mère pour son propre enfant : égarer la faucheuse au milieu des rocailles afin que celle-ci ne puisse faucher rien d'autre que du vent. Bien entendu, il s'agit là d'une pensée magique. Mais nos mères, gardiennes de la source de vie, ne sont-elles pas toutes de grandes magiciennes ?

© Thibault Marconnet
Le 26 octobre 2021
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Que dire d'autre sinon qu'Une Femme fuyant l'Annonce est un livre bouleversant?
Par où commencer, tout simplement? C'est un roman dense, à fleur de peau, tragique, et qui commence pourtant avec une pointe d'ironie, un petit humour de situation en plein contexte de guerre civile, Israël et Palestine, Juifs et Arabes...
Quand David Grossman a commencé à écrire ce livre, il y avait, dit-il, la secrète superstition de garder son fils en vie alors qu'il était engagé dans l'armée pour deux ans. Son héroïne, elle, parle sans relâche de son fils pour la même raison: le protéger, échapper au mauvais sort. le fils du premier est mort tué d'une roquette pendant l'écriture du roman...
Ora rencontre Avram et Ilan à l'hôpital alors qu'ils sont tous trois adolescents. Une forte amitié les lie aussitôt, et de l'amour aussi; quelques années plus tard, Avram, otage en Egypte, est torturé, Ilan, lui, est démobilisé et rentre chez lui. Lorsqu'Avram revient en Israël, à deux doigts de la mort, le jeune couple décide de se consacrer à lui, de le ressusciter d'entre les morts, de le soigner, se sentant coupable de ce qu'il a enduré.
Une trentaine d'années plus tard, c'est le second fils d'Ora, Ofer, qui est soldat dans l'armée israëlienne. Pire encore, il se réengage de son propre chef. Ora imagine le pire, l'annonce de sa mort frappée à sa porte, d'une minute à l'autre, et ne pouvant le supporter, elle décide de fuir son domicile. Ainsi, rien ne pourra lui arriver... elle récupère Avram - Ilan l'a quittée il y a quelques mois - et tous deux partent pour une longue marche de plusieurs semaines, lors desquelles Ora lui parlera d'Ofer, qu'Avram a toujours refusé de rencontrer et de reconnaître... traumatisé, vide, incapable d'aimer à nouveau.
Le roman oscille entre l'intimité de la famille que forment Ilan et Ora avec leurs deux fils, Adam et Ofer, et ces guerres qui ont tué intérieurement Avram, le traumatisme d'une société livrée aux attentats et au soutien de quelques pays lointains dont ils dépendent pour leur assurer un avenir. Adam et Ofer grandissent dans un contexte agité et conflictuel. Ora confie mot à mot leur enfance à un Avram à l'intérêt grandissant qui reprend peu à peu vie auprès de cette femme qu'il n'a cessé d'aimer mais qui avait choisi Ilan, il y a longtemps.
C'est un roman pesant, qui se lit par à coups, et qui fait jaillir une foule d'émotions et de questionnements aussi sur ce qu'on aurait fait nous-mêmes si... c'est aussi un roman surprenant par l'écriture et le chemin qu'elle prend, tout en bifurcation, digressions, allers et venues du présent au passé.
On pleure pour Avram, ce beau garçon incroyable, tué en son coeur par cette guerre, et pour Ora aussi, qui tente coût que coûte de garder en vie une humanité qui se perd.
C'est un roman magnifique sur la famille, l'amour et la guerre.
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Ora projette de partir quelques jours faire un voyage avec son fils Ofer , sac au dos , dès qu'il aura terminé son service militaire de 3 ans . Malheureusement à la fin de son service , son fils s'engage pour une mission de 28 jours dans les Territoires .
Ora ressent au plus profond d'elle même qu'elle ne reverra pas son fils vivant et décide de faire le voyage coûte que coûte afin qu'aucune mauvaise nouvelle ne puisse lui parvenir .
Elle va être accompagnée d' Avram son ami d'enfance , son amant et peut-être plus , pour son périple dans les merveilleux paysages de Galilée .
Je n'ai jamais lu une description si juste d'une mère , tiraillée entre l'amour pour ses deux fils Adam et Ofer ; 24 et 21 ans . Lorsqu'elle est enceinte de son deuxième fils , Ora se demande si elle aura assez d'amour pou deux , puis à chaque étape de leur enfance , adolescence jusqu'à leur entrée à l'âge adulte , elle essaye de ne jamais trop les comparer , de ne jamais préférer l'un à l'autre , en est fière .
Ora ressent qu'elle est rejetée par ses fils lorqu'ils deviennent des adultes , elle regrette de ne pas avoir eu une fille qui aurait rétabli l'équilibre dans la famille , 'la balance des sexes .'
Ora , femme moderne ,intelligente ressent dans sa chair qu'il va arriver malheur à son fils , elle essaye de le garder vivant par les mots qu'elle adresse à Avram . L'auteur aborde aussi les conséquences du conflit sur la vie de tous les jours .
Un livre bouleversant dont on ne sort pas indemne , surtout lorsque l'on sait que le fils de l'auteur , Uri , est mort lors d'une opération au Liban en 2006 .
Je garderai longtemps un souvenir de mon voyage en Galilée en compagnie d' Ora et d' Avram .
Merci à David Grosman pour cette lecture magnifique .
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Alors qu'il vient de terminer son service militaire, Ora découvre que son fils Ofer, avec qui elle avait prévu de partir pour une longue randonnée en Galilée, s'est porté volontaire pour une mission à haut risque au bord de la frontière palestinienne. C'est plus qu'elle ne peut en supporter… Et plutôt que de rester plusieurs semaines, seule, à se ronger les sangs, cette mère de famille téméraire décide de prendre la route, sac au dos, et de se couper du reste du monde. Enfin, pas de tout le monde, puisqu'elle entraîne avec elle dans cette fuite insensée Avram, son amour de jeunesse, qui est aussi le père biologique d'Ofer, mais qui n'a jamais reconnu sa paternité et jamais vu son fils en 21 ans. C'est ainsi que nos deux amis se retrouvent sur les routes d'Israël, l'une fuyant l'annonce potentielle d'une nouvelle qui l'anéantirait et l'autre, sorti de force de sa tanière et renouant doucement avec le monde. Une marche pour l'espoir, propice aux confidences, et qui mettra à nu deux âmes martyrisées, profondément blessées par la vie, qui ne demandent qu'à se libérer du poids de leurs tourments…

Comment ne pas être complètement bouleversé par la détresse de cette mère déboussolée, qui s'imagine que la vie de son fils dépend de sa fuite en avant et de sa capacité à mettre le plus de distance possible avec les mauvaises nouvelles ? Pour ma part, je me suis totalement laissée submerger par les émotions d'Ora, cette femme capable de passer du rire aux larmes, de l'insouciance à la peur et de l'espoir au plus grand désarroi en une fraction de seconde ! Une femme simple, naturelle et terriblement attachante qui nous ouvre les portes de son coeur avec la plus grande générosité. Impossible de rester insensible quand elle parle avec passion de sa famille et de ses fils, où lorsqu'elle nous plonge dans sa jeunesse heureuse et tourmentée aux côtés d'Ilan et d'Avram. On navigue sans cesse entre passé et présent, souvenirs et transmission de la mémoire. Les narrateurs se succèdent et se croisent sans jamais se heurter. L'écriture de David Grossman est magnifique et entraînante. 800 pages qui se dévorent et dressent à la fois le portrait d'une femme, d'une mère, mais aussi celui d'un pays, d'un peuple qui a longtemps souffert et qui souffre encore… Un texte sublime, qui résonne encore et qui me donne envie d'approfondir ma connaissance de cet auteur !

Je tiens à remercier vivement Livraddict et les éditions Points pour ce partenariat !
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Ouawh...Je reconnais que j'ai mis un certain temps pour lire ce livre non pas parce que je m'ennuyais (bien au contraire) mais tout simplement car c'est un livre qui m'a réellement touchée, voire même bouleversée. Il m'a en quelque sorte remué les tripes (bon j'avoue que l'expression est un peu trop forte mais c'est un peu ce que j'ai ressenti et j'avais par conséquent besoin de faire des pauses entre temps, je ne pouvais pas le lire comme ça d'une traite sans ressentir au plus profond de moi toute la douleur et la détresse de cette femme, Ora). le contexte est aussi extrêmement complexe et dur puisqu'il s'agit du conflit israëlo-palestinien auquel je n'ai jamais compris grand chose je l'avoue tant celui-ci s'éternise et pour lequel, jusqu'à présent, je n'avais jamais porté un très grand intérêt tant cela me paraissait bien loin de moi.

Ora, la protagoniste de ce livre est une femme extrêmement courageuse qui refuse de voir la terrible réalité en face ou qui au contraire ne la voit que trop bien. Elle s'indigne de voir son fils cadet, Ofer, s'engager dans le conflit alors qu'il avait été démobilisé et s'engage dans un pèlerinage, entraînant avec elle, son amour de jeunesse qui est aussi le père d'Ofer, afin de marcher pour ne plus penser à rien ou plutôt, grâce aux paroles qu'elle échangera avec ce dernier pour lui narrer la vie de ce fils qu'il n'a jamais vu et ne connaît donc pas, empêcher ce qu'elle redoute tant et qui paraît inévitable de se produire. Deux guerres se succèdent dans cet ouvrage mais ce que le lecteur ressent avant tout, c'est l'amour inconsidéré d'une mère pour son fils.

Un livre très fort, poignant, inspiré des propres expériences douloureuses de l'auteur qui mérite vraiment d'être lu avec toute l'attention qu'il mérite. Un vrai chef-d'oeuvre à mon goût. A découvrir !

En revanche, après une telle lecture dont on ne peut pas ressortir indemne, je crois que j'ai besoin d'une lecture très simple, histoire de me vider un peu l'esprit par rapport à toutes les atrocités que l'on voit déjà suffisamment autour de nous en ce moment. Aussi, vais-je faire l'honneur à l'insigne que Babelio m'a accordé de "Expert chick-lit". A suivre...
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Une femme fuyant l'annonce.... de la mort hypothétique de son fils cadet Ofer ("sa mémoire vivante", réceptacle de ses bons et mauvais souvenirs sur Haïfa) qui s'est porté volontaire, pour une opération près du Guilboa,alors que "l'état d'urgence a été décrété".
"Comment ai-je pu l'envoyer se battre?"
Culpabilité,panique,affolement,désespoir étreignent cette mère juive aimante et possessive.
Son mari Ilan( dont elle est séparée depuis un an) et son ainé Adam sont partis au bout du monde. Alors, pour conjurer le sort, superstitieuse, une idée dénuée de toute logique germe dans son cerveau paniqué: "elle doit disparaître tant qu'il sera là bas" afin de le protéger.
Elle part avec Avram, le père biologique d'Ofer, elle parle de l'avant à travers la Galilée dans un étrange voyage au coeur du "nous" bordé de sources naturelles et de vergers blancs.
David Grossman, relate de façon très émouvante les affres de cette mère trop fusionnelle. Il est d'autant plus en empathie avec son héroïne qu'il a lui même écrit ce livre alors que son fils Uri accomplissait son service militaire dans les blindés (et l'a publié en 2006 après le décés de ce dernier "aux dernières heures de la guerre du sud-Liban.").
Ce roman (prix Médicis étranger 2011) m'a vraiment bouleversée.
Il est un cri. Celui de Münch peut-être au delà de la barbarie.
Le cri d'une mère, oui, mais aussi celui d'une femme qui plonge dans le passé pour comprendre les raisons du pourquoi.
Le cri de l'adolescente qu'elle a été, lorsqu'Ilan,Avram et elle ont scellé leur pacte d'amitié dans un hôpital aux portes de la mort.
Le cri d'une jeune femme qui a tiré au sort celui qui est parti un jour en guerre et en est revenu cassé, souillé, comme mort à l'intérieur de sa coquille.
Le cri d'une amante qui est "l'être vital" de l'autre qu'elle voudrait faire revivre de ses caresses et réchauffer de ses bras, sur fond d'interrogation: l'amour est-il toujours unilatéral?
Le cri de David Grossman (dont le vent jaune a reçu par ailleurs, en 2010 le prix de la Paix des éditeurs et des libraires allemands) pour dénoncer la déshumanisation de ceux qui portent atteinte aux droits de l'homme en soumettant,violant,tuant,torturant.
C'est beau comme un amour plus fort que la mort.
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