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Critique de Alzie


Très beau travail graphique à quatre mains de Grouazel et Locard avec des planches en demi-teintes et des nocturnes superbes avalant ombres et silhouettes. le regard se perd à l'ouverture dans la violence des premiers troubles qui enfièvrent les faubourgs de la capitale alors que les Etats Généraux ne sont pas encore ouverts à Versailles : des bruits contradictoires ont couru dans Paris sur la baisse des salaires chez Réveillon provoquant des émeutes à St Antoine que la Garde réprime immédiatement. Révolution raconte sans dogmes des trajectoires individuelles ignorées de la grande Histoire. C'est une vaste fresque populaire et sensible où s'entrecroisent intrigues et complots multiples dans un climat social et politique délétère minutieusement et très sérieusement documenté. On crie encore ici et là “Vive le roi” ou “Vive Necker” dans les bulles quand débute le volume alors que la disette et la colère contre les spéculateurs de la faim gronde partout, que les débats et les joutes oratoires vont bientôt enflammer la salle du Jeu de Paume, que la soldatesque se masse à la périphérie de Paris, que courent les plus folles rumeurs et les libelles les plus désastreux... le dessin parfois frénétique et le scénario suggèrent toujours les événements majeurs sans faire de référence explicite aux dates dont toutes les mémoires conservent peu ou prou la chronologie explosive. Comme une respiration bienvenue dans la furie générale d'un album sous tension chaque début de chapitre (il y en a onze) recadre “en off” les événements grâce aux souvenirs écrits d'un voyageur Anglais fictif, Nathanaël Pym, témoin extérieur à la Révolution et devenu l'ami de l'un des deux protagonistes bretons auxquels on s'attache vite, Abel de Kervélégan, que son scepticisme à l'égard des nouveaux faiseurs de constitutions siégeant à Versailles oppose fraternellement à son jumeau Augustin (qui a bien existé), député de Quimper élu du Tiers et farouche défenseur d'une représentativité qu'il appelle à se renforcer rapidement.

Révolution est un roman labyrinthique de trois-cent-vingt-sept pages où l'oeil peut s'égarer facilement dans des cases grouillantes et fourmillantes, à travers des mouvements de foule spectaculaires oppressants (chapitre VI et VII), où l'attention est sans cesse sollicitée et bousculée. S'y côtoient personnages fictifs et réels d'horizons distincts avec quelques figures historiques à l'occasion (Barnave, Lameth, Mirabeau, Marat, Cazalès, Robespierre...), évoluant dans l'atmosphère survoltée du Paris contrasté de la fin du dix-huitième siècle : aristocratique, industrieux et miséreux (dont Marie la fillette borgne de la première page fait partie) : Avenues élégantes, chiens errants et cochons vautrés sur le pavé, hôtels particuliers, carrosses et ruelles mal famées ou encombrées d'échoppes d'artisans ou de masures, attelages et charrettes, carrioles en files serrées aux barrières d'octroi, relégués et fous et folles de Bicêtre ou de la Salpêtrière. Mais Paris prête aussi son cadre topographique et architectural exceptionnel aux deux auteurs qui s'en saisissent ici magistralement pour faire exister la ville dans l'oeuvre – ses toits et ses ponts, ses boyaux souterrains, ses églises, une carte des faubourgs avec le mur d'octroi offerte en double page ici, les Bains chinois (p. 68) ou le Café Amaury (Versailles) disparus aujourd'hui redécouverts là, la mairie d'avant le grand incendie de la Commune, le quartier du Palais-Royal etc.) Au tout début et à côté de Marie il y a aussi Louise désemparée, qui perd son emploi de servante et la famille de Sabournin, un étrange complotiste (qui ressemblerait presque à Éric Zemmour) éditeur d'une feuille de propagande “Le Lys ardent” et, plus loin un bel aventurier ancien disciple de Diderot rallié à la cause des émeutiers ; quelques autres figures, dames poissardes (Reine Audu) ou fort des halles, plus hautes en couleur, complètent une galerie dont le Tome 2 décidera de la suite du destin... La loi martiale brutalement proclamée par l'Assemblée clôt ce volume épique dont seule l'épaisseur pourrait être discutée, éternel débat, qui ne doit rien entamer de la curiosité à le découvrir.

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