Contraste, opposition, oxymore : le titre déjà donne le ton. Puis dans une adresse préalable au lecteur, l'auteur prévient qu'il ne faudra pas s'attendre à un traité académique ni dans la forme ni dans le fond. À partir de souvenirs personnels, d'anecdotes, et de notes retrouvées dans les carnets où il rassemble depuis l'adolescence comptes rendus de lecture et citations, il a organisé et rédigé des réflexions éparses qui le passionnent, depuis l'enfance pour certaines : la sagesse des simples, la bêtise savante, l'aveuglement intellectuel, l'idiotie créatrice, l'insouciance de l'imbécile heureux, le (bon) sens commun, la conceptualisation abusive, la course au progrès illimité, le danger de la rhétorique, la nostalgie pour la perte de la bêtise innocente, etc.
J'avoue avoir calé parfois quand Denis Grozdanovitch se lance dans des développements érudits et complexes, voire abstrus, ou fait référence à des notions qui me sont étrangères, comme la controverse talmudique ou la pensée chinoise antique. N'avoir pas toujours été d'accord, aussi. Par exemple avec le dénigrement trop facile de l'architecture de la Bibliothèque François Mitterrand où Grozdanovitch dit s'être rendu (une seule fois ?) pour une conférence sur Rémy de Gourmont qu'il admire énormément. Une architecture faite pour décourager de la lecture ironise-t-il. Pas d'accord : les salles de consultation sont magnifiques, et j'ai déjà dit sur mon blog le plaisir que j'ai trouvé à y "travailler". C'est comme son activisme contre l'angélisme technologique. Je le trouve excessif, mais c'est sans doute parce que j'ai eu une formation plus sciences et techniques que lettres. Une question de point de vue... qu'un perspectiviste comme l'auteur devrait pouvoir comprendre !
Mais même quand je n'ai pas tout compris, j'ai beaucoup apprécié le style, l'humour, le rythme de cet essai beaucoup plus sérieux que son titre ne laisse penser. Grozdanovitch a la dent dure quelquefois, et ses cibles (jamais anonymes) en prennent pour leur grade, ironiquement mais jamais méchamment. Ses admirations, ses modèles, avec en tête Flaubert, sont gâtés à proportion inverse (Powys, Bernanos, Valéry, Sartre, Musil, de Gourmont, de Gaultier, Léautaud, Pinter, van Boxsel, etc.).
Ce qui est super après une telle lecture qui milite pour la sympathie envers la bêtise, c'est qu'on a moins peur de proférer des inepties. J'ai moins de complexe à dire que ce sont les anecdotes personnelles qui m'ont fait le mieux comprendre les pensées de l'auteur, ses démonstrations. Grozdanovitch est un magnifique conteur d'histoires. Il y a le cousin Valentin et son âne. le père de Denis et son répertoire de riches imbéciles diplômés, membres du tennis-club de Mesnil-le-Roi dont son grand-père est le gardien. Un peu plus tard au lycée de Saint-Germain-en-Laye : une amitié remarquable, et un professeur de maths extraordinaire, Monsieur Defraie, qui préfigure l'idéal d'humain ouvert, dénué de certitudes, libre et non-conformiste, de son élève.
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