Manifestement
Jean-Claude Grumberg devait être d'une humeur sombre et angoissée lorsqu'il a écrit ce drame en 1970. Pour faire simple sa pièce est une transposition parodique de la montée des fascismes. La mention que l'on trouve parfois dans le générique de certains films « toute ressemblance avec des personnes vivantes ou ayant vécues est purement fortuite » pourrait s'appliquer là. Car il y a une sorte de parti pris à la
Hergé où le royaume d'Ottenburg n'est pas sans rappeler la Bordurie de l'Affaire Tournesol, avec ces personnages caricaturaux et bouffons. Or, à la différence de celle d'
Hergé la bouffonnerie de Grumberg est lourde, oppressante et ne prête pas à rire.
L'Ottenburg est un royaume qui jouxte le grand duché de Barembak. Les costumes, les armes, la cour, les rituels tout semble rappeler une espèce de Moyen Âge d'opérette. Un vénérable monarque règne tranquillement sur une population de serfs. Son union avec une pure Ottenbourgeoise a donné quatre enfants : d'abord trois fils et une fille (la dynastie ne pouvait pas rêver mieux ). le fils aîné, qui succèdera à son père, est accompagné d'un précepteur bossu qui doit le préparer aux grandes fonctions qui l'attendent. Les deux autres enfants mâles : l'un est un esthète, délicat et très cultivé, l'autre un homme d'action qui manie l'épée avec habileté et courage, la cadette, elle, rêve du prince charmant qui ne manquera pas de jouer de la mandoline sous sa fenêtre. le précepteur difforme a un travail colossal à accomplir, car le fils aîné du nom d'Amorphe ne sait pas parler : il réussit à peine à beugler la première voyelle de son nom. Pour le reste c'est un garçon charmant si ce n'est qu'il bave un peu trop, défèque partout et s'endort n'importe où. Afin de stimuler l'intérêt de son élève le pédagogue encourage la seule prédisposition dont est doté Amorphe : le meurtre. Ainsi tous deux courent les campagnes à la recherche de quelque quidam propre à être trucidé. le grand plaisir du Dauphin c'est l'assassinat par l'arrière, en traître ; son choix se porte principalement sur des individus chétifs soit qu'ils sont trop vieux, trop jeunes ou trop invalides. La dague, son arme de prédilection, est maniée avec une parfaite maîtrise, soit pour poignarder ou pour égorger, c'est selon l'inspiration. de cette manière, au fil de son apprentissage, il libère le pays d'une charge inutile d'individus improductifs, telle est, en tout cas la manière dont le souverain considère les agissements de son fils. Agissements qui bénéficie de l'immunité royale. Il y a bien quelques personnes conscientes de l'ignominie du procédé qui tentent de s'opposer à Amorphe et au précepteur. Malheureusement pour eux tous, qu'ils soient combatifs et courageux, délicats et subtils, joyeux et inventifs ils seront tous frappés dans le dos.
Tout le reste de la pièce n'est plus qu'une débauche de meurtres tous plus ignobles les uns que les autres. Chaque crime offre à Amorphe toujours plus de pouvoir, lorsqu'enfin il commet le crime des crimes, à savoir celui de son père il accède enfin au pouvoir suprême ; et ce n'est pas le fait d'être un parfait demeuré qui l'empêchera de régner.
Cette pièce, qui a aujourd'hui quarante-quatre ans, sans doute se référait plus directement au nazisme et à son émergence, cependant ce texte contient beaucoup d'éléments qui malheureusement semble retrouver une nouvelle actualité.