Il se rappela ce que sa mère lui avait dit il y avait longtemps : « Quand on possède quelque chose de beau, de précieux, il faut le garder pour soi et ne surtout pas le montrer aux autres. »
Ils se retrouvèrent donc sur la rive. Mais que faire ensuite ? Gon se sentit de nouveau mal à l'aise. Personne n'avait vraiment besoin d'un guide pour voir la rivière, en dehors des écoliers en visite obligatoire. Gon se rendit compte qu'il ne connaissait pas le nom des plantes aquatiques qui pous- saient sur la berge ou des poissons qu'il croisait souvent dans l'eau, et qu'il n'avait jamais cherché a les apprendre. Il était très embarrassé de n'avoir rien a lui expliquer ou à lui raconter sur les lieux. En fait, il n'avait jamais pensé que le nom de toutes ces créatures avait une quelconque importance, puisqu'on pouvait les appeler comme on voulait sans que ça dérange personne. Tant qu' elles étaient en vie, leur nom pouvait changer en fonction de la personne qui les nommait.
Que ce soit un homme, un poisson ou le monstre du Loch Ness, ça m'est bien égal. L'important, c'est que cet être m'a donné une seconde chance de vivre, et maintenant il faut absolument que je rentre chez moi et que je gagne de l'argent pour payer les soins de ma mère. S'il m'arrivait à nouveau la même chose - ce qui est peu probable à mon avis -, je ferais tout ce que je pourrais pour nager jusqu'à la rive, car l'heureuse rencontre avec cet homme-sirène ne se reproduira pas, je le sais bien. Je ne pourrai compter que sur moi-même, tout comme je dois me débrouiller seule dans cette société qui a tout d'une eau sans fond."
Son cœur battait à tout rompre. Il eut soudain l’impression que sa vie n’était qu’une fine couche de glace prête à céder à tout moment, mais qui résistait tant bien que mal à condition que personne ne vienne la piétiner avec des chaussures pleins de terre.
Alors le corps de Gon glissait vers les profondeurs sombres du lac et disparaissait peu à peu, telle une étoile absorbée par un trou noir.
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L'ambivalence des sentiments n'a aucune logique.
Pourquoi la plupart des gens se contentent-ils de visiter en troupeau les sites célèbres, pour y passer juste quelques minutes, le temps de prendre quelques photos, avant de repartir aussi vite ? Pourquoi leurs voyages se résument-ils à ça ?
(...) il ne suffit pas d'avoir le nez et les poumons solides pour pouvoir respirer quand on est enfermé comme un ver à soie dans son cocon de fils ; nous avons tous besoin d'être entourés de ces êtres qui sont pour nous aussi indispensables que les branchies aux poissons (...) (Un mot de l'auteur)
- Vous habitez près d'ici, vous n'avez jamais entendu des bruits d'eau par exemple ou un clapotis venant du lac, la nuit ?
- Qui a dit que j'habitais près d'ici ? Les seules choses qui sortent de l'eau, ce sont les poissons, que voulez-vous que cela soit d'autre ?
Quel que soit leur sexe ou leur nombre, Gon n'était pas très à l'aise avec les gens. Il était peu habitué à entretenir des relations nécessitant de l'improvisation et de la sociabilité.
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