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EAN : 9782253159643
736 pages
Le Livre de Poche (24/08/2011)
  Existe en édition audio
4.14/5   3547 notes
Résumé :
Michel Marini avait douze ans en 1959. C'était l'époque du rock'n'roll et de la guerre d'Algérie. Lui, il était photographe amateur, lecteur compulsif et joueur de baby-foot au Balto de Denfert-Rochereau.
Dans l'arrière-salle du bistrot, il a rencontré Tibor, Léonid, Sacha, Imré et les autres. Ces hommes avaient tous passé le Rideau de fer pour sauver leur vie. Ils avaient abandonné leurs amours, leur famille, leurs idéaux et tout ce qu'ils étaient. Ils s'éta... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (407) Voir plus Ajouter une critique
4,14

sur 3547 notes
J'ai lu ce livre de 750 pages en 3 jours, sans l'ombre d'un ennui. Bien au contraire ! Jamais entendu parler de l'auteur, Jean-Michel Guenassia, avant cette rentrée littéraire ! Normal, c'est son premier roman et quel roman ?!

Michel Marini, le pivot de ce récit, va fréquenter le Club des incorrigibles optimistes d'octobre 1959 à juin 1964. Cela bouleversera sa vie.

En 1959, Michel est un petit parisien de 12 ans plus passionné par la lecture et le baby-foot que par ses études. Son temps libre, il le passe principalement au Balto, troquet tenu par d'authentiques Auvergnats à Denfert-Rocherau. Michel est un garçon curieux et si les parties de baby-foot ne souffrent pas d'amateurisme, cela ne l'empêche pas de prêter une oreille attentive aux discussions enflammées de ses ainés, jeunes gens fortement engagés politiquement, tels son frère, Franck et son ami Pierre qui partiront pour la guerre d'Algérie, déterminés à tout révolutionner, quitte pour cela à devancer l'appel. En attendant, de fortes amitiés se créent. Michel découvre le rock'n roll, les dissenssions politiques et littéraires et le Club des incorrigibles optimistes. C'est un club d'échec dans l'arrière-salle du Balto où parfois Sartre et Kessel se joignent aux autres membres. "C'étaient quasiment tous des gens des pays de l'Est. Des Hongrois, des Polonais, des Roumains, des Allemands de l'est, des Yougoslaves, des Tchécoslovaques, des Russes, pardon, des soviétiques reprenaient certains. Il y avait même un Chinois et un Grec." Tous avaient quitté leur famille et leur pays dans des "conditions dramatiques et rocambolesques". Mais de cela, ils n'en parlaient jamais et il faudra du temps à Michel pour rassembler les pièces du puzzle de leurs vies.

Ce roman est d'abord un roman sur la trahison. Tous les personnages (ou presque) ont trahi un proche ou leurs idées. En face, bien sûr, il y a le pardon. Mais la trahison est-elle pardonnable ? C'est la question que va vite se poser Michel. Mais ce n'est pas le seul souci du jeune homme qui découvre que vivre, c'est apprendre à perdre et que la psychologie humaine est particulièrement complexe. Heureusement pour lui, Michel a des antidotes à tous les maux : la littérature, la photographie et la cinémathèque de la rue d'Ulm. Et puis, il y a l'Amour...

Jusqu'en 1964, petits et grands événements ne laisseront aucun répit à ces destinées peu ordinaires, composant un livre si dense qu'il est difficile de le résumer.

Avec un rythme impeccable, une documentation sans failles, du rire, des larmes, cet ouvrage est captivant, on ne peut plus le lâcher une fois commencé... Sa construction est parfaite, très élaborée. Jean-Michel Guenassia écrit plusieurs romans dans un roman, plusuieurs histoires qui se dévorent sans qu'on se sente égaré.

Il y a aussi la question que l'on se pose forcément : Joseph Kessel et Jean-Paul Sartre fréquentaient-ils le même bistrot et aidaient-ils les réfugiés politiques ?

Je vous conseille fortement cette lecture qui laisse "échec et mat" et qui se lit comme on boit une vodka : d'un coup !

Bref, un livre formidable ! Il sonne si vrai qu'on en oublie parfois que c'est un roman.
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Je vois 285 critiques sur ce livre. Aïe aïe aïe! comment m'y prendre pour intéresser un ou deux lecteurs.. et pourtant, j'ai tellement aimé ce roman que je ne résiste pas au plaisir d'en parler!

Lorsque l'histoire débute, nous sommes encore à l'époque bénie où Montparnasse, Saint Germain, et "le boul'miche" se disputent la vedette. Il y a les bourges, et les communistes. Les bourges habitent les appartements haussmanniens, les femmes, souvent au foyer ont des permanentes gaufrées et leurs maris roulent en DS. Les classes populaires prennent l'autobus. Les chauffeurs de taxi sont souvent russes. France soir tire à plus d'un million d'exemplaires, les jeunes en blue-jean dansent le rock'n'roll dans les surboum. A chaque coin de rue un "bougnat" ouvre un café ou chacun peut jouer au baby foot. Michel Simon, Tino Rossi et Pierre Fresnay sont des vedettes incontestées. C'est aussi et surtout la guerre d'Algérie.
C'est dans cette ambiance tout-à-fait particulière que Jean-Michel Guenassia a choisi de planter le décor de son roman.

Le personnage principal Michel Marini a douze ans. C'est à lui qu'incombe la lourde tâche de nous raconter cette histoire qui m'a tenue en haleine pendant 750 pages.

Le petit Michel se débrouille vaille que vaille entre ses compos de math où il n'excelle pas vraiment, une mère autoritaire et ambitieuse issue d'un milieu choisi, et un père tendre et compréhensif, issu lui de la classe ouvrière et rital de surcroît. L'ambiance n'est pas facile à la maison et Michel se réfugie dans un café "Le Balto" où il rencontre des réfugiés russes, roumains, polonais et deux personnages célèbres: Jean-Paul Sartre et Joseph Kessel.


C'est dans l'arrière salle du Balto que vont se dérouler des parties d'échecs animées. C'est dans cette salle que vont se nouer des amitiés solides, des confidences de la plus haute importance, des intrigues et des combats.
C'est dans cette salle que Michel va s'initier aux échecs bien sûr mais pas seulement. Il va côtoyer un monde parfois absurde où le partage des idées et des biens est le seul remède à l'insoumission à la précarité et au déracinement. Michel s'appuie sur cette expérience riche et variée pour apprendre la vie.

Cette histoire, sans pathos, conserve un rythme incroyable. Nous sommes sans cesse "balancés" de l'histoire personnelle des Marini à L Histoire mondiale sans que cela nuise au récit. Les ponts sont établis et tous les événements se tiennent habilement ce qui permet de maintenir la structure romanesque. lorsque l'on adhère à cette histoire on se déconnecte de notre époque pour plonger dans une ambiance propre aux années soixante.

Les personnages deviennent rapidement familiers. Ils sont nombreux certes mais la structure de l'histoire permet de les assimiler sans peine.
J'ai personnellement fait un parallèle entre les parties d'échecs tranquilles mais néanmoins stratégiques et le pari sanglant de la guerre. Entre le roi qui est menacé de capture et le soldat qui se bat. Entre le déplacement des pièces du jeu et le déplacement des réfugiés qui sont parfois dans une situation délicate.
Echec et mat!




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Je referme ce compagnon de route de quelques semaines avec un léger parfum de nostalgie.
Ce livre mêle la petite histoire à la grande avec élégance et émotion.
Le Paris des années soixante, son café de la Place Denfert Rochereau, symbole du foisonnement intellectuel nous est dépeint à travers le regard d'un adolescent, Michel, qui s'ouvre à la vie et à la politique.
Je pense à "Une vie française" de Jean-Paul Dubois ou au film "Skylab"de Julie Delpy qui nous décrit de façon humoristique les vacances d'une famille française à la fin des années 70, et nous livrent avec grâce le doux témoignage d'un temps révolu: celui de l'enfance, la nôtre, celle de nos parents dont nous sommes si friands.
Le cercle des incorrigibles optimistes a le merveilleux pouvoir de réveiller l'enfant, l'adolescent qui sommeillent en chacun de nous.
Je rejoins donc le cercle très large de ceux qui ont été profondément touchés par ce beau roman.
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Ce roman est juste une pépite, une belle, une vraie.. une pépite qui fait que tu laches toutes tes lectures en court juste pour pouvoir te consacrer a celle-ci.

Et dire que ce roman aurait pu ne pas venir entre mes mains...récemment j'ai vu le titre passer sous mes yeux sur babelio. Et il ne m'en a pas fallu plus. J'ai lu dans le maître des livres de Umiharu Shinohara que c'était les livres qui nous choississaient et là avec ce roman je pense que c'est complètement vrai.

Un roman qui ne paye pas de mine : c'est l'histoire d'un ados Michel qui rencontre des gens de son âge, plus vieux, plus jeunes, venus d'autres horizons.. et toutes ses rencontres vont forger sa vie.
Mais ce qui fit la force de ce roman c'est la narration simple, prenante et réaliste. L'auteur arrive a laisser trainer certaines questions, ce qui te pousse a vouloir en savoir plus. Et si ce roman peut sembler léger au premier abord il est en fait d'une grande complexité. Les personnages le sont déjà complexes.. mais ne le sommes pas tous par notre passé, notre expérience ?

J'ai tout simplement dévoré les pages les unes après les autres (j'ai même ralé du changement d'heure.. non pas parce que je perdais une heure de sommeil, mais une heure de lecture) , j'ai eu des frissons , de la joie, de la haine, de l'incomprehension tout au long du récit de Michel... mais j'ai été passionnée par sa jeunnesse, ses rencontres. Et franchement j'aurais bien voulu m'asseoir une heure ou deux à une table du Balto pour le rencontrer ainsi que ses amis. Et c'est pour moi ce qui fait un très grand roman.
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Ce roman nous raconte l'histoire de Michel et de sa famille et s'étale d'octobre 1959 à 1964.

Il s'agit d'une famille dysfonctionnelle : la mère, bourgeoise de la famille Delaunay, a épousé un employé de la maison, immigré, d'origine italienne, au grand dam de ses parents. Ils se sont mariés au retour de la guerre, où le père a connu le stalag.

Un mariage un peu bancal ce qui n'est pas sans effets secondaires sur leurs trois enfants : Franck qui part en Algérie, Michel, notre héros et une petite soeur.

Il y a des heurts à propos de l'éducation des enfants, car la mère est psychorigide, alors que le père est plus compréhensif, sinon permissif.

Franck a des opinions bien arrêtées, communiste

Michel trouve un espace de liberté en jouant au babyfoot au Balto tenu par un couple d'Auvergnats et un copain de Franck, Pierre, devient son confident, lui fait découvrir le rock and roll, avec sa collection de disque fabuleuse, les livres.

Un jour, un rideau l'intrigue et il décide de jeter un oeil, pour voir ce qu'il se passe derrière, et il découvre des hommes jouant aux échecs.

« Mû par la curiosité, j'ai écarté le rideau. Une main malhabile avait inscrit sur la porte : « Club des Incorrigibles Optimistes ». le coeur battant j'ai avancé avec précaution. J'ai eu la plus grande surprise de ma vie. J'ai pénétré dans un club d'échecs. »

Ce sont des hommes qui ont dû s'exiler, sous le règne de Staline, sous l'emprise soviétique, du rideau de fer ; ils ont dû fuir leurs pays dans des conditions difficiles : URSS mais aussi Hongrie, Allemagne de l'Est, Grèce… . Ils sont désormais apatrides, ne parlent jamais de ce qui leur est arrivé, des raisons de leur exil à chacun et on devine qu'il y a eu de trahisons.

Ils ont des noms et des accents qui chantent, ils s'appellent Virgil, Igor, Pavel, Vladimir, Imré , Tibor ou encore Leonid…

Mais Michel croise aussi Sartre et Kessel que tout oppose mais qui prennent du plaisir dans leurs parties d'échecs.

J'avoue un petit faible pour Leonid qui pilotait fièrement son Tupolev et qui est passé à l'Ouest par amour!

J'ai dévoré ce roman, les personnages m'ont beaucoup plu, bouleversée, tant leurs personnalités sont bien trempées, cachant leur fragilité derrière leurs propos provocateurs, la souffrance de l'exil. Même la famille est attachante tant elle est écorchée, et la manière dont Michel évolue entre ce milieu familial rigide qui l'étouffe, où l'on se dispute, et ses rencontres avec les Incorrigibles ou avec Pierre (ou Cécile qui fait le pont entre eux) qui sont autant de bouffées d'oxygène est très intéressante.

L'écriture est fluide, pleine de grâce, de légèreté, alors que le sujet est loin de l'être et on se laisse emporter dans ce tourbillon. On ne voit pas passer les 730 pages, on aimerait que cela dure encore. C'est un rayon de soleil en ces temps tristounets…

J'ai découvert l'auteur avec « La valse des arbres et du ciel » qui m'a beaucoup plu et j'ai mis une option sur « La vie rêvée d'Ernesto G. »

Ce roman a reçu le Goncourt des lycéens en 2009 (je suis beaucoup plus souvent en accord avec le jury des lycéens, le Goncourt me laissant souvent perplexe) ainsi que le prix des lecteurs Notre Temps. Prix amplement mérités.
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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critiques presse (4)
LeJournaldeQuebec
26 avril 2021
Avec plus de 180 000 exemplaires vendus, Le club des incorrigibles optimistes a conquis bien des cœurs.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
Lecturejeune
17 février 2012
Lecture Jeune, n°132 - décembre 2009 - Paris 1980, une foule s'est rassemblée au cimetière Montparnasse pour rendre un dernier hommage à celui que l'on devine être Jean- Paul Sartre. Michel, le narrateur, y retrouve Pavel, un vieux monsieur qu'il n'a pas revu depuis quinze ans. Commence alors le récit de son adolescence parisienne, de 1959 à 1964. Très jeune, il cherche à échapper à l'atmosphère familiale contraignante. Il partage son temps entre le lycée Henri IV et le café Le Balto, place Denfert-Rochereau où il devient un as du baby-foot. C'est un garçon passionné de littérature, de photographie et en admiration devant son frère aîné, Franck, et ses amis Pierre, le révolté et sa soeur Cécile. Mais sa vie bascule quand il découvre, dans l'arrière-salle du café, « le club des incorrigibles optimistes ». Ce sont des exilés des pays de l'Est qui ont fui la terreur stalinienne et les régimes communistes pour sauver leur peau, abandonnant leur famille, leurs biens et leur statut social. Chacun raconte sa vie de déclassé, contraint à la misère et aux petits boulots dans une France qui ne veut pas les intégrer. Dans ce bistrot chaleureux, tenu par un couple d'auvergnats, ils se livrent à leur passion, les échecs, tout en discutant bruyamment politique. Michel y croise Sartre et entend parler de Kessel, de Noureev. Il y découvre que, malgré leurs engueulades, ces hommes sont généreux et solidaires. Son initiation se poursuit sur fond de guerre d'Algérie, la désertion de son frère, et le divorce de ses parents, mal assortis. C'est dans ce chaos qu'il rencontre l'amour et Sacha, personnage étrange dont la mort atroce lui donne la clé de tous ces mystères.
C'est un roman-fleuve ambitieux qui rend sensible toute une époque dans son quotidien comme dans ses enjeux politiques historiques. Cette abondance de références peut constituer un obstacle à la compréhension sauf si on se laisse emporter par les récits d'amours romanesques, des parties d'échecs mémorables, des fêtes russes à tout casser. L'auteur a su maîtriser son récit, trouver le ton juste, l'humour, pour exprimer la formidable énergie et la profonde humanité qui permet de survivre aux idéaux perdus. Colette Broutin
Lire la critique sur le site : Lecturejeune
Telerama
07 septembre 2011
Sans être démonstratif, Jean-Michel Guenassia dresse le portrait de la France gaulliste, invite Kessel et Sartre à sa table, glisse sans effort de la chronique familiale au récit épique et réussit un vrai roman populaire.
Lire la critique sur le site : Telerama
Lexpress
06 septembre 2011
Ce récit alerte d'une jeunesse française sur fond de guerre d'Algérie est un grand moment de lecture !
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (692) Voir plus Ajouter une citation
J'étais un lecteur compulsif. (...) Je lisais en marchant. Il me fallait quinze minutes pour aller au lycée. C'était un quart d'heure de lecture qui s'étirait en une demi-heure ou plus. J'arrivais souvent en retard. (...)
J'ai fini par classer les écrivains en deux catégories : ceux qui vous laissaient arriver à temps et ceux qui vous mettaient en retard. Les auteurs russes m'ont valu une ribambelle de colles. La période Tolstoï a été un mois noir. La bataille de Borodino a entraîné trois heures de colle. Quand, quelques jours plus tard, j'ai expliqué à l'appariteur que mon retard était dû au suicide d'Anna Karénine, il a cru que je me foutais de lui. J'ai aggravé mon cas en avouant que je n'avais pas compris pour quel motif elle se suicidait. J'avais été obligé de revenir en arrière par peur d'en avoir manqué la raison. Il m'a collé pour deux jeudis : un pour ce énième retard, l'autre parce que c'était une emmerdeuse qui ne méritait pas autant d'attention.
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C'est Staline, un matin, il se lève. Il fait très beau. Il s'adresse au soleil : Soleil, dis-moi qui est le plus beau, le plus intelligent, le plus fort? Le soleil n'hésite pas une seconde : C'est toi ô Staline, lumière de l'univers! A midi, Staline remet ça : Dis-moi Soleil, qui est le plus brillant, le plus génial, le plus remarquable homme de tous les temps? Le soleil confirme : C'est toi ô immense Staline. Avant le dîner, Staline ne peut résiter au plaisir de redemander au soleil qui est le meilleur communiste du monde. Le soleil lui répond : T'es qu'un malade, Staline, un psychopathe, un fou furieux et je t'emmerde, maintenant je suis passé à l'Ouest!
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J'ai un problème avec la logique. Je n'ai jamais compris comment on pouvait dire une chose et son contraire. Jurer qu'on aime quelqu'un et le blesser, avoir un ami et l'oublier,se dire de la même famill et s'ignorer comme des étrangers, revendiquer des grands principes et ne pas les pratiquer, affirmer qu'on croit en Dieu et agir comme s'il n'existait pas, se prendre pour un héros quand on se comporte comme un salaud.
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Gregorios était professeur de latin et de grec ancien dans une dizaine de cours privés. Cette activité le faisait courir d'un bout à l'autre de la région parisienne pour dispenser son précieux savoir. Les seules écoles qui lui proposaient du travail étaient tenues par des prêtres ou des bonnes sœurs qui mettaient un point d'honneur à maintenir actif l'enseignement des langues mortes mais Gregorios haïssait les églises en général et les curés en particulier. A son arrivée à Paris, ancien professeur de français au lycée de Patissia à Athènes, Gregorios s'attendait à être accueilli à bras ouverts. L’Éducation nationale lui avait répondu qu'il n'avait pas les diplômes requis pour enseigner en France. Le seul boulot qu'il avait trouvé, c'était à Sainte-Thérèse, une institution pour jeunes filles comme il faut du XVIe arrondissement. Son recrutement avait été d'une rapidité miraculeuse. Le père directeur l'avait fait asseoir devant lui, l'avait toisé et, sans formalités, avait commencé à lui parler en latin. Gregorios lui avait répondu du tac au tac et, pendant une heure, ils avaient bavardé. Le père directeur l'avait recruté sur-le-champ, lui faisant confiance pour le grec qu'il ne pratiquait pas. A chaque fois qu'ils se croisaient, ils échangeaient dans la langue de Virgile.
- Tant que nous parlerons ensemble, lui disait-il en latin, ce ne sera pas une langue morte.
Gregorios devait avoir une façon personnelle et vivante d'enseigner. Ses élèves avaient eu au baccalauréat des notes qui dépassaient, et de loin, leurs pitoyables et habituels résultats. Ce fut le point de départ de sa nouvelle carrière. Le père directeur qui l'avait pris en affection lui avait obtenu un permis de séjour et une carte de travail en un rien de temps. Il était si content de ses services qu'il l'avait recommandé à ses collègues de l'enseignement catholique. Gregorios était devenu la référence incontournable pour les humanités des institutions religieuses de l'archevêché de Paris. Plus on le réclamait, plus ça le mettait dans une rage proche de l'apoplexie. Il dissimulait sa répulsion pour les soutanes, leur prêchi-prêcha et ces familles bien-pensantes pour qui le catéchisme était fondamental, en se disant, pour se soutenir dans son calvaire quotidien, que ces religieux n'étaient pas grecs et n'avaient rien à voir avec les monstruosités commises dans son pays et bénies par l’Église orthodoxe. Il était mal payé et complétait son revenu en donnant des leçons particulières à ses débiles d'élèves. Il rencontra ainsi le père désespéré d'un de ces imbéciles qui fut émerveillé par son savoir et lui demanda de devenir sa plume. Gregorios hésita. C'était un député poujadiste, ignare, stupide et réactionnaire, dont l'unique conviction était de détester les rouges. Il accepta sous la pression comminatoire de son épouse et parce que les Grecs ont inventé le discours. C'était sa façon de poursuivre l’œuvre de Démosthène et de Périclès. Il truffait ses allocutions de citations grecques et latines qui faisaient l'admiration des parlementaires unanimes, lesquels applaudissaient avec chaleur ce collègue si cultivé. Il nous prenait à témoin de ses cas de conscience et de ses dilemmes. Pavel, qui était son meilleur ami et son partenaire attitré, l'écoutait avec politesse. Très vite, ses soliloques se terminaient par un :
- Si je dis ce que je pense des curés, ils me foutront à la porte. Je suis coincé.
- Ce n'est pas grave, lui répondait-il. Tu n'es ni le premier ni le dernier à te vendre pour un plat de lentilles. [...]
Gregorios aurait pu retourner en Grèce après l'amnistie. Mais il était tombé amoureux de Pilar, une jeune femme discrète aux traits fins, fille de réfugiés républicains et qui enseignait l'espagnol dans un de ces cours privés. C'était une famille fréquentable. Ils pouvaient se raconter les trahisons, les horreurs et les ignominies de leurs guerres civiles respectives. Gregorios découvrit sans surprise que l’Église catholique espagnole valait en abominations et en abjections son Église orthodoxe grecque. Pour les beaux yeux de Pilar qui voulait pas se séparer de sa famille, il renonça à retourner au pays et se transforma en Parisien. Ils se marièrent et, pour lui faire plaisir et en dépit de ses convictions, il accepta le mariage religieux. Ses amis se moquèrent de lui. Il se fâcha avec eux. Ils s'installèrent dans un petit appartement à la porte de Vanves et eurent trois enfants. Pilar se transforma en bigote imprévue et intraitable qui le traînait à la messe et aux vêpres sans lui demander son avis, ne ratait aucune fête et vouait une vénération mystique à Jean XXIII. Entre Pilar, son député devenu gaulliste de gauche et ses curés nourriciers, Gregorios avait peur de se renier, de finir calotin et subissait cette triple calamité telle une fatalité. Un fardeau qu'il portait comme Sisyphe, les Grecs, en plus de la sculpture, de la littérature, de la philosophie, de l'architecture, de la politique, de la stratégie, du sport et des compétitions sportives, ayant aussi inventé la mythologie.
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Longtemps, j’ai vécu dans l’ignorance la plus totale de l’histoire de ma famille. Tout était parfait ou presque dans le meilleur des mondes. On ne raconte pas aux enfants ce qui s’est passé avant eux ? D’abord ils sont trop petits pour comprendre, ensuite ils sont trop grands pour écouter, puis ils n’ont plus le temps, après c’est trop tard. C’est le propre de la vie de famille. On vit côte à côte comme si on se connaissait mais on ignore tous des uns et des autres. On espère des miracles de notre consanguinité : des harmonies impossibles, des confidences absolues, des fusions viscérales. On se contente des mensonges rassurants de notre parenté.
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