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Critique de Presence


Ce tome comprend les épisodes 12 à 18 de la série, parus en 2008. Il fait suite à Casino boogie (épisodes 6 à 11). Il faut impérativement avoir commencé la série par le premier tome. Tous les scénarios sont de Jason Aaron.

Épisode 12 (illustrations de John Paul Leon) - Dashiell Bad Horse passe une nuit pénible, seul chez lui. Il réfléchit à sa situation d'agent double, aux risques inhérents, à sa condition. Aaron s'attarde sur ce personnage pour donner quelques éléments d'informations supplémentaires sur son parcours, pour définir son état d'esprit. C'est également l'occasion pour lui d'approfondir la condition d'amérindien. le discours de Lincoln Red Crow sur la réserve permettait au lecteur de bien comprendre qu'Aaron n'avait pas choisi le lieu de son intrigue au hasard. Avec cet épisode, le scénariste montre que ces personnages ne se contentent pas d'avoir la peau cuivrée ; ils ont grandi dans un milieu indien, ils sont imprégnés de cette culture, ils sont indiens appartenant à différentes tribus. Aaron inscrit la réserve et ses habitants dans l'histoire de ce peuple, ses croyances et ses coutumes. Il s'agit d'un parti pris risqué qui peut vite tourner à la caricature réductrice ou à la simplification exotique prédigérée pour tourisme de masse. Ici Aaron montre que son honnêteté de créateur l'amène à aborder cet aspect de ses personnages. Il n'est qu'à moitié convaincant pour les croyances et la mythologie (difficile de décrire avec respect et conviction des individus animistes), il reprend toute sa force et sa pertinence lorsqu'il y associe l'histoire de ces nations. Les illustrations de John Paul Leon sont sombres à souhait, avec une bonne densité d'informations visuelles. Il sait décrire avec justesse les petits gestes quotidiens tels que l'ouverture d'une bouteille de bière sur un coin de table, ou le rasage du crâne de Dashiell. Elles sont juste un cran en dessous de celles de R.M. Guéra.

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Épisodes 13 à 17 "Mères mortes" (illustrations de R.M. Guéra) - le cadavre de femme scalpée (dernière image du tome 1) a été retrouvé dans le désert. Lincoln Red Crow se rend sur place pour rendre hommage à cette personne qu'il a bien connue. Pendant ce temps, Dashiell Bad Horse mène une descente dans un laboratoire clandestin de méthamphétamine. Il y trouve un autre cadavre de femme, ainsi que ses 5 enfants (dont Shelton l'aîné) encore en vie. Il obtient le nom de son meurtrier d'un des truands : Diesel Engine. Il s'occupe un peu de Shelton dans les jours qui suivent. Et il rencontre à nouveau son contact au FBI qui lui apprend qu'il y a un deuxième agent infiltré dans la réserve.

Après une nuit d'inauguration mouvementée et complexe au casino, Aaron revient à sa première intrigue : le destin de Dashiell Bad Horse, et sa mission d'agent double. Mais déjà la série n'est plus l'histoire d'une seule personne. Dashiell s'est incarné en tant qu'individu pour le lecteur et ces épisodes développent encore sa personnalité, ses valeurs, ses convictions, sa souffrance. Lincoln Red Crow occupe une place tout aussi importante et il incarne pleinement la génération précédente, ce qu'elle a construit et comment elle l'a construit. Aaron propose toujours un polar (intrigue policière + problématiques sociétales) brutal, méchant et viril se développant sur une intrigue machiavélique. le lecteur découvre au fur et à mesure les ramifications des actions des uns et des autres, leurs liens, le poids de leur culture et de leur éducation. Aaron réussit un roman de genre dans ce qu'il a de plus révélateur de notre société, de la nature humaine. Même la composante la plus risquée (les traditions culturelles des nations indiennes) commence à faire sens lorsque Dashiell évoque la légende d'Iktomi à Shelton.

C'est avec un énorme plaisir que le lecteur retrouve les illustrations de R.M. Guéra. L'intérim assuré par John Paul Leon, puis par Davide Furnò permet de mieux apprécier le talent de cet illustrateur. Dès la première scène (3 pages sans texte où Lincoln Red Crow se recueille devant le cadavre scalpé en plein désert), le lecteur plonge dans cette partie monde auprès de ces individus à la présence irrésistible. Dès que Red Crow apparaît il s'en dégage un incroyable magnétisme. Guéra en fait un individu imposant aux traits fermés marqués par l'âge, au langage corporel décidé, à l'allure presque régalienne. L'attitude des personnes qui l'entourent témoigne également de son aura, de son ascendant. Les apparitions de Baylis Earl Nitz permettent également de mesurer toute l'intensité de son implication dans les affaires de la réserve Prairie Rose. Là où Guéra fait encore plus fort, c'est qu'il est capable de dessiner Shelton (très jeune adolescent) de manière crédible. Rendre plausible des enfants dans un récit très noir est un tour de force que peu de créateurs peuvent se vanter de réussir. Or dans ce cas précis, Shelton est bien un enfant déjà autonome et se comportant comme un enfant de son âge, sans mièvrerie, sans que le lecteur ait l'impression de voir évoluer un adulte de petite taille. L'apparence de Mister Brass (un nouveau venu annoncé dans le tome précédent) est également inoubliable, ainsi que ses actes de torture. Guéra continue d'être à l'aise dans la représentation des différents environnements, logements ou milieu naturel.

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Épisode 18 (illustrations de Davide Furnò) - Lincoln Red Crow a confié l'enquête sur la femme scalpée à l'officier Franklin Falls Down. Cet épisode permet d'en apprendre plus sur ce personnage et ses motivations, pourquoi il continue d'être intègre et de bosser dans ce lieu sans foi ni loi. Malgré les épreuves vécues par Falls Down (à commencer par son nom indien peu flatteur, et qui n'a rien à voir avec un animal fringant), ce personnage apporte une touche positive dans cette histoire où tout le monde voit la violence sur autrui comme une bonne solution à ses problèmes et un défouloir efficace. Aaron en profite pour intégrer un autre élément folklorique : la hutte à sudation (sweat lodge) qui trouve sa place tout naturellement. Les illustrations de Furnò sont tout aussi noires que celle de Guéra, en plus griffée. le décalage graphique est plus important qu'avec John Paul Leon, mais l'ambiance de la série est respectée.

La mise en couleurs de ces épisodes est assurée par Giulia Brusco. Elle utilise des teintes qui évoquent celles de la terre rouge du désert, de la lumière implacable, des matériaux de construction bon marché. Brusco sait à la fois rester en retrait des images, faciliter leur lecture et renforcer chaque ambiance.

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Ce tome emmène le lecteur toujours plus près des personnages, plus près de leur essence, dans le cadre d'un polar toujours aussi violent, brutal, sadique et désespéré. Aaaron et Guéra réalisent l'équivalent d'un roman, en termes de densité des personnages, de complexité de l'intrigue, de substance des comportements psychologiques. Ils ne se limitent pas à tirer les bénéfices de la réserve indienne pour ce qui est de la population déshéritée, ils s'aventurent sur le territoire de l'héritage culturel des amérindiens, petit à petit, et ils s'en sortent plutôt bien. La tension continue d'augmenter dans La rage aux tripes (épisodes 19 à 24).
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