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EAN : 9782859400088
272 pages
Phébus (01/08/1991)
4.44/5   16 notes
Résumé :
Le véritable besoin profond de notre époque est un essentiel besoin d'âme : cette inquiète et sourde faim spirituelle que nos consciences déshabituées et nos organes inexercés ne savent même plus ressentir. Besoin révélateur non d'un quelconque "mal du siècle", mais d'une rupture centrale survenue au sein de la machine humaine, en mal, désespérément, d'un improbable --- et pourtant très nécessaire --- rééquilibrage surnaturel : une maladie du ciel assez grave pour ê... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Deux commentaires différents selon l'humeur :

Lire « L'amour et l'Occident » puis lire « L'âme insurgée », c'est le parcours de la contradiction.

Savoir qu'Armel a entretenu une correspondance avec Emil (Cioran), c'est l'échange de la complémentarité. Tandis que le premier s'étend dans la logorrhée dense et plombante, le second veilla à charger son lyrisme de légèreté ; tandis que le premier loue les merveilles de la poésie, le second apprend à ricaner de la mystification produite par la philosophie et le langage. Tous deux se rejoignent cependant en ceci qu'ils disent « non ! » aux évidences. Et cette exclamation définit le mieux le Romantisme selon Armel.

« le Romantisme, bien évidemment, n'a rien de commun avec la gentillette école littéraire qui fit florès en France sous ce nom ; rien de commun non plus avec la rhétorique douceâtre et la fadeur sentimentale, les rubans et les fanfreluches que l'on s'est plu souvent à attacher à ce mot. »

Hölderlin, Novalis, Kleist, Nerval, Melville et Stevenson constituent les sujets privilégiés d'Armel dans ces essais qui ne cherchent pas à expliquer l'oeuvre par l'auteur, mais l'accomplissement de l'oeuvre comme mission vouée à l'individu – celui-ci ne devenant auteur que s'il se met à l'écoute du message qui lui parvient de l'au-delà par l'exercice de sa solitude et de sa divination.

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Armel Guerne est un homme de convictions. Par exemple il pense que le Romantisme est davantage qu'une école littéraire - ce serait aussi une manière de dire non. Armel est aussi un homme d'action, et il agit bien. Par exemple il traduit des poètes réputés pour leur intraduisibilité. Hölderlin, pour en citer un. C'est un acharné, un passionné, capable d'écrire plusieurs essais différents sur le même poète sans jamais se répéter. Il fait même d'autres choses que de purs travaux littéraires, ce qui étonne toujours, on ne sait trop pourquoi. Par exemple, il fut membre d'un réseau de service secret britannique. Toutefois, nous pouvons nous en foutre car il n'en est fait mention dans ce bouquin, et je ne sais même plus où j'ai appris ça.

Pour une âme fatiguée comme la mienne, s'étant autrefois crue insurgée, ce recueil d'essais est une épreuve, une terrible confrontation de l'âme morte face à l'âme vive, un dégoût par excès de fougue – de cette fougue qu'on ne comprend plus dans les états d'abattement extrême. L'âme morte face à l'âme insurgée souffre de voir ce qu'elle était, ce qu'elle aurait pu devenir, ce qu'elle pourrait être de nouveau, peut-être, si elle avait assez de volonté. Mais où trouver cette volonté ? L'âme morte a envie de chier à la face de l'âme insurgée mais ce serait injuste. Peut-on haïr ce que l'on aimerait être si on le pouvait ?

Armel Guerne est un homme d'une autre époque. Par exemple, qui pense encore que la littérature ou la poésie pourraient encore soulever une âme ? Mon âme morte se plaît à penser qu'Armel n'aurait pu rester insurgé bien longtemps en notre époque de ridicule généralisé.
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Armel Guerne, l'insurgé du Verbe

L'âme insurgée” de Armel Guerne est une lecture salutaire à laquelle mon être tout entier se ressource. Au sein même du désert contemporain – en continuelle expansion –, il est bon d'aller se frotter au pelage d'oeuvres essentielles qui grondent comme le tonnerre ; qui éclairent de leur foudre la minuscule nuit étroite et étriquée de notre siècle.
Armel Guerne, véritable habitant du langage, chauffé au feu blanc de la Poésie – cette Parole hautement nourricière, ce lait d'aube du Verbe –, est né à Morges, en Suisse, le 1er avril 1911 et mort le 9 octobre 1980 à Marmande dans le Lot-et-Garonne. Poète et immense traducteur – entre autres de Yasunari Kawabata, de Hölderlin, de Novalis, de Heinrich von Kleist, de Martin Buber (pour les “Récits hassidiques” rassemblés par ce dernier), etc. –, Armel Guerne écrivait comme on allume des feux de signal sur les montagnes. Berger de la parole, il s'est engouffré corps et âme dans la pelure des mots, dans l'épaisse beauté de leur sang noir, dans la bouche d'or qui ressuscite les grandeurs oubliées.

Grand germaniste, il a su redonner à la figure trop galvaudée du Romantisme, son puissant souffle d'insurrection primordiale – mettant en relief ce refus du médiocre et de la bassesse qui constitue en partie cet élan de l'âme, de l'âme insurgée.

Voici ce qu'il en disait : « le grand refus posé devant vos forces déployées et brandies, vaines et implacablement. Toutes les horreurs, les viols, les arrogances, l'injustice, toutes les férocités, l'atroce surenchère de toutes les polices, la persécution, l'astuce, la torture, l'évidence et le secret de votre barbarie ouverts sur notre pertinence d'êtres vifs, annulés par notre refus qui les reçoit comme un hommage ; toutes vos duretés finalement brisées contre notre dureté plus dure. »

Résistant pendant la Seconde Guerre Mondiale, il fut arrêté par la Gestapo en 1943. Lorsque les assassins de toute parole et de toute vérité le capturèrent, lui et sa femme, Armel Guerne refusa de répondre en allemand à ses tortionnaires. Les bureaucrates du crime lui montrèrent alors un exemplaire de Novalis traduit par ses soins.

Armel Guerne répondit vertement : « Non, bien sûr : c'est moi. Mais j'ai oublié cette langue du jour que les Allemands ont franchi la frontière sans passeport. »
Si cela n'est pas du courage – et du plus étincelant qui puisse être –, qu'on me dise donc ce que c'est.

Le verdict des bourreaux fut sans appel : déportation à Buchenwald. Durant le trajet, il parvint à s'évader du train avec d'autres compagnons de galère.

Dès son retour en France, après bon nombre de tribulations, il se consacra entièrement à témoigner pour la Création – et tout particulièrement pour la parole poétique, source créatrice par excellence : ruisseau de survivance au sein des eaux mortes qui l'encerclent toujours sans pouvoir l'avaler totalement.

Il entretint également avec le philosophe roumain, Emil Cioran, une correspondance accrue. Au nihilisme de Cioran, Armel Guerne répondait, dans une lettre datée de 1978, par ces mots : « Il n'y a pas beaucoup de raisons de vivre, je l'admets, mais il y en a une infinité de ne pas mourir – ne serait-ce que toutes celles qui complotent à nous faire crever ! »

Les précieuses informations dont je me suis fait ici le relais, ont été puisées à la superbe préface de Stéphane Barsacq qui ouvre “L'âme insurgée”, cette oeuvre essentielle dont la lumière ne peut s'évader de la rétine une fois qu'elle s'y est collée ; cette parole qui ne s'oublie pas et que rien n'abolira tant son feu est vivace et fruit de la liberté.

Grand vivant, Armel Guerne n'est pas vraiment mort. Cet homme qui a témoigné avec une force rare pour que vive et flamboie le Verbe en chacun de nous, ne pourra pas être effacé par la Nuit. Ardent défenseur du Mystère dans un monde pédant qui prétendait et prétend encore pouvoir tout expliquer, abaisser toute énigme à son aune misérable, Armel Guerne a sans doute établi son nouvel ermitage dans un lieu qu'il ne nous est pas donné de connaître.

Laissons donc à présent s'exprimer ce passeur sans égal :

« […] on ne devrait jamais l'oublier, la vie n'est pas un état mais un risque, et qui s'ouvre toujours plus. Grandiose. Une conquête qui n'en finit pas. Un voyage – au sens où Schubert l'a certainement vécu – mais un voyage incertain et dur, à la mesure de ceux, et de ceux-là seuls, qui sont capables de marcher.
Il vaut donc mieux, croyez-moi, ne pas trop se fier aux ruminants intellectuels qui vivent à la ferme, engrangeant le foin et la paille de leurs savoirs récoltés. Les hommes de cabinet, laissez-moi vous le dire, ne font pas de bons compagnons de route.
Vivent les hommes de plein vent ! » (in “L'âme insurgée”, p. 29)

© Thibault Marconnet
le 23/03/2014
Lien : http://le-semaphore.blogspot..
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Citations et extraits (28) Voir plus Ajouter une citation
Laissez-moi vous dire…

(…) que le poète n’a pas la vie facile dans un monde devenu ce manteau de ténèbres, pailleté d’éphémère par une actualité exténuée en quelques heures, qu’on renouvelle tous les jours et qui tient toute la place avant de s’effacer. Un monde où le niveau des larmes, cependant, ne cesse de monter. Un monde pilonné, trituré, sermonné de plus en plus sévèrement par le verbe surnaturel des catastrophes, couché sous le vent fort de ce langage, le plus clair et le plus nu de tous, dont les statisticiens s’emparent aussitôt pour le rendre inintelligible. Les cœurs sans le savoir, les esprits sans le percevoir et, tout au fond, les âmes sans le dire sont tellement dans le besoin que le silence de leur cri – formidable colonne en creux – requiert et mobilise contre lui l’acharnement insupportable et sans répit de tous les bruits du monde, organise la fuite et le refuge de chacun dans ce supplice étroit, la collaboration funeste de tout individu, par soumission servile ou par complicité déshonorée, à cet attentat fracassant qui le disjoint, l’émiette, le pulvérise et le disperse. S’abstraire de l’essentiel, tout est là. Sortir le plus possible du dedans de la vie; rester dehors. L’information, laissez-moi vous le dire, est l’instrument parfait, la corde lisse et le nœud bien coulant de cette pendaison : l’information, procédé éminemment artificiel et abstrait, destiné à rendre informe et sans leçon tout ce qui peut, tout ce qui risque d’avoir, originalement, une forme certaine et peut-être un enseignement. L’informatique a perfectionné le système en le mécanisant et désormais, sans le concours de personne, l’analyse devient si fine que tout danger est écarté : même par accident il ne peut plus rester, non, même à la loupe on ne saurait trouver le grain le plus infime de concret dans la pensée lisse et liquide qu’elle dégorge. Le rien est souverain et triomphe dans le bourdonnement enthousiasmé des bavardages. Car sait-on jamais ? La trace seulement d’une poussière pourrait suffire à accrocher un souvenir, un rappel, découvrir une analogie, voire amorcer un rêve, éveiller un silence, engendrer l’incongruité d’une de ces légendes qui parlent à travers le temps !
Abandonné de tous, le génie souple et prompt de notre langue est sans emploi, comme un ange au chômage. Vu de demain, regardé seulement de la pointe du prochain matin, le français est déjà une langue morte, écrasée, accablée, enterrée sous ses mines où s‘amusent encore, inconscients, égarés, les producteurs rentiers d’une littérature qui n’a d’autres raisons que la « modernité », c’est-à-dire le goût du jour. L’argent, seul étalon de toutes les valeurs, ne quitte plus jamais le devant de la scène. Écoutez bien, tendez l’oreille: « euh… ! beuh… ! » Nous sommes entrés dans le siècle de l’onomatopée et nous voici déjà tout occupés à convertir les mots en chiffres. Sans le lyrisme des milliards, avouons-le, auquel les moins riches ne sont pas les moins accessibles, la politique serait sans effet, sans écho, et les prisons de l’idéologie s’ouvriraient d’elles-mêmes, relâchant en plein air la cohue de leurs détenus fascinés, tout surpris de se retrouver libres de leur pensée, de respirer un air de leurs propres poumons. L’argent (qui n’est depuis longtemps plus synonyme de richesse, mais de besoin), s’il fut depuis toujours servi par les ambitieux, ne l’a jamais été avec le cynisme imbécile et l ‘unanimité éhontée de nos contemporains: la masse humaine la plus mendiante et la plus lâche, la plus confuse et la plus confondue que le monde ait portée. Seul le nanti n’en a jamais assez ; et c’est toujours lui qui crie le plus fort, du haut en bas de l’échelle sociale, surtout en bas. Laissons.
(…)
Un pareil désarroi, des hommes plus humains, beaucoup moins négatifs, l’ont pressenti déjà comme pour nous aider, hurlant alors de toutes les manières la fureur de la faim spirituelle, clamant et proclamant l’insurrection de l ’âme aux quatre coins du monde, s’arrachant à leur siècle qu’ils jugeaient imbécile et qui ne manquait pas d ’incommodités, plongeant dans le passé, secouant l’avenir en le prophétisant jusqu’au bout de leur force d’imagination comme pour mieux l’exorciser, cherchant partout des appuis et des frères, recensant l’univers et les trésors intérieurs, se prodiguant à cœur ouvert, risquant sur eux un perpétuel tout pour le tout que rien ne pouvait arrêter, ni la folie, ni le suicide, ni la mort qu’ils ne cessaient de frôler, toujours a cet extrême d’eux-mêmes qu’ils ne cessaient de hanter par souci de vivre dignement, noblement, sans rien omettre. Jamais peut-être on n’avait fait autant de littérature ; et jamais sans doute on n’y mit tant de sang, tant de cœur, tant de fièvre et aussi de merveilleux caprice, de liberté. Ils ont tout essayé, tout appelé à leur secours pour étendre le cercle autour de la raison et trouver des issues, ne pas s’y enfermer. Ils ont couru tous les chemins qu’ils croyaient deviner. S’ils se trompaient, tant pis pour eux ! mais ils y allaient voir – et malheureusement, égarés dans le marécage d’une langue peu faite pour la rigueur, la rectitude ou le redressement de la pensée aventurée sur un terrain mystique, ils se trompèrent souvent et moururent beaucoup.
(…)
Ce Romantisme, bien évidemment, n’a rien de commun avec la gentillette école littéraire qui fit florès en France sous ce nom ; rien de commun non plus avec la rhétorique douceâtre et la fadeur sentimentale, les rubans et les fanfreluches que l’on s’est plu souvent à attacher à ce mot. Les Français à vrai dire, Nerval à peu près seul excepté, sont restés à l’écart de ce mouvement, qui a fleuri d’abord et surtout en Allemagne avec Hölderlin et Novalis, avec Arnim, avec Kleist, avec Hoffmann et tant d’autres, mais aussi en Angleterre – avec Keats bien plus qu’avec Byron ou Shelley, et par-delà les sombres splendeurs du « Roman noir » jusqu’à Stevenson –, mais encore dans la lointaine Amérique chez deux êtres aussi différents — et aussi nécessairement complémentaires – que Poe et Melville, sans oublier les pays slaves où l’élan mystique du hassidisme juif et cet autre élan qui soulèvera plus tard les récits de Dostoïevski sont manifestement d’essence romantique, au sens le plus exigeant que l’on voudra bien donner à pareille désignation.
(…)
C’est que pour eux, le Romantisme était vraiment une façon d’être. Un combat pour la plénitude. Une bataille désespérée contre l ‘abdication capitale, contre ce vide désespérant qui laisse l’homme comme une viande douée de réflexes dès qu’il oublie son âme, dès qu’il quitte ses rêves, dès qu’il cesse de reconnaître et de nourrir – pour ne plus faire qu’alimenter l’autre – Cette moitié divine dont il est compose’ et qui respire au milieu des étoiles.
Car on ne devrait jamais l’oublier, la vie n’est pas un état mais un risque, et qui s’ouvre toujours plus. Grandiose. Une conquête qui n’en finit pas. Un « voyage » – au sens où Schubert l ’a certainement vécu – mais un voyage incertain et dur, à la mesure de ceux, et de ceux-là seuls, qui sont capables de marcher.
Il vaut donc mieux, croyez-moi, ne pas trop se fier aux ruminants intellectuels qui vivent à la ferme, engrangeant le foin et la paille de leurs savoirs récoltés. Les hommes de cabinet, laissez-moi vous le dire, ne font pas de bons compagnons de route.

Vivent les hommes de plein vent !
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Novalis ou la vocation d'éternité - extrait
 
Mais qui peut dire que c’est lui qui a mené sa vie quand il lui arrive de parler de la vie qu’il a menée ? Qui peut prétendre sincèrement ne pas avoir été conduit par elle, et fréquemment de très loin, à la rencontre de tel ou tel événement ? Qui connaît seulement les circonstances, le contour même des circonstances de sa propre existence ? À quel moment de son enfance chacun a-t-il fait connaissance avec soi ? Et ce moment, cette heure capitale à partir de laquelle se séparent et divergent la vie profonde et l’existence superficielle, est-il un seul homme qui puisse en fixer la date, ou seulement décider consciemment au bénéfice de laquelle des deux s’est prononcé le divorce ? À laquelle des deux, partant de là, appartient son vrai moi ? Et encore, quand on parle de vie profonde, encore ne s’agit-il pas d’un, mais de plusieurs courants qui se superposent, s’entremêlent, divergent ou convergent, s’engloutissent ou jaillissent, partent ou arrivent. L’amitié de deux êtres repose dans ces eaux-là ; et l’amour, quand on le rencontre, vient de cette source ; le mystère de la douleur – la douleur dont il ne faut jamais rien dire – c’est qu’elle s’enfonce en nous et dans notre existence jusqu’à la vie profonde indéfiniment ; et la vérité indicible, c’est qu’elle est en elle-même, tout au fond, quelque chose comme un sanctuaire où s’opère une réconciliation impossible, où se fait un aveu parfaitement inavouable, un radical changement de sens que tout accepte en nous spontanément alors même que nous le refusons : un changement de sens par lequel nous n’apprenons pas, mais nous savons et connaissons qu’elle est la porte, oui, l’unique porte ici-bas qui ouvre sur la joie. Que l’une et l’autre sont un seul être, le nôtre, qui n’avait pas deux visages, mais un seul, le vrai, qu’on ne connaissait pas : un visage sous lequel et dans lequel tout se passe visiblement ; mais sur lequel, invisiblement, il n’y a qu’un sourire.
   
Éditions Points, 2011 (pp. 128-129)
La première édition a paru en 1977 aux éditions Phébus.
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Novalis ou la vocation d'éternité - extrait
         
Per speculum in aenigmate, dit Saint Paul. Nous tous, nous nous connaissons tous dans cette même expérience, où tout à coup les frontières ont changé de bord et chaviré les habituelles perspectives ; chacun de nous a essayé sur soi, peut-être pas un jour, mais une nuit ou l'autre, la possibilité magique d'une brusque lecture transversale. Nous avons tous eu des rêves qui suivaient en nous ces chemins-là. Est-ce pour rien ? Tant d'hommes si différents, et tant de rêves si semblables ! Or le rêve n'est pas fautif, quand il nous a parlé son langage, si le matin nous l'appelons un rêve, et si nous nous empressons de l'oublier pour aller au bureau. D'ailleurs, il n'est pas du tout sûr que de seulement négliger d'y penser suffise pour qu'une chose s'oublie ; il n'est absolument pas certain que ce que nous oublions nous oublie. On devrait y songer sans trop de présomption ; c'est probablement par ce côté-là que nous arrive à peu près tout ce qui nous concerne vraiment, tout ce qui a authentiquement, personnellement, pour notre vie, de la valeur et a assez d'importance pour n'être pas soumis à notre estimation.
C'est par là que s'opère aussi, pour Novalis, le ministère religieux de la poésie : aménager en nous, en nous faisant baisser la voix, cette matrice de silence vivant qui ressemble au silence bruissant des rêves où chaque chose retrouve sa voix, ou peut-être à cet autre silence dont on rêve dans une église, où la prière, au lieu de monter de nous comme une fumée, descendrait par amour dans notre amour, ou serait aspirée en lui.
       
Éditions Points, 2011 (pp. 123-124)
La première édition a paru en 1977 aux éditions Phébus.
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Les autres sont des morts, un nombre seulement, des impersonnes qui sont nées mortes dans leur époque dont elles ne toucheront jamais le vrai moment du doigt ; de mornes effigies qui se figurent – oh ! non pas être : cela se sent – mais avoir, avoir une vie parce qu’un temps les véhicule et les agite, parce qu’elles ont un matricule et connaissent le numéro ; d’impossibles médailles frappées sur une face à l’image de l’homme et sur l’autre de rien, façonnées de ce néant auquel elles appartiennent. La prolifération grouillante du non-être. Un modelage de l’absence certifié copie conforme. Et parce qu’il est vrai que les institutions que les hommes se sont données, jusqu’aux églises qu’ils se veulent à présent, ne font toujours appel qu’au pire de nous-mêmes et jamais au meilleur, on comprend que l’humanité soit démoralisée et ne puisse jamais apprendre ce qu’elle vaut, tout près de quelles plénitudes elle promène son vide, devant quelles félicités immensément impatientes elle accable son cœur d’ombres sordides et d’amertumes imbéciles – incapable dedans de s’inventer, incapable dehors de sentir son péril. Car la violence, évidemment, est le seul exutoire de ce mutisme intérieur.
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C’est pourquoi, je le dis ici, pour le salut de ce qui nous reste d’âme, pour l’honneur de l’esprit : jamais depuis l’origine du monde, depuis la création de la lumière et la séparation des eaux d’en haut et de celles d’en bas, ni à aucun moment au long de notre histoire depuis le tout premier commencement, jamais la poésie n’a été aussi nécessaire – quel que puisse être le nombre de ceux qui ne le savent pas – ni réclamé dans une urgence aussi abrupte et absolue l’indispensable chant secret de cette pauvresse splendide, fille sauvage de la Providence et seule héritière directe des hautes évidences premières, qui fait la honte du monde dit “civilisé” – et singulièrement de la France où elle est méprisée, ignorée, rejetée de nos jours plus et mieux que partout ailleurs. Parce qu’elle est l’enfant surnaturel du verbe et naturellement l’avocate de l’âme insurgée, donc de plain-pied avec l’Apocalypse, la poésie est par essence le seul langage encore assez vivant, encore assez armé, encore assez puissant et entier, assez près du mystère aussi de la parole, pour emporter d’assaut les forteresses de l’inertie et crever le béton des citadelles du mensonge, portant en elle un grain de vérité humaine qui peut germer encore, une semence de beauté qui fleurira dans la hideur, de saints pollens de l’immortelle simplicité et même, pour certains, l’amande du noyau du fruit intemporel qui fait lever dans l’âme, puissamment, un arbre superbe avec le bruissement vivant de son feuillage, le creusement très doux du bleu des ombres et la visite claire des oiseaux qui le feront sourire. Autour de sa sagesse pivotent les saisons. Jamais un mot. Il lave l’air intimement. Il appelle la pluie d’en haut. Il fertilise les déserts. Et c’est sur lui, significativement, sur ce mage majestueux que s’abat, depuis un quart de siècle, la main meurtrière de ce qu’on nomme le progrès !
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Vidéo de Armel Guerne
Armel GUERNE – Qui est Armel Guerne ? (France Culture, 1984) L’émission « Agora », par Olivier Germain-Thomas, diffusée le 10 avril 1984 sur France Culture. Invité : Dominique Gagnard.
>Littérature : généralités>Biographie littéraire>Textes présentant des caractères particuliers (148)
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