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Critique de Louiset


La préface de Bertrand Piccard

De nombreux philosophes, sociologues et psychanalystes se sont intéressés aux « peurs subies » : les phobies, l'angoisse de la maladie, de la souffrance ou encore de la mort. Pourtant, les « peurs choisies » – celles liées à la prise volontaire de risque – ont été largement délaissées par ces mêmes spécialistes. Pourquoi s'en soucier puisqu'on peut s'en affranchir facilement en restant à la maison ? Il y aurait même selon certains une relative perversion à exposer « inutilement » sa vie.



Pour ma part, voilà des années que la question de la « peur choisie » m'interpelle. Depuis qu'enfant je me rêvais astronaute, alors que… je redoutais de grimper dans les arbres ! Plus tard, médecin-psychiatre, pilote d'aile delta, aéronaute, explorateur de nouvelles technologies, je n'ai eu de cesse de mieux comprendre cette peur choisie, car si elle peut être notre pire ennemie, elle peut devenir aussi notre meilleure amie. Parce qu'elle nous force à développer notre sensation d'exister dans l'entier de notre Être. La peur, en fin de compte, n'est qu'une projection de nos pensées à l'extérieur de nous-mêmes et elle se dissout dans la Conscience de l'instant présent.



Qui que nous soyons, artistes, enseignants, mères et pères de famille, médecins, ouvriers, agriculteurs, employés, élus, nous avons le choix de devenir des « baroudeurs du quotidien ». Si nous voulons avancer, évoluer, progresser, nous serons tous confrontés à l'inconnu, à la prise de risque et donc à la peur ! L'étudiant qui part loin de chez lui, la pianiste qui monte sur scène, l'ingénieur qui propose une nouvelle solution, l'entrepreneur qui lance son affaire tout comme l'employé qui postule pour un job, l'écrivain et son éditeur…



Souvent vécue comme honteuse, la peur n'est jamais agréable, sauf pour ceux qui aiment se shooter à l'adrénaline et ce n'est pas mon cas. Il est ainsi tentant d'y échapper en nous confinant à l'intérieur de nos repères habituels. Mais depuis notre plus tendre enfance, ne nous construisons-nous pas en nous approchant, puis en franchissant ces mêmes repères ? Si nous refusons l'inconnu, l'aventure et – comme le dit Gérard – sa soeur siamoise : la peur, comment pourrons-nous réaliser nos rêves, continuer à nous émerveiller, à grandir et à progresser ? Comment pourrons-nous donner vie à notre potentiel et devenir les êtres libres et heureux que nous méritons d'être ?



En acceptant la peur, en prenant certains risques et en franchissant les frontières de ce que l'on croit raisonnable, les aventuriers et sportifs de l'extrême sont semblables aux pilotes d'essai qui poussent leurs appareils au-delà des limites habituelles. S'ils ne testent ni des avions ni des sous-marins, ces femmes et ces hommes explorent les capacités humaines et défrichent de nouveaux territoires intérieurs. Ils découvrent ainsi des ressources surprenantes qui pourront être utiles à tous, dans ces situations que trop de gens préfèrent éviter par peur d'avoir peur.



Tel est pour Gérard et moi le sens de la « véritable aventure », loin de l'esbroufe télévisée. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si tous deux, nous avons pratiqué pendant des années, avec passion, l'aile delta. Alors que j'explorais les limites du vol acrobatique, Gérard a été l'un des premiers à parcourir les Alpes en vol-bivouac. Mes années de vol libre m'ont montré à quel point la maîtrise des dangers que je rencontrais en vol m'aidait à gérer les situations stressantes du quotidien. C'est ainsi que j'ai appris à me sentir à l'aise dans les imprévus et les risques inhérents à la vie, en devenant de plus en plus responsable de moi-même.



L'auteur nous invite à un voyage dans l'inconnu, au coeur de cette peur choisie, de la frousse, la pétoche et la trouille. On y croise au fil des pages Nietzsche, bien entendu, mais aussi Montaigne, Sartre, Kierkegaard, Darwin, Livingstone, puis soudain au large des 50es hurlants, dans une face Nord ou au milieu d'un désert : Isabelle Autissier, Géraldine Fasnacht, Pierre Mazeaud, Ueli Steck, Christian Clot et même un colonel de la Légion étrangère.

Ici, philosophes, et sociologues, base jumpers et freeriders, explorateurs, montagnards et marins, dialoguent par-delà l'histoire et la géographie, le temps et l'espace, sur la peur, leurs peurs… sur ce qu'ils en font quand elles ne leur glissent pas entre les doigts. En leur compagnie, nous voilà conviés à une approche de nos propres choix face à la prise de risque : s'engager dans des études, fonder une famille, proposer un cours sur l'empathie dans une banlieue difficile, changer de travail, de domicile, etc. Y aller ou renoncer ?



Gérard trace son chemin, quitte à sortir parfois son coupe-coupe quand le terrain est trop touffu. Il nous entraîne dans ses pas, de l'anxiété fruit de l'imagination à la terreur pure en passant par l'ultravigilance de la pleine conscience. Alternant le coriace et le souple comme les dénivelés des fameux plats népalais, il nous invite à mieux comprendre les fondements de nos peurs, mais aussi de nos motivations à les transcender. Pourquoi y aller malgré notre appréhension ? En sa compagnie, nous comprenons mieux pourquoi certains vont au-delà du « raisonnable » et mettent leur vie en danger. Pour justement mieux se sentir vivre ? Pour retrouver son âme d'enfant ? Ou parfois, plus vainement, pour la gloriole ?

Si l'humour, le recul et parfois même la dérision sont présents, l'auteur n'hésite pas à se mettre à nu et donc en danger… en narrant ses propres expériences en aile delta, ski de pentes raides ou plongée profonde.



Cet Éloge de la peur se livre et se lit ainsi d'abord d'une traite, par jouissance, comme on reconnaît un nouveau parcours. Mais c'est ensuite, en le reprenant étape après étape, dans l'ordre ou le désordre, qu'on le savoure, une fois, deux fois, aujourd'hui ou plus tard. Car posé sur la table de chevet comme un inséparable topo, on sait déjà qu'on en aura besoin à tout moment. Quand la peur ou l'envie de partir vers l'inconnu, de concrétiser ses rêves reviendront. Pour tout comprendre ? Pas sûr. Pour continuer à apprendre sur nous-mêmes ? En tout cas.



Bertrand Piccard
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