LES MACONS DE L’EXTREME
Difficile d’imaginer, à l’heure où l’océan flashe, clignote et brille de tant de feux, qu’il y a deux siècles, sitôt le soleil couché, la mer était muette. A part deux ou trois phares ici et là, les nuits étaient noires sur les côtes de France.
Les navigateurs évitaient donc de caboter après le crépuscule. Ils préféraient rester au port, faire cap au large ou mouiller (1) en attendant l’aube.
Pressé par les compagnies maritimes et la Marine, l’état français décide, en 1825, qu’une ceinture de feux sera allumée sur le littoral : un budget faramineux, un progrès considérable, du jamais vu dans l’histoire de la sécurité maritime.
En quinze ans, une trentaine de phares sont donc construits. La mer devient praticable la nuit mais dans certaines mauvaises passes, les fortunes de mer continuent. Ces « Messieurs les ingénieurs » décident alors de bâtir des phares en mer. Impossible ? Presque.
2. TOMPES, CORNES ET AUTRES SIRENES :
CETTE BRUME CONTRE LAQUELLE ON NE PEUT RIEN
Des feux éclairent la mer mais que faire quand la brume les noie ? Comment trouver sa route quand la « boucaille » voile les amers ?
Les marins ont toujours utilisé des conches, trompes et autres cloches pour communiquer dans le brouillard. De plus en plus nombreux à naviguer, de jour comme de nuit, au XIXème siècle, ils réclament des signaux sonores à l’administration qui a si brillamment éclairé le littoral.
Vers 1850 la Commission des Phares s’attèle donc à l’équipement des phares et balises en dispositifs sonores. Chaque savant y va de son invention : plus ou moins cocasses, plus ou moins bruyantes, les trouvailles sont légion.
Leur efficacité, aujourd’hui encore, demeure controversée : les scientifiques n’y croient guère tandis que les navigateurs jurent « croix de bois, croix de fer » que leur salut tient à ces filets de voix qui leur indique la voie.
Ils ponctuent la côte d’une guirlande de lumières, conduisent les navires dans le soir et crient quand la brume les noie. Les Phares. Peu de constructions humaines ont suscité autant de fascination, depuis leur construction, que ces « tours à feux ».
En France, ils sont particulièrement nombreux. Entre le XIXème et le XXème siècle, une cinquantaine d’établissements sont éclairés sur le littoral d’Atlantique et de Méditerranée. Une densité exceptionnelle pour des projets incarnant, outre l’humanisme d’une nation en avance sur son temps, la maestria et l’inventivité de ses ingénieurs. Prouesses techniques et architecturales, ils continuent de guider les marins et de faire rêver les terriens. De jour comme de nuit, bienvenue dans le sillage des « feux de mer ».
Avec Christian GRATALOUP, Vincent GUIGUENO, Isabelle HEULLANT-DONAT, Hélène RICHARD,
Emmanuelle VAGNON
Au XIIe siècle, le poète normand Wace décrit le premier marin qui construisit un bateau et se lança sur mer « cherchant terre qu'il ne voyait, et rivage qu'il ignorait ». Privés de points de repère terrestres, les navigateurs ont utilisé ceux qu'offrait le ciel, étoiles ou soleil en fonction de l'heure et du lieu où ils se trouvaient. La cartographie, apparue au XIIIe siècle en Occident, a permis de reconnaître progressivement les terres et les dangers. Les « portulans » ont présenté un monde ouvert, sans limites, dans lequel la boussole pouvait guider les navires. Aux navigations transatlantiques ont succédé les tours du monde et les périples se sont multipliés. Alors qu'augmentaient les besoins de marins aux navigations de plus en plus lointaines avec des bateaux au tonnage croissant, l'astronomie s'est développée et les instruments se sont perfectionnés. Latitude, longitude ont pu être mesurées en mer et ont trouvé place sur une cartographie de plus en plus élaborée. Pour multiplier les repères et augmenter la fiabilité de la localisation, savants et techniciens ont créé des étoiles artificielles avec les phares, puis les satellites qui ont permis une localisation facile et précise, tout en s'affranchissant des contraintes de la visibilité. Peut-on encore se perdre en mer ?
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