Citations sur Les mots d'Hélio (14)
Malgré mon aspect de légume-affalé-dans-un-fauteuil, j'entends tout et je ressens les choses dans chaque cellule de mon corps. Pourtant, parce que je ne communique pas et que je me borne à exécuter maladroitement les consignes du kiné ou des infirmières, on s'adresse à moi comme un handicapé mental, avec des phrases simples et un air compatissant.
Hélio, le joueur de hand, passionné de sciences, a disparu. Désormais, je suis "Bulle", parce que je suis coincé dans ma bulle intérieure, comme un cosmonaute qui ne survivrait pas sans son casque.
Les mots se cueillent, se respirent et se savourent comme les plantes.
- Papa, la fois où j'ai triché à mon DS de maths et que madame Flovert vous a convoqués avec maman, on est rentés à la maison et tu m'as emmenée dans le jardin. AU lieu de me gronder , tu as cité la phrase de Voltaire, tu te rappelles ?
- Non, dis-je, la gorge toujours serrée.
Ma fille se serre contre moi et murmure :
- Quel homme est sans erreur ? Et quel roi sans faiblesse ?
Parce que j'avais tort, parce que je n'étais pas le seul à me recroqueviller dans ma bulle : chacun à notre façon, nous étions coincés dans les nôtres, par peur des autres. Et il a suffi d'avancer, un pas après l'autre, pour que les bulles éclatent une à une.
Maman, il faut que tu viennes me chercher ! Je ne peux pas rester là, tu n'as pas le droit. Sors de ta bulle, s'il te plaît.
On est liés, toi et moi, tu me le répétais tout le temps. Comme un chêne et son rejeton. Tu sais bien que les arbres communiquent entre eux par leurs racines et qu'ils s'envoient des messages chimiques quand c'est la galère. Mais comment on va faire puisqu'on n'a presque plus rien à envoyer, ni l'un ni l'autre ? Tu les entends, mes minuscules signaux de détresse, là ? Parce que si tu laisses tomber, je vais crever.
Je veux ma chambre, mon lit, mon chez-moi. Pas ceux des Dainville. Il paraît que ma mère les avait désignés au cas où il lui arriverait quelque chose, et voilà. La CHOSE est arrivée. Je me torture le cerveau pour savoir comment elle connaît ces gens, pourquoi elle ne me les a jamais présentés et pourquoi elle a osé penser qu'un jour j'aurais envie de débarquer chez de parfaits inconnus.
"Il ne faut pas demander que les événements soient comme tu le veux, mais il faut les vouloir comme ils arrivent ; ainsi ta vie sera heureuse."
(Épictète)
Et là, à cet instant précis, pendant que l'ambulance me transporte vers cette maison d'accueil que je déteste à l'avance, je me demande ce que la vie va encore m'enlever, puisqu'elle m'a déjà pris ma mère et mes carnets.
Ma dignité, sans doute.
Alors, chaque fois que je rencontre quelqu'un, je l'analyse sous toutes les coutures puis je le classe dans mes carnets, à côté d'une plante qui m'y fait penser.
Le petit est là. Tout ratatiné dans son fauteuil. Il ne parle pas, fait mine de ne pas entendre, mais que de colère dans ses yeux ! Du chagrin aussi, que je devine aux commissures de ses lèvres, au frémissement de ses narines.