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Critique de Erik35


Erik35
05 décembre 2017
POUR L'AMOUR DE ZEUS...

Qu'est-ce que la foi ? Qu'est-ce que la "vocation" ? Comment vivre enfermée vingt-quatre heures sur vingt-quatre entourée de ses semblables, auxquelles l'on ne peut parler autrement que pour, éventuellement, donner des ordres ou les recevoir, attribuer des missions, des tâches à accomplir ? Pourquoi imposer de véritables souffrances, à soi-même, à son corps, à son esprit mais peut-être plus encore, à ses proches, dont on décide de se détourner en toute connaissance de cause, comme s'ils avaient appartenu à une autre vie, à un autre soi-même aujourd'hui disparu ? Qu'est-ce qui fait tenir, même lorsqu'on prend peu à peu conscience des mensonges, des hypocrisies, peut-être même que tout cela n'est que supercherie, tromperie ?

C'est en quelque sorte à toutes ces questions que ce court premier roman de Maëlle Guillaud intitulé "Lucie ou la vocation" tâche de répondre ou, plus exactement, d'apporter des éléments de réflexion à travers le destin atypique d'une jeune femme d'aujourd'hui, Lucie (de «lux», la lumière. A noter que Lucifer a la même origine étymologique), étudiante dans l'un des hypokhâgnes les plus courues de la place de Paris mais qui semble de moins en moins y trouver son compte : «un tourment de chaque instant» nous précise la narratrice, et «elle hait la prépa» où tout n'est que compétition, course à l'échalote, «humiliations quotidiennes, moyennes négatives, manque de sommeil.»
Heureusement, il y cette amie, Mathilde, au parcours peu traditionnel, qui dit avoir connu la rue et qui affirme avoir entendu l'appel de la foi. Il y a aussi Juliette, l'amie de jeunesse, qu'elle voit moins depuis cette année, par manque de temps, mais qui est une fidèle.
Sans que le lecteur y soit le moindrement préparé, pas plus que cette Juliette, que sa mère ou sa grand-mère, Lucie décide assez brusquement de se retirer du monde, d'entrer dans un couvent - précisons que c'est au sein d'un ordre de type strictement contemplatif, même s'il n'est jamais précisément cité, presque totalement en retrait du monde, donc. Certains aspects de cette histoire n'auraient pu advenir au sein d'une congrégation de missionnaires - afin d'épouser son Seigneur.
Elle y rencontrera quelques soeurs, en particulier la révérende mère, soeur Marie-Thérèse, au pouvoir et à l'aura aussi magnétique qu'elle peut être d'une sévérité, d'une dureté, d'un manque absolu d'empathie totalement ahurissant. Sous son nouveau nom de Marie-Lucie, elle sera rejointe quelque temps après les débuts de son noviciat par son ancienne amie Mathilde, devenue Blanche-Marie. Celle-ci feindra de ne pas la reconnaître et appliquera à son égard le même silence absolu que la règle impose à toutes à l'encontre de chacune. On suivra donc l'évolution, lente et souvent douloureuse, de cette vie recluse, quasi carcérale (exception faite que le choix d'y entrer appartient à celles qui s'y trouvent), supposément toute tournée vers la foi - supposément car, en dehors des nombreux signes extérieurs de religion, on y trouve peu de témoignage, de moments vrais où la narratrice explique, approche de ce que peut être cette foi. La vision de celle-ci reste toute de surface et presque strictement liturgique -. On comprendra assez rapidement que, des trois voeux prononcés par toute nouvelle entrante, pauvreté, chasteté, obéissance, le plus important et surtout le plus difficile à suivre est le dernier. On y découvrira toutes les vexations, petites ou grandes, supportées "pour l'amour de son époux" (lire "Dieu") au fil d'une dizaine d'année en retrait quasi total du monde (une seule sortie : une visite médicale. Et encore, accompagnée). Obligation de manger des rations énormes d'une pâtée pas toujours ragoutante - parce que leur corps ne leur appartient plus, ne doit plus être rien - ; de prendre ces petites pilules quotidiennes, obtenues par mensonge en quelques minutes auprès d'un médecin naïf, et qui semblent être quelque anxiolytique léger ; de courber sans cesse l'échine devant les ordres, les humiliations, cette vie de misère - après tout n'ont-elles pas fait voeu de pauvreté et, plus encore, d'obéissance ? - qui est leur quotidien sans aucune rémission, les petites et grandes hypocrisies, aussi. de même que le constat que la trahison est tout aussi bien de ces murs que de ce monde extérieur craint et honni. de la soif de pouvoir, pourquoi pas, lorsque les soeurs apprennent que leur chère révérende mère, autocrate révérée, est parvenue au terme de son troisième mandat qu'elle ne peut renouveler.
Malgré les doutes, malgré les tentatives répétées de l'amie d'enfance, cette fidèle parmi les fidèles, dont l'athéisme irréconciliable se veut faire contrepoint à la foi aveugle de Marie-Lucie, malgré le désespoir tangible de sa mère, la jeune femme tiendra.
Un événement toutefois remettra en question cet engagement, événement aussi spectaculaire qu'inattendu, presque digne d'un roman policier, mais qui demeurera finalement confiné entre très peu de personnes : Marie-Lucie, la nouvelle mère supérieure son ancienne amie Blanche-Marie, la précédente et un jésuite, le père Simon, ancien ami du père défunt de Lucie, de plus en plus présent au fur et à mesure du roman. En quelque sorte, le lecteur sera le seul autre véritable témoin de cette tempête dans un verre d'eau (bénite), la communauté demeurant telle qu'elle est et a toujours été - un supposé, mais fallacieux, havre de paix, de sérénité et de prière - dans le giron protecteur de la Sainte Mère l'Eglise. Amen.

Premier roman, donc. Et l'on serait tenté d'être convenablement bienveillant avec un texte en apparence plutôt bien goupillé. Mais c'est un peu là que le bât blesse. L'ensemble fait, en définitive, très "fabriqué". Il y a d'abord ce style, qui peut plaire, qui peut d'ailleurs avoir son efficacité lorsqu'il ne devient pas la règle, toutes ces enfilades de phrases blanches, sujet-verbe-complément, censées nous faire partager la sidération, la profondeur, les doutes, les craintes, les rêves, les enjeux (etc) du vécu et, parfois, des pensées profondes de cette jeune femme finissant tout de même par perdre de leur efficacité. L'utilisation quasi-systématique de cette rhétorique fini par ennuyer, par lasser.
Il y a aussi cette impression, au fil du roman, que les personnages semblent avoir été fixés dès nos premiers pas en leur compagnie, dans leurs manières d'être, dans leurs pensées, leurs certitudes - malgré des doutes chroniques peu efficaces en terme de réelle évolution intérieure - tandis que dix années se déroulent sous nos yeux.
Il y a enfin ce sentiment modérément agréable que, plus que de remettre en cause l'idée de dieu, de foi, de croyance, c'est avec l'institution catholique - dont il n'est pas question ici de prendre la défense - qu'il s'agit d'en découdre, et qui est le fruit d'une colère - personnelle ? - , insidieuse et très rentrée, de la jeune autrice. On le comprend d'ailleurs presque dès les premières pages. On le saisit en particulier à la lecture de ces moments de décalage narratifs, qui reviendront régulièrement, que sont les confessions - nommons-les ainsi - parfois presque enfantines dans leur tonalité, de la fidèle amie Juliette qui ne comprend pas l'engagement de Lucie, qui refuse de le comprendre, professant un athéisme sans grand contenu, moderne, facile, manichéen, revendicatif et même légèrement vindicatif, du moins lorsqu'il s'agit de l'appliquer à ce qui la touche de près. En parallèle, la foi humble, sincère et apaisée de Lucie en parait d'autant moins obnubilée par différence de point de vue qu'elle à à l'égard de son ancienne amie, Lucie souffrant en réalité bien plus de l'absence de lâcher prise de ses proches et de leur refus obtus d'admettre son choix de vie que de leurs antagonismes spirituels.

De ce texte, on ressort mal à son aise. Non de ce qu'on suppose déjà : qu'à l'instar de toutes les autres institutions humaines, un couvent n'échappe pas à la règle, connaissant son lot d'hypocrisie, de compromission, de violence, d'enjeu de pouvoir. Que l'Eglise est un sacré bazar, et que les dogmes sont de véritables étouffoirs. Mais l'on ne sent ici qu'un traitement du fait religieux glissant à la surface des choses, nous présentant des personnages assez monolithiques, évoluant psychologiquement très peu (sans même mettre trop l'accent sur l'inouïe naïveté et la maturité plus adolescente qu'adulte des deux amies, chacune à leur manière). Aucun véritable enjeu théologique ni métaphysique, aucune réflexion réellement profonde sur ce que peut être l'idée de divinité, de foi ou de ce qui peut amener à penser que tout ceci ne sont que pures inventions humaines. On en restera donc à une sorte d'anticléricalisme mou, épidermique, facile et incomplet face aux enjeux actuels que ces engagements jusqu'au-boutistes peuvent revêtir d'extrémisme, d'exacerbation, d'explosion de violence (contre soi ou contre autrui) dans d'autres cas de retour à une forme supposée pure de religiosité, de dogme, de spiritualité dont le jésuite de l'histoire nous rappelle d'ailleurs qu'elle est une vision toute rhétorique, intellectuelle et tellement éloignée de la vie vers quoi elle est censée se porter. Un premier roman qui ne manque cependant pas d'intérêt mais qui souffre d'une certaine forme d'incomplétude ainsi que de quelques coupables penchants. C'est imparfait : c'est humain...

[NB : ouvrage lu dans le cadre de la participation à une sélection pour un prix de lecteurs.]
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