Le Ballet des Âmes commençait plutôt bien, sous la plume fantastique de son auteure, à la fois simple, élégante et poétique, qui, dès les premières pages, nous charme et nous emmène aux côtés d'Enora, à travers des paysages sublimes. Allergiques au paysagisme littéraire, passez votre chemin, car ici, des descriptions de paysage, il y en aura beaucoup; ils constituent même environ la moitié du roman. le passage des saisons, la beauté de la lande bretonne, l'onirisme de chaque rencontre avec (
la dyade du cerisier)),
Céline Guillaume possède un indéniable talent, celui de faire de son texte une merveilleuse ode à la nature.
Malheureusement, c'est bien la seule et unique chose qu'il y a à retenir de ce roman...
Passé l'introduction, plutôt intéressante, où Enora échappe de justesse au massacre pour se retrouver directement... dans l'antre du responsable, le récit s'embourbe de plus en plus dans le cliché, avec de plus en plus de maladresse. Les histoires de légendes et de prophéties, c'est bien gentil, mais mal géré, ça peut très vite ruiner une histoire et ici, ça n'a pas loupé.
A partir du moment où Urielle raconte certaines choses à Enora, le lecteur devine d'emblée à peu près tous les éléments de l'intrigue. Mais Enora, elle, en bonne simplette, ne pige absolument rien, alors même que le personnage n'est pourtant pas une sotte, et même assez portée sur la réflexion et la rêverie. Illogique donc, mais ce n'est pas le pire...
Puisque Enora n'a rien compris, et que tout, dans cette histoire, n'est pas le fruit du hasard mais bien du destin, elle encaissera sans réagir tout ce qu'il lui tombera dessus, avec une combativité et un désir de vivre à peu près équivalents à celui d'une bernique (et encore, la bernique, elle, essaie de se protéger en se gluant à son rocher, ce qui n'est pas le cas d'Enora). le problème, c'est qu'à force de s'enchaîner, ses malheurs en deviennent involontairement cocasses tant cette accumulation paraît forcée (
avouez que la fille qui tombe amoureuse de son frère après s'être fait mettre enceinte par son père, pour assister ensuite à l'exécution du premier sur les ordres du second, retrouver miraculeusement l'usage de sa voix à cette occasion, et ainsi provoquer le suicide de l'intéressé en lui expliquant tout ce qu'il a fait sans le savoir, c'est tellement porte-nawakesque que même Les feux de l'Amour n'ont pas osé).
En outre, la jeune fille a la fort pratique faculté de toujours être en vadrouille dans les bois pour échapper aux évènements fâcheux, et de toujours revenir pile au bon moment (
à temps pour les derniers instants de Linus, juste avant le retour de Josselin au château...). Une fois ou deux, passe encore, mais quatre ou cinq fois, ça sent l'ellipse mal déguisée. Tout comme le fait de lui octroyer une vision d'un certain personnage, dont on se doute forcément qu'il apparaîtra un peu plus loin dans le récit, et qu'il aura son importance, gâchant ainsi tout effet de surprise (sauf pour Enora bien entendu, qui comme d'habitude ne comprend rien à rien). Et quid de lui rendre sa voix au moment le plus opportun, c'est à dire juste après que cela ne serve plus à rien?
Bref, contrairement à ce qu'annonçait le résumé, Enora ne tient pas les fils de l'histoire: elle y est plutôt engluée comme un vulgaire moucheron sur la toile d'une araignée, empêtrée dedans, n'ayant pas la moindre idée de comment s'en sortir et n'essayant de toutes façons même pas. On a envie de la baffer, de la secouer, de lui faire réaliser les quelques chances qu'elle a à côté de sa certes très incroyable poisse (
comme passer du stade de paysanne orpheline maltraitée à chambrière au château, logée dans sa propre chambre, qui plus est suffisamment libre de ses mouvements pour avoir la possibilité de passer plusieurs jours d'affilée dehors, ce que personne d'autre qu'elle ne peut se permettre!), et la relative empathie que l'on pouvait ressentir pour elle au départ se transforme finalement en consternation totale. A vouloir trop en faire,
Céline Guillaume a hélas rendu Enora totalement horripilante. Et ce n'est pas la conclusion qui rendra le récit moins "WTF"!
C'est dommage, car à côté de ça, il y avait aussi d'excellentes idées: la place occupée par la nature dans le texte est tout sauf anodine et le passage des saisons est une allégorie flagrante de la vie elle-même, où le printemps représente le début et le recommencement, et l'hiver, la fin. Quel dommage que l'auteure ait cru indispensable de ruiner la subtilité et la poésie de son propos en l'exposant, pour les deux distraits du fond qui à ce moment de l'histoire n'auraient pas encore percuté, en toutes lettres dans la bouche fataliste de son héroïne.
Un gâchis, à l'image de l'ensemble du roman au final, ruiné par des évidences là où l'ombre aurait été préférable, de l'exagération là où la modération aurait été plus efficace, et que ses merveilleux paysages ne suffisent malheureusement pas à sauver.