– Je le sais, mais je dois vous demander de ne pas diffuser cette photo.
Tanya prit le temps de réfléchir quelques instants.
– Ça va à l’encontre de ma règle à moi.
– Qui est ?
– L’inverse de la vôtre : informer les gens, quoi qu’il advienne. Les pires saloperies se cachent dans l’ombre des petits accommodements.
LÀ OÙ RÈGNE LA VIOLENCE, IL N’EST DE RECOURS QU’EN LA VIOLENCE ; LÀ OÙ SE TROUVENT LES HOMMES, SEULS LES HOMMES PEUVENT PORTER SECOURS.
« Éden et Neal pouvaient voir les mineurs creuser une terre jaunâtre et boueuse des dernières pluies dans un décor de cratères et de cicatrices béantes .
Des bulldozers et des pelleteuses grignotaient la jungle luxuriante , inexorablement .
Les mineurs faisaient passer la terre fangeuse au tamis sous la surveillance laxiste de gardes de sécurité armés de kalachnikovs .
Les armes automatiques , c’était nouveau.
Les sociétés minières avaient armé leur personnel … » .
« Aucune faiblesse n’était tolérée. La passé était le passé .
Neal allait subir un entraînement militaire pour le préparer à sa future carrière de guerrier du RUF » .
Ce serait un coup de génie incroyablement ironique : créer de toutes pièces une prétendue rébellion pour s’emparer de mines de diamants, et lorsque la guerre est en voie de s’achever, investir l’argent qu’on a gagné grâce aux massacres dans des mines parfaitement légales et déclarées…
– Nous ne pouvons pas tuer tous les gens qui représentent une gêne, Monsieur.
– Bien sûr que si, nous pouvons ! Pourquoi ne pourrions-nous pas ? Cette nation s’est même bâtie sur ce principe.
Ainsi on en est là, se dit-il, prêts à se massacrer entre nous pour quelques cailloux. La rébellion, toute cette merde n’est que l’excuse pour que certains puissent s’enrichir. Nous sommes des assassins aveugles, des pantins entre les mains de salopards avides comme cet Américain, comme Popay et comme ce chef du Hezbollah.
Toi, ce qui te paralyse, c’est pas la peur de mourir ou d’être blessé, c’est tes racines. L’âme de ton père et le souvenir de ta mère, ils sont vivants en toi. Et tu as peur de les perdre, de les effacer en tuant des innocents parce que ça va à l’encontre de ce que tes parents t’ont appris. Tuer des gens innocents, c’est comme tuer ton père à chaque fois et effacer ta mère, t’en éloigner.
Il resta quelques instants silencieux, comme s’il puisait dans ses propres souvenirs.
– Ce sont des gens bien, mais ils représentent un danger pour toi. Les gens bien ne font pas de vieux os dans la rébellion. Tu ne veux pas les trahir, alors ils restent en toi, ils guident tes actes, ton fusil, tes cibles.
L’Américaine vint se planter devant Tanya avec un sourire si chaleureux qu’elle aurait pu l’imaginer penchée à son chevet, occupée à lui éponger le front lors d’une mauvaise grippe.
Cette femme est une tueuse, une tueuse maternelle…
Soudain, le Libanais ralentit et s’accroupit devant un buisson touffu. Il se mit à quatre pattes et rampa à l’intérieur. Neal et Eden firent de même. Ils constatèrent que le buisson était fait d’un entrelacement savant de branches. Mais ce qui retint vraiment leur attention, c’était la petite créature qui reposait sur une paillasse d’herbe fraîchement coupée. C’était un petit mammifère d’une quarantaine de centimètres de long. Son pelage soyeux gris clair était constellé de taches marron foncé, un peu comme une petite panthère. Elle avait de grandes oreilles qu’elle avait redressées à l’entrée des humains dans son refuge. Ses yeux noirs comme des billes d’ébène étaient pleins d’une profonde inquiétude. Sa queue, longue et touffue, battait l’air nerveusement. Elle émit un cri bref puis se laissa tomber sur le côté. C’est là qu’Eden vit les trois minuscules bébés qui tétaient aux mamelles du carnivore. Elle poussa un petit cri d’extase et la maman se redressa.
– C’est une genette, dit Saad d’un ton professoral.