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Le premier roman de Louis Guilloux n'a pas trouvé d'éditeur. L'auteur, conscient des lacunes de son manuscrit, l'a posé au fond d'un tiroir sans jamais revenir dessus. « L'Indésirable » voit le jour près d'un siècle plus tard. Se pose la question de l'intérêt de lire un texte inachevé et inabouti. Des passages du roman ont été tronqués, d'autres écartés par l'auteur ont été placés en annexe. Ce roman est conseillé à qui veut saisir la philosophie et les principes de l'oeuvre de Guilloux. « L'Indésirable » est l'ébauche d'un des plus grands romans de notre littérature, « le sang noir ». le romancier s'est inspiré d'un scandale survenu à Saint-Brieuc en 1917. L'action se déroule pendant la première guerre mondiale, à Belzec (Balzac…), une ville de province étouffante, réplique a minima de notre société. Un camp a été construit en périphérie de la ville. Des indésirables de tout type y sont incarcérés de manière arbitraire. La guerre a ouvert la boîte de Pandore des haines confites. le dimanche, les Belzéciens viennent en famille conspuer les internés. Les notables de la ville expriment avec véhémence leur zèle patriotique quand leurs fils reviennent écoeurés du conflit. La ville confinée dans la morale et la bêtise s'organise pour bannir ses parias. La nature humaine n'est guère réjouissante à observer ; heureusement des coeurs purs s'affranchissent de ces conventions. La postface d'Olivier Macaux éclaire avec pertinence ce roman et l'oeuvre d'un auteur qui a – dans sa vie comme dans sa littérature – toujours exprimé sa sympathie à l'égard des indésirables et des marginaux.
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[Court-circuit personnel : je suis lecteur de Michel Agier, sociologue spécialiste des camps de réfugiés contemporains, qui, je croyais, avait été le premier (en 2008) à introduire la notion « d'indésirables » dans ce contexte spécifique. le roman le Sang noir de Louis Guilloux est sans conteste l'une de mes oeuvres littéraires préférées. Cette année paraît l'ouvrage posthume de Guilloux que voici, son premier roman (ou plutôt esquisse de roman) inédit, qui porte ce titre-là, traite d'un « camp de concentration » dans une petite ville de province française en 1917, et, toujours d'après la 4e de couverture, parle d'une rumeur, d'une calomnie, d'une fake news, dirait-on aujourd'hui, et de ses effets publiques délétères, autre sujet de grand intérêt récent pour moi... Je découvre donc qu'il existait en France des « camps de concentration » pendant la Grande Guerre, ainsi nommés sans les connotations que nous lueur connaissons aujourd'hui, et que l'on désignait « d'indésirables », sans davantage d'état d'âme, les civils soupçonnés d'intelligence avec l'ennemi ou d'autres possibles actes de trahison qui y étaient reclus sans aucune forme de procès.]

En 1923, en quelques mois, Louis Guillaux, âgée de 24 ans, ébauche cet ouvrage, dont la publication lui est refusée, et il en reçoit sans doute des critiques si circonstanciées qu'il renonce à le remanier, choisissant en revanche d'en utiliser du matériau (une partie importante de l'ambiance provinciale intoxiquée par le patriotisme de la Grande Guerre, quelques personnages et plusieurs fragments narratifs) pour créer son chef-d'oeuvre, le Sang noir, qui paraîtra en 1935. Cette édition critique comprend le tapuscrit inédit, 4 annexes contenant les passages supprimés par l'auteur, pourtant très intéressants – en particulier celui qui comporte la formule « la morale l'emporte sur le négoce » (cf. cit.) qui avait une signification totalement différente à l'origine, ainsi que la chute originaire du roman, beaucoup plus intrigante que celle, abrupte pour ne pas dire bâclée, qui fut retenue. Elle comprend enfin une longue postface par Olivier Macaux, qui, logiquement pour une contextualisation dans l'ensemble de l'oeuvre du grand écrivain breton, tend à mettre en évidence surtout les rapports entre cet opus et La Sang noir – approche qui, à mon avis, montre vite ses limites, pour ne pas dire ses contresens...
Je considère que ce roman, qui n'a donc pas un seul héros contrairement à l'autre, aurait pu être divisé en trois parties – et non deux, comme le voit Macaux : la première concerne le camp de la Croix-Perdue et les sévices et autres outrages contre les détenus auxquels se livrent, de l'extérieur, les habitants de la petite ville de Belzec, en famille, le week-end, en guise de divertissement collectif. M. Lanzer, Alsacien, professeur d'allemand au collège de Belzec – que l'on voudrait mais on ne peut comparer à Cripure, le héros du Sang noir ou pis avec Georges Palante, le personnage historique prof de philo et ami de l'auteur dont il s'inspira pour ce dernier – y est détaché en qualité d'interprète. Cette première partie culmine par un passage magistral qui décrit le cauchemar de M. Lanzer avec les prisonniers, où il se voit persécuteur sadique et se retrouve soudain nu et persécuté à son tour. Arrive au camp un nouveau contingent de prisonniers, dont une vieille femme alsacienne, que Lanzer prend sous sa protection, fait libérer et reloge à ses frais dans une chambre en ville jusqu'à son décès.
La deuxième partie a pour personnage principal non plus Lanzer mais son collègue Badoiseau et, progressivement, tous les notables de Belzec. Pour une raison et selon des procédés qui, une fois révélés, ruineraient la lecture, Badoiseau a juré la perte de Lanzer, et il échafaude une machination qui a pour effet de faire passer celui-ci pour un profiteur et un agent allemand, un « Boche » ayant circonvenu la vieille Alsacienne, voire ayant reçu, de concert avec elle, de l'argent des Boches. Lanzer ne se défend pas, et la ville l'ostracise chaque jour davantage. Ici, il est déjà clair que le parallèle avec Cripure ne tient pas, alors que celui entre Badoiseau et Nabucet est tout à fait recevable.
Dans la troisième partie, le personnage principal est Jean-Paul Dupin, le propre fils du Principal du collège, de retour du front pour une blessure au poumon, ancien élève ami de Lanzer et lié à Madeleine, sa fille. Au lieu d'être acclamé comme héros, le jeune sous-lieutenant, de trop belle allure et trop épris de sa liberté payée au prix fort, pour s'être rangé du côté des Lanzer contre ses parents et surtout contre la petite ville qu'il méprise ostensiblement, il sera victime du complot qui aura raison de lui aussi, de façon implacable. Dans cette partie, qui révèle le mieux la critique sociale, pour ne pas dire sociologique, contre la petite bourgeoisie provinciale soumise aux pires instincts du chauvinisme guerrier, aux mécanismes de domination et à la fourberie des ambitions personnelles déguisées en « morale », on peut trouver au choix une mise en littérature des enseignements philosophiques de Georges Palante, qui est encore l'ami de l'auteur au moment de la rédaction de ce livre, ou bien une filiation avec une tradition littéraire que l'on peut faire remonter à Flaubert voire même à Balzac (le clin d'oeil au nom de la ville aurait alors un sens). Mais dans les deux cas, il est clair que le roman postérieur se situera en rupture et non en continuité avec celui-ci. Une rupture qui fut aussi celle, personnelle, très douloureuse pour l'auteur, d'avec Georges Palante, qui peu après se suicida sans vouloir se réconcilier avec son jeune disciple.
Ces réserves étant posées, je me trouve d'accord avec le postfacier sur l'importance (sans doute générationnelle) du thème de la Grande Guerre pour l'écrivain, en rapport dialectique avec sa sensibilité politique, sur la figure récurrente de « l'indésirable » dans son oeuvre, sur celle des « victimes et des bourreaux » et sur quelques autres convergences spécifiques entre les deux romans cités. Mais ce qu'il me tient le plus à coeur de souligner, c'est l'étonnante modernité de ce quasi-roman. Si l'on part des camps, l'on ne peut assez mettre en relation « l'indésirable », au singulier, avec ce personnage dont l'action dramatique est initié par un « délit de solidarité », mais aussi avec tous les « indésirables » de la société qui sont sanctionnés, exilés, renfermés (« encampés ») et enfin sacrifiés. À ce propos, Macaux cite Giorgio Agamben (cf. cit infra), mais on pourrait aussi se référer à la pensée de Michel Foucault, notamment dans Surveiller et punir, qui est aussi cité. Enfin, comment ne pas faire le parallèle entre la trame de ce roman et, à l'échelle macroscopique actuelle, les effets de la désinformation politique, du bullshit, des fake news, qui peuvent non seulement détruire « la réputation d'un honnête homme » mais subvertir l'ordre public au nom de la « morale » et de la « Majorité Compacte »... Si l'auteur évoluera dans la plus grande subtilité psychologique des personnages que la littérature possède sur la politique, il reste que l'analyse politique ici contenue possède, pour l'époque de la rédaction, les aspects inquiétants de la prophétie...
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J'ai découvert Louis Guilloux au détour d'une note de bas de page dans un autre livre, Besoin de mer, de Hervé Hamon, que je lisais dans ma petite chambre surchauffée alors que je vivais au Burundi, l'essence même du pays enclavé. Un auteur breton dont il est dit tant de bien, ami d'Albert Camus, qui est probablement mon auteur préféré ? Il fallait que je lise cela et, lors de mon passage suivant dans une librairie, j'ai acquis le Sang noir, son roman le plus célèbre. Ce fut une lecture merveilleuse. Sombre, âpre, mais superbe. Un éblouissement de lectrice, à tel point que je n'ose pas le relire, bien que j'en aies envie depuis un bon moment déjà.
Alors quand je suis passée chez Dialogues, la librairie indépendante de Brest aux dernières vacances et que j'ai vu ce livre sur une table discrète dans un petit renfoncement, je n'ai pas pu m'empêcher de le prendre, et j'en ai commencé la lecture sitôt mon livre en cours terminé.
Car L'Indésirable est en quelque sorte le brouillon du Sang noir. C'est le premier roman écrit par Louis Guilloux, mais il n'a pas trouvé d'éditeur et Guilloux, qui en aurait lui-même reconnu les lacunes, n'y est jamais revenu. C'est donc un écrit de jeunesse, jugé inabouti tant par l'auteur que par un éditeur qui est proposé ici. Et c'est pourquoi il ne serait pas judicieux d'aborder Louis Guilloux avec ce texte, dont, même moi lectrice novice, je peux percevoir les insuffisances même si je n'arrive pas toujours à les nommer.
Pourtant, pour qui a lu et a aimé le Sang noir, c'est une oeuvre très intéressante. On y retrouve effectivement les grands thèmes de l'oeuvre et les archétypes des personnages. Si le Sang noir est plus travaillé, plus profond, du moins dans mon souvenir, plus percutant aussi, on retrouve ici, dans un roman écrit dans l'immédiate après-guerre et qui s'inspire d'un fait divers de 1917, toute l'amertume et la désillusion de l'écrivain. Il avait tout juste vingt ans lorsqu'il écrivit L'Indésirable, mais il avait déjà une conscience aigue des bassesses dont l'âme humaine était capable, ces petites mesquineries lourdes de conséquence, ces recherches d'un dérisoire petit pouvoir personnel. A côté de cela, des personnages intègres, simples dans leurs valeurs et dans la façon de les vivre, parce que cela va de soi. Cela semble un peu manichéen lorsque je le dis ainsi, et ce n'est pas faire justice aux talents d'écrivain de Louis Guilloux, mais il faut reconnaître qu'il ne s'attarde guère aux subtilités des motivations de ses personnages. Par contre, il dépeint les états d'esprit et les cas de conscience des personnages qu'il aime avec une plume à la fois belle et précise qui me fait aimer à mon tour ces personnages avec lesquels je me sens toujours une immense empathie. Ses personnages ont les même tourments que moi, que ce soit dans cette oeuvre de jeunesse non aboutie mais qui m'a donné envie de me replonger dans son oeuvre ou dans des oeuvres de sa maturité comme le merveilleux Sang noir ou le très émouvant Coco perdu.
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Gallimard publie en 2019 l'indésirable, un inédit de l'auteur du Sang noir : L'indésirable est celui qui s'apparente de près ou de loin à l'étranger qu'on a cantonné dans un camp. On est en 1917, la précision est utile, sans doute, mais pas tant que ça. Plus indésirable que l'évident indésirable, le boche en l'espèce, se trouve être celui qui pour une raison ou une autre, probablement mû par des valeurs d'avant-guerre, la compassion, la tolérance, s'attire la sympathie de l'ennemi. Ainsi, M. Lanzer devient l'héritier d'une vieille dame alsacienne qu'il a secourue. La rumeur s'empare du fait, le transforme, fait de Lanzer un profiteur de guerre. Un de ses amis le défend. Il entre dans l'engrenage de la médisance et peu importe qu'il revienne blessé du front. Commence alors le jeu des poupées russes où la grande guerre enserre une plus petite qui en enserre une autre jusqu'au minuscule.

Louis Guilloux n'a pas son pareil pour décrire la bêtise, sans doute. Il aime la marge, les hors cadre, sans doute. Mais enfin, il décrit des mécanismes, la sommation faite à chacun de choisir son camp, par l'usage d'un simple mot le plus souvent prononcé en ce public qui ne se scinde pas, qui refuse de le faire, qui se confine dans la peur, qui se réfugie dans la complaisance. On se pardonne si facilement à soi-même que le miroir de cette lecture est dérangeant.

Christian Vigne
Christian Vigne (Extrait) in DM
Lien : https://doublemarge.com/lind..
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Cette oeuvre inédite est faible.

Elle me rappelle ce que dit Georg Lukacs à propos de l'accueil d'Ibsen en Europe :
" A une époque où le drame se dissout de plus en plus dans la description d'un milieu, Ibsen construit des intrigues dramatiques concentrées, dont la densité rappelle l'antiquité au lecteur et au spectateur (pensons à la littérature contemporaine sur les Revenants) ; à une époque où le dialogue perd de plus en plus sa tension dramatique et dégénère en un phonogramme du langage quotidien, Ibsen écrit un dialogue où chaque phrase fait en même temps découvrir de nouveaux traits de personnages et progresser l'action d'un pas, qui est authentique au sens le plus profond, et n'est cependant jamais une simple copie du langage quotidien"

Lukacs aurait pu ajouter que dans le dialogue, on n'a pas à perdre le fil et à remonter l'avant-page précédente pour savoir qui s'exprime, et seuls des vrais personnages distincts, vraisemblables, peuvent nous procurer le relief attendu dans un dialogue.

Tout cela fait cruellement défaut dans ce roman inédit de Guilloux et inachevé. Bon, enfin si les éditions Gallimard ont voulu, j'ose leur faire confiance. Sauf avis contraire, il demeure bon gré, mal gré, une ligne éditoriale éclairée par l'aura de son âge d'or.
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J'ai beaucoup aimé le début du livre ; le sujet est très intéressant mais manifestement ce livre a été retrouvé dans les archives de Louis Guilloux et il ne semble pas avoir été réellement terminé. A plusieurs reprises, des notes de renvoi nous indique que tel ou tel passage a été supprimé par l'auteur. du coup, le texte qui nous est proposé contient de nombreuses ellipse qui rendent la compréhension globale parfois difficile. On a l'impression qu'il manque des passages. Dommage, car ce texte aurait mérité un meilleur traitement.
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On peut plus parler d'une longue nouvelle que d'un roman. Et insister sur l'inédit, car plusieurs passages n'ont pas la fluidité de ses autres textes. le livre n'apporte rien à son oeuvre, c'est un ouvrage mineur par rapport au reste de ses écrits. Sinon, le traitement de la rumeur et de la médisance sont bien traités.
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