AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Woland


Krutoj maršrut
Traduction : Bernard Abbots avec le concours de Jean-Jacques Marie

Le 1er décembre 1934, à l'Institut Smolny de Saint-Pétersbourg, aux environs de 16 h 30, Sergueï Mironovitch Kostrikov, mieux connu sous son nom de guerre de Kirov, est assassiné, d'une balle dans la nuque, par un jeune et obscur membre du Parti communiste soviétique, Leonid Vassilievitch Nikolaïev. Etrangement, les gardes du corps de Kirov, renforcés de quatre unités sur ordre personnel de Staline après l'étrange attentat manqué de septembre de la même année, semblaient s'être dissous dans la nature ...

Staline, prévenu dans la soirée, impute aussitôt la responsabilité du meurtre à Zinoviev et à ses partisans. C'est l'époque où l'Homme d'Acier redoute au maximum que ses opposants, mécontents de l'emprise de l'appareil policier sur le Parti et la vie politique, hostiles également à sa politique économique, ne lui confisquent le pouvoir. Il est temps pour lui d'éradiquer les vieux bolcheviks, ceux qui possèdent encore suffisamment de prestige pour lui faire de l'ombre. Il s'attèle sans états d'âme à la tâche et signe un décret d'exception qui passera à L Histoire sous le nom de "loi du 1er décembre." Ce décret va, en modifiant du tout au tout les procédures judiciaires, favoriser le déclenchement des Grandes Purges - et la terreur de masse dont l'URSS n'émergera, avec peine, qu'à la mort du dictateur, près de vingt ans plus tard.

Membre du comité régional du Parti communiste de Tatarie, épouse de Pavel Axionov, lequel appartenait au bureau politique du Parti communiste de l'URSS, tranquille professeur d'Histoire à Kazan et mère de deux enfants, Aliocha et Vassia - celui-ci deviendra par la suite l'écrivain Vassili Axionov - Evguenia Semionovna Guinzbourg, comme tant d'autres, plus puissants ou plus humbles qu'elle, sera aspirée par la monstrueuse spirale.

Inquiétée dès 1935, elle reçoit tout d'abord un blâme pour ne pas avoir signalé une "erreur" dans l'un des textes de "L'Histoire de la Tatarie Rouge" de son collègue, le professeur Elvov, bientôt arrêté pour "trotskysme". Puis c'est l'exclusion du Parti et, par voie de conséquence, la perte de son emploi à l'université. Enfin, le 15 février 1937, elle est arrêtée pour "activités contre-révolutionnaires."

Au début, évidemment, Evguenia, bonne communiste, qui croit dur comme fer à l'idéal marxiste, pense qu'il y a erreur, cherche à se justifier, à prouver sa bonne foi. Mais, peu à peu, sans qu'elle l'exprime clairement à ce moment dans son livre, elle se rend compte que ses interlocuteurs, eux, ne sont justement pas de bonne foi. Comme elle veut encore croire à ce qui fut et reste la règle de sa vie, elle se laisse glisser dans une sorte de dépression, surtout lorsqu'elle comprend qu'elle risque de ne plus voir de longtemps ni son mari, ni ses deux fils. Mais, du jour où elle pénètre dans les cachots de la sous-direction générale du NKVD, au Lac-Noir, à Moscou, elle ne cessera plus de se battre.

"Le Vertige", qui sera suivi de "Le Ciel de la Kolyma", retrace le sinistre parcours de la jeune femme depuis sa première incarcération au Lac-Noir en 1937 jusqu'à son arrivée, deux ans plus tard à la Kolyma où elle échoue tout d'abord au camp d'Elguen. Ce premier volume n'évoque donc pratiquement que des prisons : comme nous le répète l'auteur qui, grâce au ciel et à Marx, a su conserver un certain sens de l'humour, même quand tout, y compris l'humour en question, vire au noir le plus absolu, plus la prison est sale et les gardiens négligés et familiers, plus la Mort s'éloigne de vous ; plus la prison est impeccable et les gardiens polis, plus elle se rapproche ...

Du Lac-Noir, Guinzbourg est transportée à la Boutyrka, l'une des prisons les plus célèbres et les plus actives de Moscou, puis à celle de Lefortovo. Après sa condamnation à une peine de dix ans de détention en cellule d'isolement, assortie de cinq ans de retrait des droits civiques, on la transfère à Iaroslavl. D'abord strictement seule dans sa minuscule cellule, elle aura très vite une compagne qui n'est autre qu'une amie de jeunesse : les purges fonctionnent si bien que les mesures d'isolement drastique ne peuvent être respectées, faute tout simplement de place suffisante.

Finalement, en mai 1939, alors que les deux femmes pensent qu'elles mourront d'épuisement, de malnutrition et de désespoir bien avant la fin de leur peine, Guinzbourg voit la sienne commuée en dix ans de travaux forcés à accomplir dans les camps de la Kolyma. Elle part donc, avec près de quatre-vingt autres prisonnières venues d'horizons différents mais toutes des "politiques", dans un wagon à bestiaux qui les achemine, sous un soleil de plomb et avec des restrictions d'eau impensables, jusqu'au camp de transit de Souzdal, à Vladivostok. de là, nouveau départ, en bateau cette fois, vers la Kolyma et le camp d'Elguen, mot qui, en iakoute, la langue du cru, signifie "mort." Tout d'abord préposée à l'abattage des arbres en pleine taïga et par des températures sibériennes, Guinzbourg, qui n'en peut plus, a la chance d'être mutée à la "Maison d'Enfance" du camp, une crêche où l'on s'occupe des enfants nés à la Kolyma - car il y en a, oui.

L'ensemble fourmille de tant d'événements - on est presque tenté, malgré le contexte douloureux, d'écrire "de rebondissements" - et de réflexions qu'il serait malvenu de tenter de les détailler. Saluons cependant la limpidité de l'écriture, la logique de la construction et un don réel pour le récit qui font de ce livre un document qu'on n'est pas près d'oublier. D'ailleurs, comme nous vous le disions, il y a une "suite", avec laquelle on est pressé d'enchaîner. ;o)
Commenter  J’apprécie          70



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}