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Critique de Apikrus


Née en 1904, l'universitaire Evguenia S. Guinzbourg fut arrêtée en février 1937 pour ne pas avoir dénoncé un collègue trotskyste. Trois mois plus tard, après un procès « à la soviétique » (la réalité des faits reprochés y importe peu), elle fût condamnée à dix ans d'emprisonnement en cellule d'isolement, peine ensuite commuée en autant d'années de travaux forcés sur le territoire de la Kolyma.
Ce territoire du nord-ouest de la Sibérie orientale est traversé par le fleuve du même nom qui se jette dans l'Océan glacial arctique. Séparé du reste du pays par de vastes étendues de taïga et par des montagnes, on y accédait alors par bateaux via la mer du Japon et la mer d'Okhotsk, ou par les airs, d'où l'une de ses appellations : l'« île de la Kolyma ». Un autre nom donné à la Kolyma était « territoire de la mort blanche », et une maxime de l'époque soviétique énonçait : « Колыма значит смерть » (se dit « Kolyma znatchit smiert » et signifie : « Kolyma veut dire mort »). Ce territoire est riche en gisements d'or. A l'époque soviétique, des camps de travaux forcés y furent implantés, précisément pour extraire de l'or. Staline (re)peuplait intensément ces camps (mais ils furent créés dès le début des années 1920 selon Alexandre Soljénytsine - 1918-2008 - dans l'Archipel du Goulag). Ce territoire et ses camps de travail sont célèbres grâce aux "Récits de la Kolyma" de Varlam Chalamov (1907 - 1982), autre écrivain interné par le Goulag, cité par Guinzbourg (chapitre "mea culpa").

"Le ciel de la Kolyma" fait suite à un premier récit autobiographique d'Evguenia S. Guinzbourg ("Le vertige"), dans lequel elle relate son arrestation et sa condamnation. Dans ce second tome, elle raconte sa vie à la Kolyma, et la vie de ceux qu'elle y croise (pour certains c'est leur mort qu'elle décrit, son poste d'infirmière l'y confrontant souvent). Ce témoignage confirme de nombreux propos d'Alexandre Soljénytsine dans «l'Archipel du Goulag».
Faim, cadences de travail infernales, froid, et maladie (scorbut et épidémies de dysentrie), font partie du quotidien des internés, même si certaines places ou travaux sont moins contraignants et préservent des chances de survie. L'affectation de l'auteure dans un élevage de volailles (lui permettant d'accéder à de la nourriture) et sur des postes d'infirmière lui sauva la vie. Dans ces camps, fraternité, solidarité, et amour, peuvent côtoyer indifférence, sadisme, et haine, et ce aussi bien chez les gardiens que chez les prisonniers. L'arbitraire règne, comme il avait régné lors des arrestations et des procès. Ainsi, à l'achèvement de ses dix années d'internement, l'auteure ne sait pas si elle va être libérée ou si sa peine sera prolongée "jusqu'à nouvelle ordre" comme pour beaucoup d'autres. Les prisonniers ignoraient les règles dictant ce choix à l'administration des camps. Sans que l'auteure ne le dise, il me semble que la gestion de cette population d'esclaves en économie planifiée était alors un critère important de décision des autorités soviétiques. Et pour les zeks (mot formé à partir des abréviations ZK qui désignaient les « zaklioutchenny », ou détenus) qui sortaient à l'issue de leur peine, le retour à la « liberté » (les guillemets s'imposent ici …) était compliqué, leur statut d'ancien détenu figurant sur leurs documents officiels et certains déplacements leur étant interdits. Difficile aussi de faire semblant de révérer un régime qui vous a traité en esclave pendant des années ! Les nouvelles fonctions d'éducatrice décrochées par l'auteure à Magadan - par chance, et grâce à sa maîtrise du piano - étaient psychologiquement éprouvantes pour elle, les messages de propagande à inculquer aux enfants lui donnant l'impression de devenir complice du régime.

Guinzbourg est une remarquable observatrice du monde qui l'entoure. Elle s'interroge sur la nature humaine. Les camps sont un champ d'observation et d'analyse propice. Là-bas les conventions sociales s'effacent et un humain peut montrer son vrai visage. La peur et l'instinct de survie peuvent cependant aussi l'amener à commettre des actes a priori contre ses principes. Son regard et ses descriptions sont toujours pleins de finesse, souvent bienveillants.

Bien que le cadre et les circonstances du récit soient glauques, celui-ci reste optimiste et sa lecture passionnante. Je n'avais pas lu la première partie de l'autobiographie de l'auteure, et n'en ai pas ressenti le besoin pour comprendre cette suite. Je ne manquerai cependant pas de corriger cette lacune. Me reste aussi à découvrir l'oeuvre de Vassili Axionov, l'un des fils d'Evguenia S. Guinzbourg.
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