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Citations sur Adieu Zanzibar (36)

Au cours des mois suivants, j’ai commencé à me considérer comme un exclu, un exilé. Je donne l’impression que tout a été progressif, et il est vrai qu’il m’a fallu deux mois pour arriver à évaluer ma situation, mais j’avais tout senti beaucoup plus tôt. La lettre dans laquelle mon père m’enjoignait de ne pas revenir m’avait sonné, paralysé, réduit au silence et paniqué. Que voulait-il dire exactement par là ? Où irais-je si je ne rentrais pas au pays ? Où pouvais-je aller ? Ce n’est qu’une fois cette peur panique retombée, lorsque les jours passèrent sans apporter de répit dans l’inquiétude, aucun nouveau courrier ne venant annuler le premier, que je cherchai les mots pour expliquer ce qui s’était passé, des mots que je me murmurai en secret dans la honte et l’autodérision. Pour la première fois depuis que j’étais arrivé en Angleterre, je me sentais un étranger. Je le compris, je m’étais cru à mi-chemin de mon voyage, entre l’aller et le retour, réalisant un projet avant de retourner chez moi, mais brusquement j’ai craint que le voyage ne s’arrête là et que je n’aie à passer toute ma vie en Angleterre, étranger au milieu de nulle part.
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Suis-je un? Je suis l'étang où elle se mêle à moi. Je n'ai jamais connu pareil manque ni pareil désir, comme si j'allais mourir de soif ou de folie si je ne la tenais pas entre mes bras, si je ne m'étendais pas à côté d'elle. Pourtant je ne meurs pas et je ne la tiens pas entre mes bras. Mais je n'ai jamais su grand-chose, et peut-être en est-il ainsi de tout amour tôt ou tard.
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Il savait que les vieux sages reviendraient plus tard dans la matinée s’asseoir sur le banc qu’il avait installé devant sa boutique à leur intention, lorsque le soleil aurait disparu derrière les maisons les plus proches. ils migreraient ensuite nonchalamment au cours de la journée vers un autre coin d’ombre, ou bien retourneraient au café, puis à la mosquée, avant de réapparaître en fin d’après-midi du côté de la boutique. A la fraîche les bavardages seraient plus amènes, les récits plus longs et plus anciens. Il en allait ainsi depuis l’époque de son père. Les vieillards se succédaient, qui allaient et venaient en traînant les pieds au gré des événements, mais le banc restait à sa place, et ne manquait jamais d’occupants. p35
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Le destin est partout, comme il était dans cette première rencontre, mais le destin n'est pas le hasard, et les événements même les plus inattendus répondent à un plan.
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Les Britanniques étaient partis, voilà. Du temps de leur présence, ils menaient tout a la baguette, like a school for monkeys, comme on dit dans leur langue. Ceci n'est pas autorisés, cela est interdit. C'est mal, mal, allez en prison. Arriérés, corrompus, infantiles, nous seuls, les Britanniques, sommes honnêtes, les plus justes, les plus efficaces dirigeants depuis l'aube des temps.
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Il y a, vous le voyez, un je dans cette histoire, mais je n’en suis pas le sujet. C’est une histoire sur nous tous, Farida et Amin, nos parents, Jamila. Elle dit que chaque histoire en contient beaucoup d’autres, et qu’elle ne nous appartiennent pas mais se confondent avec les aléas de notre époque, qu’elles s’emparent de nous et nous lient à jamais. p135
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Le destin est partout, comme il était dans cette première rencontre, mais le destin n’est pas le hasard, et les événements même les plus inattendus répondent à un plan. Ainsi la suite a-t-elle laissé paraître moins qu’accidentel le fait qu’Hassanali ait été celui qui a découvert l’homme. p10
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Ali Abdalla était un vieillard, il avait soixante ans, une barbe blanche, et faisait commerce de tout ce qui se présentait, il avait deux épouses et de grands enfants quelque part en Arabie. Un parfum de scandale était attaché à son nom.
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Telle est notre époque. Nous pensons savoir que le miracle est mensonge et lui cherchons toujours une explication cachée ou refoulée. Nous préférons comme explication la cupidité et la luxure plutôt que l'amour. Nous sommes plus rassurés par l'évocation sournoisement moqueuse de nos petites misères, de nos odeurs et de nos excretions que par la modestie, la discrétion, ou un vibrant désir d'affection en nous.
On ne nous laisse même plus avoir une âme, et le jardin secret qui est le nôtre n'est que lieu de tourmente sans fin, plaie à vif, lancinante blessure.
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C’était la fin des années 1950, une époque où le monde fut plus tragi-comique que jamais, et où l’Afrique presque tout entière se trouvait gouvernée par les Européens d’une manière ou d’une autre : directement, indirectement, par l’usage de la force brute ou d’une diplomatie musclée, si tant est que ces deux termes ne soient pas trop contradictoires. Une carte britannique de l’Afrique dans ces années-là présentait quatre couleurs : un rouge tirant sur le rose pour les territoires sous la domination des Britanniques, le vert foncé pour les Français, le violet pour les Portugais et le brun pour les Belges. À ces couleurs correspondait une vision du monde, et chacune de ces nations avait ses couleurs à elle sur ses cartes à elle. C’était une manière de comprendre l’époque et, pour beaucoup de ceux qui se penchaient sur les cartes, une manière de rêver à des voyages auxquels seule l’imagination pouvait donner corps. On ne lit pas les cartes aujourd’hui de la même façon. Le monde est devenu autrement complexe, plein de peuples et de noms qui brouillent sa clarté. Dans tous les cas, rien n’est plus à présent laissé à l’imagination, car l’image est partout.
Sur les cartes britanniques, le rouge était un rappel de la bannière anglaise, il représentait la volonté de sacrifice au nom du devoir et tout le sang versé au nom de l’Empire. Même l’Afrique du Sud était alors encore en rouge rosé, dominion au même titre que le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, des lieux que les Européens avaient investis en parcourant la moitié du monde pour trouver un peu de paix et de prospérité. Le vert sombre était une plaisanterie aux dépens des Français, qui évoquait les pâturages élyséens quand l’essentiel du territoire sur lequel ils régnaient était soit désertique ou semi-désertique, soit couvert par la forêt équatoriale, autant d’étendues inutilement gagnées par les armes et un orgueil démesuré. Le violet était réservé à l’inquiète estime de soi des Portugais et à leur passion pour la monarchie, la religion et les symboles de la domination, quand durant l’essentiel des siècles de leur occupation coloniale ils avaient dévasté ces terres avec la pire brutalité, détruisant et incendiant, déplaçant des millions d’hommes et de femmes vers les plantations du Brésil pour y servir d’esclaves. Le brun, enfin, était la couleur de l’impassible et cynique efficacité des Belges, qui prirent part aux festivités plus tard mais dont le cadeau qu’ils laissèrent aux peuples sous leur joug se révéla être sans comparaison aucune avec celui des autres grandes puissances de cette époque étriquée.
Leur legs au Congo et au Rwanda laisserait encore pour longtemps souillés les rivières et les lacs. Les Espagnols aussi avaient leurs territoires, en jaune sur les cartes britanniques comme un rappel de la couleur de leur drapeau et de leur obsession de l’or à piller. Plus tard dans cette décennie, les couleurs allaient pâlir et passer au rose, au vert pâle, au mauve et au beige. Peut-être était-ce le signe d’un renoncement à l’autorité coloniale, une évolution vers l’autonomie, la situation est en main, tout passe tout lasse.
La carte des années 1950 montrait aussi les exceptions à la domination européenne. L’Égypte était indépendante et en proie à l’agitation depuis 1922, mais sans autre choix que d’accueillir sur son territoire l’armée de terre, l’aviation et la marine britanniques. Le Libéria, qui ne fut jamais officiellement une colonie, avait été créé pour devenir la terre où les esclaves africains affranchis pouvaient revenir des États-Unis d’Amérique afin d’y construire une Nouvelle Jérusalem, et quel beau travail ils avaient fait là. L’Éthiopie avait tenu bon à deux reprises face à des Italiens enclins à la pagaille. Au XIXe siècle, quand toutes les armées d’Europe qui le souhaitaient étaient autorisées à s’emparer d’un bout d’Afrique et à assassiner par milliers ses habitants, l’armée de l’empereur Ménélik battit les Italiens à Adoua. Il est clair que c’est une farce qui a conduit à cette défaite inutile, même si certaines autorités en accordent le crédit à Rimbaud, qui fut trafiquant d’armes pour le compte de l’empereur. Plus tard, les armées de Mussolini furent expulsées par les francs-tireurs, les Britanniques et les forces coloniales africaines, dont l’oncle Habib faisait partie. Puis il y avait le Soudan, une dictature militaire indépendante depuis 1952 ; et la Libye, royaume théocratique sous protection britannique depuis 1951. C’étaient des situations à part, à propos desquelles une telle carte n’avait rien à dire. Pour le reste, tout était aux mains de la mission civilisatrice, depuis Le Cap jusqu’à Tanger, en passant par toute l’Afrique de l’Est, où se sont déroulés les événements qui nous occupent ici.
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