Je pense que l'âme a la forme d'une sphère (si elle a une forme), d'une boule où une faible lumière pénètre légèrement en dessous de la surface diaprée où des sensations et des actes de conscience, fragiles comme des bulles de savon, se déplacent en tourbillons et changent sans cesse de couleur, mais seulement en dessous de la surface.
Plus au fond, il n'y a que de faibles traces de lumière, à peu près comme dans les grandes fosses marines, après vient la nuit. La nuit, la nuit.
Mais pas une nuit menaçante. Une nuit maternelle.
Je regardais très attentivement, tout au long de la route, les arbres qui n'avaient plus leurs feuilles. J'adore ces branches nues sur fond de ciel gris de plomb. Ce sont comme les caractères d'une langue inconnue qui essaient de dire quelque chose.
Dans la langue de la région, on ne dit jamais : "il est mort." On dit : " il a fait sa mort."
On dirait qu'il y en a qui ne vivent que pour ces visites à l'hôpital. Ils ne s'y trouvent pas mal du tout. Leur maladie leur donne une identité. Cela est surtout vrai pour certaines des plus vieux et des plus modestes. Leur maladie provoque un intérêt autour de leur personne, un intérêt qu'on ne leur a jamais témoigné tant qu'ils étaient bien portants.
nous sommes tout le temps restés à la campagne - c'était un mode de vie : pour tous les deux, une sorte de (très vague) contestation de la société. Contestation de jardinier, pourrait-on dire.
Oncle Sune fumait tout le temps des petits cigarillos bruns et comme il avait une moustache à peu près du même modèle que celles de Nietzche ou de Staline, on était toujours un peu inquiet qu'elle ne s'enflamme quand lentement le mégot s'y enfonçait telle une mèche à l'ancienne.
Jusqu'ici, je n'avais jamais vraiment compris que seule la possibilité d'un avenir nous permet de nous considérer comme quelque chose d'uni et de bien ordonné, comme un moi humain. L'idée du moi est entièrement fondée sur la certitude que demain ce moi existera encore.
L'enfance est un âge solitaire, concentré sur soi ; peut être la douleur fait elle de nouveau de moi un solitaire, concentré sur soi, comme au temps de mon enfance.
Si je l'ouvre, ai-je pensée, qu'est-ce qui sera modifié en moi? Si on m'annonce qu'il ne me reste plus que quelques mois à vivre, serai-je alors tout à fait paralysé? Serai-je obligé d'aller à l'hôpital? Oui, sans doute, pour y passer mes derniers mois dans un lit avec des douleurs de plus en plus violentes et moi maigrissant chaque jour, m'affaiblissant et plus du tout maître de la situation.