Amir Gutfreund «
les gens indispensables ne meurent jamais », publié par Gallimard en 2007 (ISBN 978-2-07-077384-8)
L'auteur est né en 1963, en Israël, à Haïfa. le thème de son livre réside dans la vision de la Shoah qu'eurent les enfants des rescapés.
Il mélange habilement et constamment trois registres :
premièrement, les témoignages directs fournis par les rescapés âgés revenus des camps de concentration ainsi que par les fiches rédigées sur des criminels nazis,
deuxièmement la quête pour savoir la vérité de deux enfants israéliens qui voudraient savoir mais se heurtent à la barrière instaurée par les adultes sur le thème «tu n'as pas encore l'âge»,
dernièrement la vision qu'il a maintenant, à la fin des années 1990, en tant qu'adulte.
Le récit est prenant, il est indéniablement bien mené. La description de l'impact du passé des parents et grands-parents sur les enfants m'a fortement intéressé. Ces derniers tentent à tout prix d'extorquer des informations à leurs parents (exemple page 93) ; le rabbin Hirsch tente de trouver une justification de la Shoah (pages 298-299), le repositionnement nécessaire des enfants par rapport aux parents une fois qu'ils ont atteint l'âge adulte et qu'ils ont obtenu le récit de tel ou tel destin particulier pendant la Shoah (pages 362-363), une tentative de justification du sionisme (page 391).
Mais... peu à peu, le doute s'infiltre, et la question se pose dès la moitié environ du livre. Comment un auteur vivant en Israël aujourd'hui, ancien colonel de l'armée de l'air, peut-il mettre en scène des personnages vivants entre 1970 et 1990 sans jamais lâcher le moindre mot sur la guerre menée contre les palestiniens par l'Etat d'Israël ? Pendant que je lis ce livre (février 2009), Israël se livre une fois de plus à une démonstration de force dans la bande de Gaza : des bombardements aveugles contre les populations civiles engendrent plus de mille morts en quelques jours du côté palestinien contre tout au plus deux ou trois militaires tués côté israélien.
La fin de l'ouvrage réserve deux surprises de taille : l'irruption du personnage du juif ayant collaboré avec les nazis (oui, cela a réellement existé), doublée de celle du bon allemand lui aussi victime lointaine de l'idéologie nazie. Ces deux thèmes sont sans doute fortement originaux, voire tabous, pour un public israélien, ils le sont moins pour le public occidental ayant déjà quelque connaissance de la Shoa.
L'auteur peut donc, par ces artifices, détourner l'attention de ses compatriotes, mais cela ne marche pas avec les autres. On attend toujours l'auteur israélien qui osera expliquer de façon crédible le lien entre la Shoah, la création d'Israël et la persécution des palestiniens rejetés de leurs terres... La Shoah pourra-t-elle jamais justifier Sabra et Chatila ?