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Critique de Nastasia-B


MISTI est un recueil de 20 nouvelles constitué dans les années 1960 par l'éditeur Albin Michel, qui n'a donc jamais existé du temps de l'auteur, et qui essaie de tirer le meilleur parti des miettes, c'est-à-dire les nouvelles publiées par Guy de Maupassant dans des journaux à l'époque, mais que lui n'avait pas jugé bon de reprendre dans des recueils.

Pourtant, on ne peut pas dire qu'il dénote particulièrement ; certes on n'y rencontre peut-être pas de ces nouvelles luminescentes qui fleurissent çà et là dans certains recueils, mais tout de même un niveau moyen très convenable. Comme cet ouvrage est constitué de façon artificielle, je ne vois pas l'intérêt de respecter sa construction et vais plutôt vous présenter les nouvelles dans l'ordre chronologique de leur parution car, dans l'ensemble, elles ont tendance à être meilleures à mesure que l'on avance dans le temps :

1) La Main D'Écorché est une histoire un peu brinquebalante, surnaturelle, à défaut d'être crédible ou poignante, où un jeune homme achète une main momifiée ayant appartenu à un malfrat notoire. Cette main, en plus d'un aspect effrayant semble douée d'autres vertus qu'il serait malsain de vous dévoiler. Cette histoire annonce une autre nouvelle plus tardive intitulée simplement La Main et parue dans le recueil Contes du Jour Et de la Nuit. L'une comme l'autre ne m'ont pas particulièrement parlée, mais c'est normal, une main n'est pas faite pour parler, quoique…

2) le Donneur D'Eau Bénite est une nouvelle potentiellement hyper riche mais, à l'instar de la précédente, qui souffre un peu de la jeunesse de l'auteur et de son manque de maniement du genre propre qu'est la nouvelle. La langue est déjà impeccable, telle qu'on la connaît par ailleurs, mais pas forcément l'organisation de la narration. Les enchaînements sont un peu téléphonés et le suspense pas suffisamment maintenu à mon goût. Mais c'est très dommage car cette histoire de kidnapping d'un enfant de cinq ans chez un brave couple d'artisans qui va tout abandonner pour se lancer à la recherche de son enfant, coûte que coûte, aurait vraiment tout pour plaire et pour faire du super Maupassant.

3) le Mariage du Lieutenant Laré est encore un passage de l'épopée prussienne en Normandie durant la guerre de 1870 (époque brève et peu relatée dans les livres d'histoire mais surreprésentée dans l'oeuvre De Maupassant) où l'on voit, pour une fois, un effet indirect de la guerre qui a des répercussions positives. Nouvelle très brève mais vraiment à point et plaisante.

4) « Coco, Coco, Coco Frais ! » est le titre pas trop heureux d'une nouvelle pourtant agréable et assez amusante sur la destinée. Elle a aussi le mérite de nous faire ressouvenir d'un métier et d'un produit oublié, à savoir, le coco, boisson issue de la macération de bâtons de réglisse dans de l'eau citronnée et qui était l'objet d'un commerce ambulant dans la capitale au XIXème siècle.
Au soir de sa vie, un homme dévoile à son neveu l'impact qu'eurent toujours sur son existence ses rencontres avec des marchands de coco. (N. B. : Je suppose que c'est cette boisson qui est à l'origine du terme d'argot désignant l'essence dont on abreuve les automobiles.)

5) Une Page D'Histoire Inédite nous rapporte une mésaventure survenue en Corse au jeune Bonaparte, pas encore devenu Napoléon et qui aurait bien failli ne jamais le devenir sans le dévouement de deux ou trois partisans de la première heure.

6) Un Million est une version initiale et notablement plus réduite de la nouvelle qui deviendra plus tard L'Héritage reprise dans le recueil Miss Harriet. Il est question d'un fonctionnaire propret d'un ministère, personnage irréprochable sous tous points de vue dont l'épouse est vouée à devenir l'unique héritière d'une tante millionnaire n'ayant jamais eu d'enfant. Et c'est d'ailleurs pour cette intime raison qu'elle exige que sa nièce devienne mère avant de toucher le magot ; malheureusement, la progéniture tarde à se montrer, si bien que la vieille tante passe l'arme à gauche.

Notre brave fonctionnaire et son épouse espèrent donc toucher l'héritage mais ne sont pas peu surpris d'apprendre que celui-ci est soumis à condition, celle de faire naître un enfant viable dans les trois ans suivant le décès, sans quoi, l'intégralité de la somme sera versée aux pauvres. Maupassant prend plaisir à nous faire sentir les entorses à la bonne moralité dont devront se rendre coupables les braves gens, propres sur eux, pour jouir de la somme tant convoitée.

7) Ma Femme est une nouvelle un peu franchouillarde, un peu machiste, probablement destinée à brosser dans le sens du poil les lecteurs du journal dans lequel elle était destinée à être publiée et développant la thèse selon laquelle il ne sert à rien de choisir une femme car l'on fait toujours le mauvais choix et que même, le mieux, si vraiment il faut en passer par là, c'est de ne pas choisir. Messieurs, à vous de voir. Pour le reste, nouvelle très quelconque dans l'oeuvre De Maupassant.

8) M. Jocaste, comme son nom l'indique, est une référence au personnage féminin de la mythologie grecque, Jocaste, à la fois mère et épouse d'Oedipe. Ici, l'auteur nous dresse la fable d'un cas limite, plus théorique que crédible, où un père ayant perdu celle qu'il aimait s'éprend de sa fille qui est aussi la sienne. le seul côté (un peu) intéressant de cette petite nouvelle malgré tout d'une lecture agréable c'est le parti pris osé de ne pas condamner l'acte d'inceste.

9) le Père Judas est une nouvelle pas très éloignée d'un tableau biblique, verset moderne aux relents lyriques, symboliques et ésotériques, dont le thème rejoint l'acceptation de la différence à l'échelle de la populace. Une belle écriture, indubitablement.

10) Dans Les Caresses, l'auteur nous dévoile sa conception de la volupté et de l'amour physique. Peut-être pas un essai, mais une vision personnelle très intéressante.

11) Humble Drame nous conte le désarroi d'une mère, devenue vieille, et à qui l'on a, puisque c'était dans les moeurs de la haute société d'alors, privé des droits et des prérogatives d'une mère vis-à-vis de son fils, envoyé en pension loin d'elle. Elle ne l'a ainsi point vu grandir ni devenir un homme et une fois homme, celui-ci n'avait plus vraiment besoin de s'encombrer d'une mère puisqu'il lui fallait une femme, et ainsi de suite jusqu'à ce que la vieille mère s'aperçût que son fils était lui-même un homme d'expérience, avec des cheveux blancs… Un récit touchant.

12) La nouvelle titre, Misti, me fait énormément penser à la chanson de Brassens « À l'ombre des maris » et je ne serais pas surprise qu'elle en soit l'inspiratrice. Ce à quoi est mêlé une histoire de vague ésotérisme et de jalousie animale que je vous laisse le loisir de découvrir.

13) La Peur est un récit très intéressant, pas si éloigné que cela d'un mini essai, où l'auteur nous guide sur la définition de la peur, la peur ancestrale, s'entend, la peur primale, originelle, celle des dragons et des êtres immatériels.

14) La Tombe est l'une de ces nouvelles coutumières où Maupassant nous emmène au tribunal pour juger d'un cas de conscience, lui permettant au passage de donner son avis sur la rigidité du système judiciaire et pénal. Ici, y a-t-il une vraie bonne raison pour rouvrir une tombe ?

15) Un Fou ? reprend un peu la thématique du Horla, celle de nos sens insuffisants pour percevoir tout ce qu'il y a à percevoir, notamment, dans ce cas précis, le magnétisme.

16) Blanc Et Bleu est une petite nouvelle sans prétention (et presque, si j'ose, sans intérêt) qui traite d'une balade en barque sur les bords de la Méditerranée. Barques et maisons blanches sur fond bleu. Bof.

17) Madame Hermet est une énième nouvelle relative à la folie, celle d'une mère absolument traumatisée par la petite vérole contractée par son fils.

18) le Voyage du Horla, contrairement à ce que l'on pourrait croire de prime abord, n'a réellement rien à voir avec la nouvelle célèbre intitulée le Horla. Ici, il s'agit simplement du nom donné à un aérostat, sorte de zeppelin embryonnaire qui permet à l'auteur de prendre de la hauteur. Sans doute captivant à l'époque mais désormais sans grand intérêt avec les progrès de la navigation aérienne.

19) Alexandre est une très belle, très subtile petite nouvelle qui nous conte la destinée ambiguë d'un domestique et de sa maîtresse, ainsi que de l'acariâtre maître. Mais au fait, pourquoi est-il si acariâtre ce maître ? Humm… du grand art !

20) L'Endormeuse est une magnifique nouvelle, dont l'argument est très original : le suicide institutionnalisé, contrôlé, dans le confort, dans une structure adaptée. Idée farfelue ? Pas tant que cela et voilà qui nous questionne sur la signification sociale du suicide. Un vrai petit chef-d'oeuvre selon moi, et l'une de mes favorites. Il s'agit de l'une des toutes dernières nouvelles écrites par Maupassant, cela en dit peut-être long sur l'origine de cette thématique.

Il me reste sûrement à vous préciser, de façon tout à fait indicative et subjective, mes quelques favorites. Je retiendrai très volontiers L'Endormeuse, puis, un ton en dessous, Alexandre, La Peur, Misti, Humble Drame, Les Caresses, le Père Judas et le Mariage du Lieutenant Laré. Les autres m'apparaissent très quelconques, mais ce n'est là que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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