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EAN : 9782253069072
480 pages
Le Livre de Poche (03/01/2018)
4.14/5   1388 notes
Résumé :
Un voyage époustouflant dans trois siècles d’histoire du peuple africain.

Maama, esclave Ashanti, s’enfuit de la maison de ses maîtres Fantis durant un incendie, laissant derrière elle son bébé, Effia. Plus tard, elle épouse un Ashanti, et donne naissance à une autre fille, Esi. Ainsi commence l’histoire de ces deux demi-sœurs, Effia et Esi, nées dans deux villages du Ghana à l’époque du commerce triangulaire au XVIIIe siècle. Effia épouse un Anglais ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (323) Voir plus Ajouter une critique
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C'est un magnifique roman historique que nous livre Yaa Gyasi du haut de ses 27 ans. J'en reste toute songeuse. Les cursus d'écriture créative des universités américaines produisent des auteurs assez fabuleux dès le premier roman !

Depuis le Ghana, puis aux Etats-Unis, avec deux lignées familiales, elle nous raconte sur trois siècles, l'histoire douloureuse de l'esclavage, de la ségrégation, du métissage, et du déracinement avec l'art consommé d'une grande conteuse qui sait évoquer les esprits des ancêtres, le soir auprès d'un feu sur une plage. On entend les accents, on ressent la chaleur de la terre et à quel point pique le coton brûlant sous le soleil de l'Alabama.

Les yeux perdus sur l'horizon, on croit voir les bateaux négriers qui partent du fort vers les plantations, plein de ces corps souffrants . Combien ont été livrés aux Anglais dans les razzias commises dans ces guerres entre Fantis et Ashantis ? Combien sont morts dans ce voyage sans retour ? L'Atlantique est devenu le tombeau de l'Afrique.

On est avec chacun des protagonistes de chaque génération pour vivre avec eux le quotidien du temps, les fractures familiales, l'exploitation insoutenable. Et on découvre une histoire autre qui est en train de s'écrire avec ce merveilleux écrivain, quelque chose d'infiniment plus complexe que ce qu'on a appris, L'esclavage réel qui survit longtemps aux Etats-Unis à la fin de l'esclavage juridique par exemple.

Chaque chapitre est consacré à un descendant d'Effia ou Esi, et le récit ne faiblit jamais, toutes les générations ont quelque chose d'important à apporter, une pierre supplémentaire comme ce bijou qui passe de génération en génération. Les jeunes de notre siècle sont à leur tour des héritiers et des passeurs, ils témoignent du long chemin vers la liberté et sont également des conquérants de l'émancipation à leur façon .

Vous les aimerez tous, j'en suis sûre, comme moi je les ai aimés, ils sont par delà le temps, l'imaginaire du conte et les frontières, une part de notre histoire commune.
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Yaa Gyasi a choisi la fiction pour évoquer de dures réalités : la traite négrière, le commerce, la vente d'êtres humains et ses conséquences sur plusieurs générations. Chaque chapitre est consacré à une génération et à la vie d'un personnage marquant de cette génération, que l'on peut retrouver sur l'arbre généalogique du début.

Yaa Gyasi est née au Ghana et vit aux États-Unis. J'avais envie de découvrir l'histoire du Ghana, en parallèle avec celle des États-Unis, le point de vue des Africains devenus des Afro-Américains. En lisant ce roman, j'ai mieux compris le sens de ce terme et le traumatisme, transmis de génération en génération, qu'il dissimule.


Au XVIIIe siècle, le Ghana est la Côte-de-l'Or. Dans les villages, les guerriers fantis et ashantis capturent leurs semblables et les vendent aux Anglais qui les enferment dans le fort de Cape Coast.

Effia et Esi sont des demi-soeurs mais elles ne se sont jamais connues. Effia sera mariée à un Anglais qui vit dans le fort et Esi sera capturée par des guerriers qui ont pillé son village pour délivrer la fille d'un des leurs, réduite en esclavage. Esi est vendue aux Anglais, enfermée dans un cachot, entassée avec des centaines d'autres femmes, avant d'être envoyée par bateau dans les plantations du sud des États-Unis. Elle survivra aux conditions atroces de détention et de transport mais vivra par la suite un véritable enfer sur terre, ainsi que sa fille Ness.

J'ai cru jusqu'à la fin de ma lecture que No home était le titre original choisi par Yaa Gyasi mais j'ai découvert qu'il s'agissait en fait de Homegoing. Je n'ai pas compris la raison de ce changement. Homegoing me semble en effet plus correspondre au texte. « Retrouver son foyer » disait un commentateur ou une commentatrice. Pourquoi pas ? C'est un peu le sentiment que j'ai eu aussi à la fin de ma lecture. le final émouvant donne vraiment cette impression.

Ce roman peut se lire de plusieurs façons. Tout d'abord comme un roman historique qui retrace trois cents ans de l'histoire tourmentée des Afro-Américains, avec un parti-pris réaliste, presque naturaliste, un réalisme tragique, parfois cruel, sans s'appesantir toutefois. La construction du récit permet de suggérer sans tout montrer, ce qui, pour moi, est suffisant et permet de garder une intensité émotionnelle assez forte.

Effia aura une descendance qui vivra sur la Côte-de-l'Or, l'actuel Ghana, et Esi, une descendance qui vivra aux États-Unis et connaîtra très souvent le pire.

Chaque chapitre peut presque se lire comme une nouvelle, avec l'histoire d'un personnage qu'on retrouve dans l'arbre généalogique, en alternant les États-Unis et le Ghana, et avec une chute tantôt tragique, cruelle ou source d'espoir.

Yaa Gyasi évoque des points peu connus de l'Histoire Afro-Américaine pour les mettre en lumière et passe au contraire sous silence les sujets habituels, comme la guerre de Sécession par exemple. C'est un choix intéressant et instructif car il donne accès à un autre point de vue, différent et source de questionnement. J'ai appris l'existence du Fugitive Slave Act, loi qui permettait d'arrêter tout esclave présumé en fuite dans le Nord et de le renvoyer dans le Sud, sans tenir compte du nombre d'années écoulées depuis sa fuite. Il y avait aussi la Bloodhound Law qui autorisait la chasse aux esclaves avec des chiens.

« Ils savaient tout ça, pourtant n'avaient-ils pas gagné leur liberté ? Les jours à courir dans les forêts et à vivre sous les planchers. N'était-ce pas le prix qu'ils avaient payé ? » Un prix atroce et cependant insuffisant car, même après avoir subi toutes ces horreurs, il était possible d'être repris et ramené au point de départ pour être torturé et assassiné en guise d'exemple. Plus le châtiment est épouvantable, plus il est dissuasif. Il y a des passages vraiment poignants. Jo a tellement souffert que la guerre civile ne le concerne pas. Il « n'était pas en colère. Il ne l'était plus (…). Si Jo éprouvait quelque chose, c'était de la fatigue. »

La fin de l'esclavage ne change rien, il est remplacé par la ségrégation. H est arrêté sous un prétexte futile et envoyé travailler à la mine alors que les Blancs sont là pour avoir tué un homme.

La lourdeur de ce passé a été transmise à la jeune génération qui peine à s'en libérer. Certains utiliseront la drogue à Harlem pour tenter d'oublier le poids de cette souffrance, de l'exclusion, de l'injustice. le roman a une dimension sociologique, presque journalistique, comme un reportage qui montrerait de façon réaliste le vécu représentatif de certaines vies brisées, qui essaient cependant de renouer avec l'espoir de s'en sortir. Cette énergie, cette réussite seront incarnées par Yaw et Marjorie, les Ghanéens, et Marcus, l'Américain qui prépare un doctorat de sociologie mais reste tourmenté.

« À l'origine, il avait voulu centrer son travail sur l'ancien système de louage des condamnés, système qui avait spolié son arrière-grand-père H de plusieurs années de sa vie, mais plus il approfondissait la question, plus le projet prenait de l'ampleur. »

J'ai ressenti la même ampleur dans cette oeuvre de Yaa Gyasi et peut-être aussi l'envie de traduire dans ses écrits cette « rage intellectuelle » dont parle Yaw, cette envie de se libérer des anciens carcans mais aussi de la peur, du traumatisme qu'elle génère ; l'envie de raconter la réalité vécue sans l'édulcorer :

« le révérend George Lee, (…) assassiné alors qu'il tentait de s'inscrire pour voter.

Rosa Jordan (…) assassinée à bord d'un bus après l'abolition de la ségrégation, à Montgomery, dans l'Alabama. Elle était enceinte. »

Le final à Cape Coast avec Marjorie et Marcus est, pour moi, la représentation littéraire, symbolique, de la tentative d'émancipation des Afro-Américains : Marcus n'a plus peur de l'eau, de nager dans l'Atlantique où ont sombré les cadavres d'êtres humains jetés à l'eau car ils n'avaient pas survécu aux conditions épouvantables de la traversée. La mer était, pour lui, un cimetière source d'angoisse. Comment se libérer de cette peur et, plus dur encore à avouer, de la peur des Blancs : "Abro Ni" : "méchant homme", "celui qui feint d'être gentil et vous mord ensuite" ?

Homegoing est une lecture intense sur le plan émotionnel, instructive et j'y ai aussi découvert des contes et légendes africains, ainsi qu'une partie fort intéressante de l'histoire du Ghana, que je ne connaissais pas du tout.

Merci à Afriqueah-Francine pour nos échanges au début de ma lecture. Je vous invite à aller lire aussi sa chronique de ce roman.

Je n'oublie pas non plus Miss Fantomette, qui m'avait suggéré cette lecture avec un aimable petit commentaire sur un de mes billets.
Lien : https://laurebarachin.over-b..
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ATTENTION COUP DE COEUR
Je veux vous parler d'un roman magnifique, d'un livre qui fait vibrer tous vos sens de lecteurs, qu'on peut difficilement lâcher lorsqu'on l'a commencé.
Le hasard et les bons conseils vous mettent parfois sur le chemin de ce genre de livre. J'ai saisi l'opportunité de découvrir cet ouvrage et au vu du bonheur que j'ai pris à le lire, je m'en félicite.
Milieu du 18ème siècle,  la Côte de l'Or (aujourd'hui le Ghana).
Effia, rejetée et battue par sa mère,  sera mariée  contre son grè à un soldat britannique, commandant du Fort Cape coast. Là,  sont amenés et enfermés dans les sous-sols, les esclaves qui embarqueront bientôt pour de lointaines contrées. Parmi ces esclaves Esi, victime des guerres tribales qui vendent leurs prisonniers au plus offrant.
Ce qu'Effia et Esi ignorent c'est qu'elles sont demi-soeurs.
Deux jeunes femmes, deux destins. Et au-delà de leur propre histoire c'est aussi celle de leur descendance qu'Ayaa Gyasi s'attache à nous faire vivre au travers des siècles, entre ce pays d'Afrique pour la lignée  d'Effia, et l'Amérique pour celle d'Esi.
Ayaa Gyasi a su me toucher avec des mots et un regard simple. Ayaa Gyasi raconte. Elle ne juge pas, elle ne dénonce pas. L'absence d'empathie pour ces personnages est à  saluer, contrairement à  ce que l'on ressent trop souvent lorsqu'on aborde ce genre de sujet, ici, point de larmes, même  si bien sûr l'histoire est terrible et les destins parfois tragiques, on ne sort pas son mouchoir à  chaque page.
L'esclavage et la condition des noirs aux États-Unis ont été  maintes fois abordé dans la littérature. Ici, l'auteure sort des schémas classiques et ne s'attarde pas sur les clichés souvent et facilement exploités.
Ce roman est une histoire d'hommes et de femmes avant tout, c'est l'histoire de leurs racines.  C'est aussi une histoire de l'humanité, une histoire de la vie. La naissance, la joie, la souffrance, la peur, la misère, l'amour, la mort.
C'est superbement écrit,  humainement décrit. Touchant.
Un roman bouleversant dont on devrait entendre parler, en tout cas je l'espère de tout mon coeur de lecteur.
Merci à Babelio et aux Éditions Livres de poche pour ce merveilleux moment de lecture.




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Il y a les bons, il y a les beaux, et il y a les GRANDS romans. Chaque année, les romans qui me bouleversent dès les premières pages sont à compter sur les doigts d'une seule main. No home est de ceux qui ont en eux la force de changer le regard sur la complexité de notre terrible monde. Ce premier roman de Yaa Gyasi appartient à cette catégorie, j'en suis convaincue. le succès et les louanges rencontrés lors de sa sortie l'ont confirmé.
C'est une magistrale gifle que j'ai prise en lisant cette fresque afro américaine d'une ampleur incroyable.
Tout d'abord, il y a le charme fou de l'écriture limpide et resserrée pour un roman de survie porté par des personnages complexes et qui se lit pourtant avec beaucoup de facilité. La langue y est ciselée, directe, simple. Je l'ai adorée.

Il raconte l'histoire de deux soeurs africaines à la destinée bouleversante qui étale devant nos yeux incrédules trois siècles d'histoire terrifiante entre Afrique noire et Amérique du Nord.
Du 18e siècle à nos jours en marchant sur les traces des descendants d'Effia et d'Esi du Ghana aux États-Unis, jamais je n'ai rencontré le moindre ennui ou la plus petite lassitude au cours des pages.
Époustouflant par sa forme, formidable pour ses effets sur la lectrice que je suis, No home retrace les stigmates de l'esclavage sur huit générations d'une famille noire à travers deux lignées séparées, l'une restée en Afrique, l'autre déportée aux États-Unis.

La même question revenant toujours dans tous les peuples sur tous les continents " Il y a plus en jeu que l'esclavage, mon frère. C'est à qui possèdera la terre, les gens, le pouvoir. Tu ne peux pas planter un couteau dans une chèvre et dire ensuite « maintenant je vais ôter mon couteau lentement, et il faut que les choses se passent facilement et proprement, qu'il n'y ait pas de dégâts. ». Il y aura toujours du sang. »
C'est une traversée terrible de 250 ans d'histoire raciales, de 1770 à nos jours, dans une grande saga qui pointe pour chaque génération la manière dont la violence et les pressions se régénèrent et instillent la colère et l'incompréhension au creux de chacun. C'est tout un continent qui crie sa rage contre l'occupant blanc et ses manipulations sur certains noirs.

" le problème de l'histoire c'est que nous ne pouvons pas connaître ce que nous n'avons ni vu ni entendu ni expérimenté par nous-mêmes. Nous sommes obligés de nous en remettre à la parole des autres."
Puisse toujours la littérature nous permettre d'ouvrir nos yeux ainsi.

L'auteur évoque, personnage par personnage, chapitre par chapitre, tantôt la vie côté africain, enfants et descendants feront face aux guerres tribales, contre les Anglais, puis la colonisation et ses retombées. Côté américain, enfants et descendants endureront esclavage, travail forcé, ségrégation raciale, incarcération abusive violence policière, drogue...

J'ai parfois dû poser le livre, quelques heures tant j'étais sonnée par la force des mots, par les faits évoqués.
Et « Effia comprenait alors que la nouvelle placidité de sa mère n'était que temporaire, que sa rage était une bête sauvage momentanément tue ».

En quelques pages j'ai été totalement emportée de mère en fils de père en fille sans jamais perdre le fil de ses destins qui se suivent, se tricotent en partant pourtant d'un siècle qu'on a nommé « le siècle des lumières ». Quelle honte !
Parfaitement rédigée, jamais larmoyant, pas dénonciateur non plus, j'ai adoré ce souffle hors du commun et résolument inoubliable pour moi.
« Tu veux savoir ce qu'est la faiblesse ? C'est de traiter quelqu'un comme s'il t'appartenait. La force est de savoir qu'il n'appartient qu'à lui-même. »

Avec un talent inouï de raconteuse d'histoire cette jeune romancière ghanéenne nous montre aussi que dans cette chaîne de la violence seuls l'amour et l'attachement peuvent faire écran.
Dans une faible mesure seulement.

Quel dommage cependant que l'éditeur français ait choisi un titre français qui dit exactement le contraire du titre anglais original Homegoing !




Lien : http://justelire.fr/no-home-..
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Qui n'est pas à la recherche de ses origines , de sa généalogie ...... thématique très interessante que tout le monde souhaiterai effectuer.
Ce roman dont l'auteure, n'est que YAA Gyasi , une jeune femme .....incroyable ... ce livre est un recueil de données exceptionnel sur le Ghana du 17 ème et sur trois générations.La maturité a cette Yaa Gyasi est impressionnante.
Au 17 ème siècles , deux demi soeurs Effia et Esi qui ne se connaitront jamais . Mais qui connaitrons l'existence l'une de l'autre .
Effia sera mariée à un anglais et vit au cap Coast. elle vit aisément .De son union avec son époux le petit Que , enfant métisse voit le jour.
Esi pendant que sa demi soeur est dans le fort , elle est esclaves à quelques mètre .
La suite du roman est originale et bien pensée car elle reprend chaque descendant soit d'Effia , soit Esi et au fur et mesure des siècles ...3 générations.

Les points forts qui sont évoquées sont les guerres entre tribus , l'esclavage, la traite des humains, les enjeux financiers de toute cette souffrance.
Là encore souffrance physique et psychologique. On note quand même des séquelles surtout dans les premiers chapitres

J'ai vraiment apprécié ce premier roman de Yaa Gyasi , il y a évidemment une recherche importante pour nous donner autant de détails.
Je ne connaissais pas l'histoire du Ghana et bien je suis satisfaite .

Je ne peux que vous recommander ce livre .


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critiques presse (2)
Elle
05 août 2021
Une belle et douloureuse histoire qui parle de descendance, d’humanité et de souffrance en héritage.
Lire la critique sur le site : Elle
Lexpress
13 février 2017
La jeune romancière ghanéenne Yaa Gyasi s'attaque avec brio à l'histoire de l'esclavagisme et de ses répercussions sur huit générations d'une famille noire.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (238) Voir plus Ajouter une citation
C’était une chose de faire des recherches sur un sujet, une autre, ô combien différente, de l’avoir vécu. De l’avoir éprouvé. Comment expliquer à Marjorie que ce qu’il voulait capter avec son projet était la sensation du temps, l’impression d’être une part de quelque chose qui remontait si loin en arrière, qui était si désespérément vaste qu’il était facile d’oublier qu’elle, lui, chacun d’entre nous, en faisait partie – non pas isolément, mais fondamentalement.
Comment expliquer à Marjorie qu’il n’aurait pas dû être là ? Vivant. Libre. Que le fait qu’il soit né, ne soit pas enfermé dans la cellule d’une prison quelque part, n’était pas dû à un travail acharné ou à sa foi dans le Rêve Américain ; il n’était pas arrivé là à la force du poignet, mais par simple chance. Il avait seulement entendu raconter l’histoire de l’arrière-grand-père H par Ma Willie, mais ces histoires suffisaient à le faire pleurer et à l’emplir de fierté. On l’appelait H les Deux Pelles. Mais comment avait-on appelé son père et le père de son père avant lui ? Et les mères ? Ils avaient tous fait partie de leur temps et, en marchant dans Birmingham aujourd’hui, Marcus était une somme de ces époques. C’était là son sujet.
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A l'origine, il avait voulu centrer son travail sur l'ancien système de louage des condamnés, système qui avait spolié son arrière-grand-père H de plusieurs années de sa vie, mais plus il approfondissait la question, plus le projet prenait de l'ampleur. Comment parler de l'histoire de son arrière-grand-père H sans parler aussi de celle de grand'ma Willie et des millions d'autres Noirs qui avaient émigré au Nord, fuyant les lois Jim Crow? Et s'il mentionnait la Grande Migration, il lui faudrait parler de ces villes qui absorbèrent ce flot d'hommes et de femmes. Il lui faudrait parler de Harlem. Et comment parler de Harlem sans mentionner l'addiction de son père à l'héroïne - les séjours en prison, le casier judiciaire. Et s'il abordait le sujet de l'héroïne à Harlem dans les années 1960, ne faudrait-il pas aussi parler de la prolifération du crack dans les années 1980? Et s'il parlait du crack, il faudrait inévitablement parler de la "guerre contre la drogue". Et s'il traitait de la guerre contre la drogue, il raconterait comment presque la moitié des Noirs avec lesquels il avait grandi étaient en train soit de rejoindre, soit de quitter le système carcéral la plus redoutable du monde. Et s'il racontait comment les amis de son ghetto faisaient cinq ans de prison pour avoir détenu de la marijuana alors que presque tous les Blancs qu'il côtoyait à l'université en fumaient ouvertement tous les jours, il entrait dans une telle colère qu'il jetait bruyamment le livre qu'il lisait sur la table de la magnifique mais mortellement silencieuse salle de lecture de la bibliothèque verte de l'université de Stanford. Et s'il le jetait sur la table, tout le monde dans la salle le regarderait, et tout ce qu'ils verraient serait la couleur de sa peau et sa colère, et ils penseraient en connaître un bout sur lui, exactement ce qui avait permis de mettre son arrière-grand-père en prison, mais d'une façon différente, moins flagrante.
Quand Marcus se mettait à ressasser ces pensées, il n'arrivait même plus à ouvrir un livre.
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Dans son twi saccadé, Ness appela Aku, qui était un peu plus loin, avec le petit Jo.
« Ne descends pas, quoi qu’il arrive », dit Ness.
Le diable continua de s’approcher, sans cesser de chantonner. Ness savait qu’il attendrait indéfiniment et que le bébé allait pleurer, avoir faim. Elle espéra que Sam lui pardonnerait tout ce qu’elle allait leur faire subir, et elle descendit de l’arbre. Elle toucha le sol avant de se rendre compte qu’il en avait fait autant.
« Où est le garçon ? demanda le diable tandis que ses hommes les attachaient tous les deux.
- Mort, » dit Ness, espérant avoir cette expression qu’avaient parfois les mères quand elles revenaient après s’être enfuies, après avoir tué leurs enfants pour leur rendre la liberté.
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Une voiture pleine de détenus noirs était apparue. Ils étaient âgés de moins de seize ans et semblaient si effrayés que H décida de renoncer à faire grève si l’on cessait d’arrêter des gens pour remplacer les mineurs. À la fin de la semaine, le seul accord conclu entre les deux parties fut que personne ne serait tué.
Néanmoins, on fit venir davantage de détenus. H se demanda s’il y avait un seul Noir dans le Sud qui n’avait pas été mis en prison à un moment donné, tant ils étaient nombreux à remplir la mine.
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Je sais ce que tu penses, dit-elle enfin. Tout le monde en fait partie. Les Ashantis, les Fantis, les Gas. Les Anglais, les Allemands et les Américains. Et tu n’as pas tort de le penser. C’est ce qu’on nous a appris à penser. Mais je ne veux pas penser comme ça. Quand mes frères et les autres ont été pris, mon village les a pleurés tandis que nous redoublions nos efforts militaires. Et pour quel résultat ? Venger des vies en en prenant d’autres ? Ça n’a aucun sens pour moi.
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Vidéo de Yaa Gyasi
Les Grands Débats - H… comme Histoire #1 : Tours et détours de l'Histoire Dimanche 23 septembre 2018 de 11h30 à 13h00 Yaa Gyasi - Richard Powers - Guy Vanderhaeghe - Francis Geffard L'histoire offre un vaste champ de possibilités aux écrivains. Mais la question n'est pas si simple : les hommes font-ils l'histoire ou est-ce l'inverse ? Mais qu'importe car vies minuscules ou destins éclatants, personne n'échappe aux tourbillons de l'Histoire. Qu'essaie-t-on d'exhumer lorsqu'on s'empare d'un pan d'Histoire ? Comment travaille-t-on lorsqu'on s'inspire de l'histoire ? Quelle est la part de documentation et de création ?
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