« Dans chaque pas en terre étrangère,
de nouvelles racines prolongent
le chemin qui vient du pays natal. »
René Depestre - Haïti
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Ce soir, j'ai rendez-vous avec les airs intimes des caraïbes francophones...
Faire des heures de route n'a plus le même sens depuis que je voyage avec
Arthur H et
Nicolas Repac. J'ai laissé le volant de mon Westfalia rose, années 80, à Arthur. de la pointe de Grand'Anse à Port-de-Paix, en Haïti, le siège baissé et les pieds sur le tableau de bord, je bois ses mots avec la même ferveur que l'on met à tremper ses lèvres dans un Cocktail bien frais couleurs passion - jus d'orange, grenadine, curaçao, une rondelle de citron vert, 1 coupelle de sucre rouge, une fleur de grenadia et un Barbancourt 5 étoiles – fin de l'aparté. Nous longeons la mer des Caraïbes, l'eau est turquoise et les poèmes qui défilent dans ma tête ont une odeur de soleil.
Arthur H, le « raconteur chanteur » de Poétika Musika, a choisi les textes de poètes des Antilles qui s'épousaient le mieux à ses émotions musicales. Il a voulu « reconnaître les liens qu'ils tissaient avec sa propre identité ».
« J'irai par quatre chemins confesser l'indigo en poudre fine de ta petite culotte qui compte bien plus d'étoiles que les drapeaux des États fédéraux. Amoureux, je ne suis qu'un homme simple souffrant d'un gigantisme au niveau du myocarde me donnant un coeur trop grand pour ton âge. »
« À toi ma chance belle, ma chanson douce de me donner le bain en ton âme, navire à voiles, barque de mousse, et ton corps d'ail farci de tous les sortilèges. Encore vivrai-je de temps en temps sous la conjonction planétaire de tes tours de hanche gonflées de coups de grâce. »
James Noël - Haïti
Sur la banquette arrière, pour lui permettre de jouer plus librement de ses instruments,
Nicolas Repac s'est saisi de ces poèmes afin de leur donner vie. Ils ont vibré en lui avant de nous être offerts à travers une fête harmonique de flûte, sanzas, guimbarde, sansula, duduk, harmonium indien, sampleur, guitare et tant d'autres. Pour peu qu'on se ferme les yeux quelques instants, on danserait pieds nus dans le sable, la nuit durant, avant de s'endormir sous les étoiles de ce Sud qui me bouscule le coeur.
« …si bien que l'on ne saurait plus qui passe ou d'une étoile ou d'un espoir
ou d'un pétale de l'arbre flamboyant
…Alors la vie j'imagine me baignerait tout entier
mieux je la sentirais qui me palpe ou me mord
couché je verrais venir à moi les odeurs enfin libres
comme des mains secourables
qui se feraient passage en moi
pour y balancer de long cheveux
plus longs que ce passé que je ne peux atteindre. »
Aimé Césaire - Martinique
L'or noir d'
Arthur H est un écrin de merveilles dont les sens s'immergent sans fin, sans limites de temps ni crainte de l'épuisement que ses caresses pourraient provoquer en nous.
« Black gold,
l'or noir, l'exploration du sexe, de l'âme et du coeur, du sens caché, du sens limpide, du sens révélé par le contact, le toucher si ressourçant avec l'âme du monde dans toute sa rugosité délirante, son hystérie, sa douceur, son infini douceur… c'est comme caresser la terre avec tout l'amour possible et voir des tourbillons de poussière s'élever vers le ciel pour devenir des soleils… »
Arthur H
Toujours les pieds sur le tableau de bord, je voyage au coeur de sensations fortes. Je ne voudrais être ailleurs qu'ici, au coeur de ces mots Couleur Café…
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« Arthur, le nègre
Enfant, j'ai entendu quelqu'un dire que les nègres étaient des gens qui vivaient le long du fleuve Niger et cela m'avait tant touché que souvent la nuit je filais là-bas. Il n'était pas question de race, ni de couleur mais d'un lieu où l'on pouvait se rendre en suivant le fil rouge de la nuit. Je dis cela parce qu'après t'avoir entendu, Arthur, je suis retourné là-bas où je t'ai retrouvé.
Le chemin, pour y aller, n'est pas fait de terre mais de chants, un long ruban de chants rugueux, longtemps macérés dans l'eau de vie et le sang gâté. J'y ai retrouvé des gens venant de partout et de tous les temps.
Ils y étaient par choix. Glissant, les pieds dans l'eau, conversant avec
Césaire.
James Noël pêchant des écrevisses juste à la courbe du fleuve, et ce nègre courant dans la brousse avec un molosse à ses trousses ne peut être que Chamoiseau, et tant d'autres, même
Queneau et
Vian, et cette voix qui nous vient du fond de la bananeraie, langoureuse et élégante, comme un hamac l'aurait fait s'il savait chanter, parfois grave et sèche comme une lampée de rhum, pour s'éteindre doucement afin de faire corps avec la nuit : c'est celle d'un jeune homme du nom d'Arthur H. Il a trouvé la route qui mène au fleuve simplement en murmurant des poèmes ramassés ça et là et qu'il nous chantera avec son complice
Nicolas Repac. Soudain,
Césaire s'est retourné pour lui demander de rejoindre le petit groupe de poètes nègres morts. Quand l'aube s'est agitée et qu'il fallait revenir à la surface du jour, Arthur a voulu y rester, et depuis je suis sans nouvelle de lui… »
Dany Laferrière
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Un grand merci au Bison qui a fait traverser
L'Or noir par-delà l'océan pour m'en faire goûter les fruits délicieux, gorgés de poésie…
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