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Christian Bouchindhomme (Traducteur)
EAN : 9782070765317
180 pages
Gallimard (27/11/2002)
2.25/5   6 notes
Résumé :
Interrogation fondamentale sur l'éthique de la responsabilité, L'Avenir de la nature humaine, le dernier essai du philosophe allemand Habermas, considère la question et les enjeux des progrès de la bioéthique et de l'eugénisme à la fois du point de vue scientifique et moral. Habermas, en rupture de ce point de vue avec une large part de la critique, laquelle se montre soit alarmiste, soit très moralisatrice, essaie de reconnaître et de penser le progrès scient... >Voir plus
Que lire après L'avenir de la nature humaine. : Vers un eugénisme libéral ?Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Le « genetic supermarket » est en route. Fantasme ou réalité ? Les scientifiques ont raison lorsqu'ils tentent d'éclairer la chose mais tort lorsqu'ils négligent le sens commun.
Jusqu'à preuve du contraire il existe encore des états de droits et plus généralement des communautés morales auxquels sont soumises des questions de bioéthiques.
Mais jusqu'à quand ? L'auteur ne cache pas son inquiétude face au vide moral qui se crée insensiblement – autrement dit la chosification ou la réification de l'homme. Il laisse à d'autres « les fantasmes nietzschéens qui encouragent “les fractions culturelles majeures” à exercer le pouvoir sélectif qu'ils ont de fait conquis ». L'eugénisme excite autant l'imagination qu'il provoque le scepticisme.
A la parution du livre, les deux questions bioéthiques qui sont soumises à l'état allemand sont celles du diagnostic pré-implantatoire et celle de la recherche sur l'embryon humain, c'est-à-dire l'expérimentation sur les embryons humains surnuméraires. Mais l'impression immédiate c'est que la question est déjà tranchée ailleurs, par d'autres états, par des intérêts privés. L'argument tout trouvé qui ne peut que remporter l'adhésion du plus grand nombre est la promesse de la thérapeutique génétique.
Cet argument de l'eugénisme négatif se présente avec la garantie d‘une frontière infranchissable qui prémuni d'un eugénisme positif et donc de la réalisation de ses fantasmes les plus rebutants comme l'élevage humain. Il y a bien en effet une différence d'attitude entre la médecine qui établit théoriquement un dialogue avec le patient, et l'instrumentation qui ne demande rien à l'instrumenté. Cependant, entre le normal et le pathologique, la perception est déjà glissante « à la faveur de normes de santé toujours plus exigeantes et d'interventions génétiques permises.» Mais surtout la recherche n'a pas de frontières théoriques, ni la demande du public pour l'amélioration de l'espèce, ni pratiquement les intérêts capitalistes en jeu.
Puisque la réponse à la question de l'eugénisme libéral semble presque tranchée, je trouve que ce livre manque le problème de la liberté concrète des parents, c'est-à-dire des conditions pour que TOUS les parents puissent accéder à un choix éclairé et à des possibilités égales d'accès aux biotechnologies. Dans le cas contraire la technologie offre l'avantage discriminatoire escompté par les "maîtres-nés" et les fantasmes nietzschéens pourront en effet se concrétiser. Et c'est bien le problème, car en suivant Kant, l'auteur traine aussi les casseroles de ce dernier, notamment un universalisme abstrait (son horreur du goût barbare).
La question morale que soulève l'auteur est celle d'un adolescent qui aurait été génétiquement « amélioré » au stade embryonnaire, et qui aurait des difficultés à se retrouver sur un pied d'égalité avec les autres membres de sa soi-disant communauté morale. Cette « hétéro-détermination » dans la vie anté-personnelle interpelle forcément par sa précocité et son irréversibilité, mais je n'arrive pas à me convaincre que c'est autre chose qu'une variation par rapport au poids de la détermination sociale que cet adolescent aura également « subi » après sa naissance. Après l'analyse dans ce livre des différentes objections qui font débat, le problème qui ressort nettement est celui de la pertinence des choix faits par les parents dans tous les cas. Ce qui devrait nous ramener au problème des conditions universelles concrètes pour permettre à tous un choix éclairé et une variété de possibilités dans la perspective d'un eugénisme libéral – problème crucial à mon avis tant on connaît déjà les inégalités creusées par l'origine sociale.
L'auteur rappelle évidemment que le choix, même éclairé et plein d'amour, des parents reste un pari sur l'avenir. de cette simple remarque il découle à mon sens que l'avenir de l'espèce humaine est déterminé par la variété de ces paris, comme toute espèce vivante, selon la théorie de l'évolution, est déterminée par le hasard des variations génétiques.
L'auteur reconnaît « le “caractère abyssal” que revêt une discussion concernant les fondements naturels de la compréhension qu'ont d'elles-mêmes les personnes qui agissent de manière responsable ». Cette remarque appelle plutôt une approche pragmatique, mais qui est aux antipodes du transcendantalisme proposé par Kant. de ce dernier, l'auteur retient néanmoins la possibilité pratique d'une communication entre croyants et non-croyants, qui est un aspect important tant on sait la force du clivage sur les questions bioéthiques en particulier. Il faut dire en effet que pendant que la modernité fait rage en épuisant les « matelas de traditions », certaines communautés religieuses manifestent, éventuellement avec violence, le fait qu'elles ne s'engageront pas vers une autre destinée que celle qui est prévue par leur dogme. L'endoctrinement religieux tenu pour acquis par certains pays est bien à ma connaissance ce qui les empêche de ratifier sans réserve la convention internationale des droits de l'enfant.
L'auteur suggère donc que, si pour vivre ensemble au milieu des différentes visions du monde, la sécularisation est requise, alors il faut aussi reconnaître certaines intuitions en provenance des religions. Son programme est de « régénérer les énergies morales qui soudent les sociétés » notamment pour faire face aux menaces que préfigure la consommation jugée « obscène » d'embryons humains aux fins de la recherche. Ce programme ne fait pas pour autant de l'existence de Dieu la meilleure hypothèse possible dans « les mondes vécus qui ont pris conscience de l'immanence de leur autoconstruction ».
L'hétéro-détermination, la manipulation, la programmation génétique peuvent aussi donner lieu à d'autres scenarios de fictions très instructifs. A la lecture de ce livre, j'ai imaginé une manipulation accidentelle, plus probable peut-être qu'une programmation génétique permettant d'obtenir par exemple la bosse des maths. Donc cette manipulation accidentelle qui échapperait à tout contrôle, des scientifiques et des pouvoirs en place, engendrerait des individus peu fertiles avec nous et franchement fertiles entre eux, en un mot l'isolement reproductif. C'est bien ça l'idée, la création FORTUITE d'une nouvelle espèce hétéro-déterminée, l'hétéro-sapiens (sic) à côté de l'homo-sapiens à l'intérieur de la famille des grands singes. Cool !... Non ? La question morale deviendrait une question d'éthique animale. En suivant l'auteur du livre nous devrions alors observer les devoirs moraux réservés « à toutes les créatures sensibles à la souffrance », et donc à nos lointains cousins comme à nos nouveaux et futurs cousins - chacun étant un animal sensible pour l'autre. Je m'arrête là sur le changement de paradigme.
Ce scénario "maison" me parait du reste moins déprimant qu'une humanité chosifiée entièrement sous contrôle. le livre manifeste certes contre la réification de l'homme, mais Il faut encore dire ici le prix de la raison morale kantienne, le sacrifice de la sensibilité, la guerre comme mobile pour passer de l'état sauvage de la nature à l'état social.
Non vraiment, la référence continuelle à Kant dans ce livre assombri le débat. L'auteur évoquant même la succession de Kant, on se demande alors pourquoi il faudrait lui succéder. Mais pour revenir au débat, ce qui peut à nouveau l'éclairer, c'est la poursuite de l'expérience fictive, celle proposée par l'auteur, de l'ado manipulé génétiquement. Je dirai qu'il est aimé de ses parents, qu'il a des potes et peut-être une amoureuse. L'amour et l'amitié, voilà à mon sens la source renouvelable « des énergies morales qui soudent les sociétés ». L'auteur de ce livre nous dit que cet ado aurait une « conscience précaire de son statut de titulaire des droits civiques », mais tous les ados ont cette « conscience précaire », et ils ont aussi le don de nous faire flipper et de nous réserver des surprises.
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Habermas est connu pour être le philosophe de l'état de droit et du patriotisme constitutionnel. Je ne pense pas surprendre si j'affirme que son éthique de la discussion constitue une prémisse nécessaire aux conceptions qui sont défendues ici, car l'argumentaire tourne autour de la possibilité du sujet à entrer dans un cadre constitutionnel égalitaire où il pourrait développer sur ce mode sa conscience de soi. Face à ce qu'il n'hésite pas à désigner sous l'expression d'eugénisme, Harbermas utilise en effet l'argument suivant, tenant compte du processus social d'individuation : si les parents interviennent génétiquement sur l'organisme prépersonnel (l'embryon), l'adolescent aura probablement un rapport réflexif à soi qui perdra de vue le cadre communicationnel égalitaire et constitutionnel, en ce qu'il sera contraint de vivre avec un coauteur de ses projets de vie, c'est-à-dire en ce qu'il ne pourra pas s'interposer communicationnellement à ses parents et aux antagonistes en espérant une réponse ou une possibilité de sortie. Comment s'assurer qu'il puisse communiquer symétriquement dans ces circonstances, c'est-à-dire développer sa conscience réflexive et communicationnelle sans se heurter à la disparition des limites entre le fabriqué qu'il est devenu et le naturel qui permettait une contingence de départ propre à constituer la base d'un projet de vie ? Il y avait cependant un repproche important, et qui se pose pour celui qui refuse l'abandon de la métaphysique : s'imaginer vivre sans cette intervention lorsqu'on en a vécu une, c'est déjà s'imaginer une autre personne. Pourtant, en effet, cela ne change pas le problème : le refus communicationnel est toujours impossible, l'asymétrie demeure.
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Les assassins déterminés au suicide, qui transformèrent des appareils de transport civils en projectiles habités pour les lancer contre les citadelles capitalistes de la civilisation occidentale, étaient, à ce que nous ont appris depuis le testament d’Atta et les déclarations d’Oussama Ben Laden, motivés par des convictions religieuses. Pour eux, les emblèmes de la société moderne globalisée incarnent le Grand Satan. Mais nous également, qui par la télévision avons été l’universel témoin oculaire de l’événement « apocalyptique », avons été submergés, à travers le ressassement masochiste de l’effondrement des tours jumelles de Manhattan, par des images bibliques. Et la langue du talion dans laquelle notamment le Président américain a réagi à l’inconcevable avait elle aussi des consonances vétéro-testamentaires. Un peu comme si cet attentat aveugle avait frappé une corde religieuse au plus intime de la société séculière, partout dans le monde, les synagogues, les églises et les mosquées se sont remplies.
(…)
En dépit de son langage religieux, le fondamentalisme est un phénomène exclusivement moderne. En ce qui concerne les islamistes qui ont commis les attentats, ce qui frappe immédiatement c’est la non-contemporanéité des mobiles et des moyens. Elle est le reflet de cet autre décalage temporel entre culture et société, que l’on put observer dans les pays d’origine de ces islamistes dès l’instant où une modernisation accélérée a profondément porté atteinte à leurs racines. Ce qui, chez nous, dans des circonstances plus heureuses, a tout de même pu être éprouvé comme un processus de destruction créatrice, n’a laissé entrevoir dans ces pays aucune compensation tangible pour les peines causées par le déclin des formes de vie traditionnelles.
(…)
La « guerre contre le terrorisme » n’est pas une guerre, et ce qui s’exprime aussi dans le terrorisme c’est le choc, funeste dans son caractère aphasique, entre des mondes qui, par-delà la violence muette des terroristes et des missiles, sont mis en demeure de développer un langage commun. Face à la globalisation qui s’instaure par le truchement de marchés sans frontières, beaucoup espéraient un retour du politique sous une autre forme — non sous sa forme hobbesienne originelle d’un État sécuritaire globalisé, privilégiant la police, les services secrets et le militaire, mais sous celle d’une capacité à valoriser la civilisation à l’échelle mondiale. Au stade où nous en sommes, il ne nous reste guère qu’à espérer une ruse de la raison — et que l’on fasse preuve d’un peu de réflexion. En effet, cette faille aphasique divise aussi notre propre demeure. (chapitre IV)
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Les nouvelles technologies nous imposent une discussion publique sur la compréhension qu’il faut avoir des formes de vie culturelles en tant que telles. Or les philosophes n’ont plus de bonnes raisons pour abandonner un tel objet de controverse à des bioscientifiques et à des ingénieurs exaltés par la science-fiction.
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En vérité, la théorie morale paie très cher la division du travail avec une éthique qui est spécialisée dans les formes de la délibération existentielle sur soi-même. Elle brise par là en effet le lien qui seul fournit aux jugements moraux la motivation à agir comme il faut. Les intuitions morales n’obligent effectivement la volonté que dès l’instant où elles s’inscrivent dans une compréhension éthique de soi qui attèle le souci que l’on a de son propre bien-être à l’intérêt pour la justice.
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Plus dérangeante encore est cette autre question : pourquoi l’éthique philosophique a dû laisser le champ libre à ces psychothérapies qui, à travers leur fonction de faire disparaître les troubles psychiques, s’arrogent sans scrupule la tâche classique de dire ce que sont les buts de la vie.
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Ce qui transforme, par la naissance, l’organisme en une personne au plein sens du terme, c’est l’acte socialement individuant à travers lequel la personne est admise dans le contexte public d’interaction d’un monde intersubjectivement partagé.
p57
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Vidéo de Jürgen Habermas
Assister à l'après-midi Marxisme et École de Francfort, dans le cadre du colloque « La philosophie comme critique de la culture ? ».
- 14h : Jean-Claude Monod (CNRS-Archives Husserl) « Kulturkritik, satire, critique sociale: quelles armes pour la philosophie ? »
- 15h : Katia Genel (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/Centre Marc Bloch) « Des pathologies sociales à la santé sociale: Adorno, Habermas et Honneth »
- 16h20 : Franck Fischbach (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) « Faut-il choisir entre la critique sociale et la Kulturkritik ? »
Un colloque organisé par le centre SPH de l'Université Bordeaux Montaigne, en partenariat avec la Librairie Mollat et l'Université de Bordeaux.
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