Dans le port d'Umwelt, quelque part sur les rives de la mer du Nord, se dresse au sommet d'une falaise soumise à la furie de l'océan la façade énigmatique de l'hôpital psychiatrique du mystérieux Dr Riwald. Ce dernier y recueille des malades que les familles ou les autorités sont bien heureuses de voir disparaître. Il y laisse cours à ses conceptions particulières des soins médicaux et de l'arboriculture : derrière le bâtiment, le Dr Riwald a élaboré un labyrinthe végétal, allégorie du cheminement que devraient suivre ses patients vers une guérison hypothétique, car personne ne ressort de l'hôpital de Dr Riwald.
Dans cet établissement menacé par l'effondrement irrégulier de la falaise échoue la belle Leeloo, enceinte, qui donne naissance à Malgorne, enfant qui sera élevé par le Dr Riwald et son infirmière en chef, Sigrid, lorsque Leeloo se sera dissoute dans l'océan. Sourd, Malgorne va grandir, devenant le maître du labyrinthe végétal, survivant à la disgrâce du Dr Riwald, et le silence qui l'environne va un jour être magnifié par une vision, celle de la belle et diaphane Peirdre. Fille d'un capitaine de supertanker, Hollandais volant qui jamais plus n'ose toucher terre, Pierdre est-elle une jeune femme, une nymphe, une apparition ou l'exploratrice d'un monde qu'elle est seule à percevoir ? Accompagnée de son étrange « amie » Miranela, Pierdre semble veiller le poul de l'océan ; et elle et Malgorne sont les sentinelles presque irréelles de ce port qui perd sa substance au rythme des saisons.
Ceci, c'est le cadre du roman de
Hubert Haddad. Mais ce n'est pas l'essentiel. Il y a un autre personnage. L'océan, puissant, énigmatique, vaincu et vainqueur, porteur d'espoir et destructeur, divinité contrainte. Sa présence imprègne chaque page.
Et puis, surtout, il y a les mots. Il y a cette chose si rare de nos jours où l'on célèbre des auteurs parce qu'ils ont le vocabulaire d'un élève de quatrième : du style, de la beauté, un écrivain, un vrai, qui sait ce que veut dire écrire et maîtrise la langue.
Il est des phrases trop belles pour rester sur le papier, on a envie de les dire pour les laisser s'envoler
Si vous aimez les romans du quotidien, les critiques littéraires qui s'extasient sur « une écriture fluide » ou des oeuvres du type « C'est le matin. le jardin sent bon. Je vais faire des crêpes. Les enfants font du bruit à l'étage. Ils seront contents » et autres, passez votre chemin.
Par contre, si vous êtes capables de comprendre que « derrière l'épaule du plus bel ange palpite la nuit du cosmos » (p. 53), si vous pouvez entendre « le bruit méticuleux de la neige qui sur elle-même se dépose » (p.80), si vous savez qu'« on s'oublie soi-même aux cimes de l'océan, seul endroit avec le ciel où l'infini partout s'abîme en lui-même » (p.127), alors « c'est maintenant l'heure d'échapper aux pieuvres des songes épiant à la croisée des miroirs » (p.126) et de parcourir ce magnifique roman, à la croisée des métamorphoses et des sublimations, de voyage entre les « ruines confuses des nonchalants chaos du temps » (p.173) et de vous laisser porter au rythme des marées qui grignotent la réalité des côtes d'Umwelt.
Umwelt, c'est aussi un mot qui signifie « monde perceptif », et qui montre combien, dans ce roman, une incertaine réalité se créée à partie des perceptions muettes de Malgorne et de la musique océane qui enchante Peirdre. Il faut se laisser porter dans ce roman pour accéder à la puissance de l'instant, de l'éphémère, qui se retrouve magnifiée par une sublime écriture, au-delà des sens.