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Critique de berni_29


Le peintre d'éventail est un livre à lire lentement, en apesanteur, peut-être à lire autrement. Je préconise de lire ce roman de préférence perché dans un arbre, ou bien sur un rocher devant la mer et en définitive, si vous n'avez ni arbre, ni océan sous la main,- ce qui parfois peut arriver, alors perdez-vous avec ce livre dans le fin fond d'un désert, loin du vacarme du monde...
Hubert Haddad, son auteur, est un écrivain rare, qui ne fait pas de bruit, chacun de ses livres est une offrande, un chemin qui chemine, une respiration qui s'égare, un reste de rosée du matin posé sur la peau de l'être aimée. Voilà comment je vois un peu cet écrivain que j'ai découvert il y a très longtemps, je crois qu'il s'agissait de son premier roman Perdu dans un profond sommeil, il n'est d'ailleurs pas répertorié sur Babelio. Je sens que je vais y remédier dans pas longtemps, mais à condition de le relire...
Le peintre d'éventail, c'est comme un jardin où l'on descend pieds nus. On voudrait que l'être aimée soit seule à entendre le frémissement d'une pluie qui tombe sur les pages des arbres et cela serait le signal mystérieux, magique presque, d'une invitation à venir.
Ce récit est une déambulation...
Autour, il y a le bruit et la fureur, le monde qui ne sait pas se retirer sur la pointe des pieds, qui ne sait pas se retenir... Entrer dans un jardin, c'est comme entrer dans une cathédrale vide, vide de ses prêches et de ses foules, c'est comme venir dans un coeur qu'on aime, c'est comme prier sans croire en Dieu, c'est comme vivre dans l'absolue liberté qui nous a vu naître...
Sans doute les jardins, quels qu'ils soient, ont cette merveilleuse faculté à savoir réparer les âmes un peu abîmées. Plus que jamais, nous avons appris et compris depuis quelques mois que les jardins étaient devenus nos seuls espaces de digression depuis que les bars, les salles de concert, les théâtres et les musées sont fermés.
Ce récit merveilleux porte un jardin ou c'est peut-être l'inverse, mais cela n'a pas d'importance car nous sommes prêts à être renversés dans ce texte magnifique, tendu vers une tragédie universelle, celle du 11 mars 2011, le tsunami qui a dévasté le nord-est du Japon et provoqué le désastre nucléaire de Fukushima...
Hubert Haddad nous invite au fin fond de la contrée d'Atôra, au nord-est de l'île de Honshu. Nous nous glissons dans les pas de Matabei Reien, c'est lui le personnage principal, celui-ci cherche à fuir son passé qui le hante et finit par échouer dans une pension à l'écart du monde, la pension de famille de Dame Hison, une ancienne courtisane...
De multiples personnages venus se mettre en retrait pour différentes raisons, vont ici se croiser, s'effleurer, autour d'un jardin suspendu, hors du temps, comme un lieu catalyseur des douleurs et des blessures du passé, des attentes, des transmissions à venir.
Comme Matabei, parfois j'ai rêvé de devenir le disciple d'un vieux jardinier, artiste et poète, qui me transmettrait son art... Mais le bruit du monde me ramène chaque fois au sol, me faisant à chaque pas encore ressembler à l'albatros de Baudelaire.
Hubert Haddad est un écrivain qui aime le Japon et bien que, connaissant peu ce pays et sa culture, je l'ai ressenti à chaque pas, dans cette lenteur presque hallucinatoire qui effeuille les pages de ce roman avec une grâce et une maîtrise de l'écriture. Parfois on pourrait être amené à penser que cette maîtrise ôte la spontanéité des personnages. Ne vous trompez pas ! Sous l'apparence des dessins finement ciselés sur la soie ou le papier, derrière l'architecture savante des haïkus, se cachent la sensualité des gestes, d'ardentes passions prêtes à dévaster des coeurs aussi violemment que les tsunamis...
Ce roman, c'est juste une quête de la beauté, chacun ira la chercher à l'endroit où ses pas ressentent le moins les sables mouvants...
Ce roman initiatique est une présence au monde rassurante, consolatoire, réparatrice, un jardin mis à l'écart des tentatives de l'apocalypse.
Si par ces quelques mots, j'ai pu vous donner envie d'aller à la rencontre de cet écrivain rare, Hubert Haddad, alors peut-être que ce soir un albatros sur un bateau d'équipage, s'apprête à reprendre son envol vers les lointains...
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