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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
°°° Rentrée littéraire 2019 #30°°°

Je suis très étonnée qu'en cette rentrée littéraire on ne parle que si peu de ce formidable roman au titre puissant. Un monstre et un chaos, c'est pour Pascal ce que devient l'homme pour l'homme lorsque l'éthique s'effondre sous les coups de la barbarie, il n'est même que cela.

C'est l'histoire tragique du ghetto de Lodz durant la Deuxième guerre mondiale, le 2ème plus grand derrière celui de Varsovie ( lui aussi récemment exploré par l'excellent Ghetto intérieur de Santiago Amigorena ).
C'est aussi l'histoire d'Alter, jeune garçon juif d'une dizaine d'année, orphelin, que l'on suit de son shetl de Mirlek, rongé par la misère et les pogroms, au ghetto de Lodz, après le massacre de son frère jumeau et toute sa famille par la Wehrmacht en septembre 1939. C'est son regard d'enfant qui va transcender tout le récit.

Tout le talent de Hubert Haddad est de parvenir à conjuguer la petite histoire d'un orphelin à la grande histoire sans lourdeur, mais avec brio et fantaisie. Dans l'immensité de la Shoah, il a réussi à dégotter un personnage absolument insensé et qui pourtant a réellement existé : Chaïm Rumkovski, le doyen du Conseil juif de Lodz, homme d'affaires, aventurier et directeur d'orphelinat, qui va diriger ce ghetto de plus de 100.000 personnes et surtout « collaborer » avec les Nazis autour d'un projet dingue : faire du ghetto un centre industriel ! Une centaine d'usines se mettent en place, fabriquant textiles et jouets pour le IIIème Reich en échange de nourriture, quelques jours de survie, quelques semaines, quelques mois de plus ... Au final, le ghetto sera liquidé, ses habitants tous déportés, y compris son roi ... qui a fait durer son royaume deux ans de plus que celui de Varsovie.

Ce récit est passionnant et de façon très impressionnante, bien loin du compte-rendu historique classique grâce à la magnifique écriture de l'auteur. Il n'y a pas une page où sa vivacité n'éclate, comme lorsqu'il décrit le fameux Chaïm Rumkovski :

« Habile postulant au-devant de la scène, harnaché en privé d'un lourd collier d'argent avec bouclier de David du même métal en suspensoir sur sa robe de chambre royale, ce second rôle encombrant illustrait à ses yeux tous les travers de la servilité arrogante. Vieux grison corpulent, l'air immensément satisfait de sa personne entre deux coups d'oeil craintifs vers les si proches confins de sa conscience, une mise soignée de rabbi de cimetière enrichi par on ne sait quelle manne en petite monnaie, le personnage fait penser tour à tour à al doublure d'opérette d'un Philippe Pétain en marzalek levantin ou à quelque pseudo-Falstaff sentencieux. »

Le lecteur est emporté dans ce tourbillon romanesque qui jamais ne sombre dans le pathos malgré l'horreur. Au contraire. Tant qu'il y a du vivant, il y a de la vie. le ghetto bruisse de musique, de théâtre, d'animation de bateleurs et de chansonniers. le jeune Alter crée même une spectacle de marionnette en faisant ainsi revivre son jumeau disparu. Même au seuil de l'anéantissement, les vivants sont portés par l'imaginaire, même affamés, leur cerveau parvient à s'évader, plus que jamais. Le lyrisme et la poésie du texte croissent à mesure que le drame s'accentue. C'est toute la résistance de l'esprit humaine qui est magnifiquement mise en avant, tout le roman se fait alors célébration de l'art comme pulsion de vie.

Dans cet équilibre de funambule, Hubert Haddad a l'élégance de ne jamais faire basculer son récit dans le pathos. L'émotion surgit au contraire avec subtilité, au détours d'un détail, d'une description, d'une pensée d'enfant qui porte toute l'humanité du monde, d'autant plus bouleversante.

Ce roman tragique est miraculeusement lumineux, à l'image de ces mots en yiddish que l'auteur ne traduit jamais ( ni en bas de pages, ni dans un lexique postface ) mais qui sont universellement compréhensibles par la musicalité qu'ils portent.
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Nous sommes en Pologne à la fin des années trente. Nous découvrons la vie ordinaire d'un shtetl semblable à tant d'autres et sa communauté juive. Deux jumeaux y grandissent, Alter et Ariel, alors que grondent déjà au loin les rumeurs de guerre.
En septembre 1939, la Wehrmacht envahit la Pologne et commence à massacrer tout ce qui ressemble à la différence, celle qui ne convient pas à l'idéologie du IIIème Reich, c'est-à-dire les Tziganes, les Juifs... La famille des jumeaux est ainsi décimée, sous les yeux du seul survivant Alter.
Alter a perdu son alter ego, son double, son frère...
Alter s'enfuit car il est traqué, fuyant les rafales de mitraillettes qui le chassent comme un lapin qu'on cherche à abattre. Il court dans les bois, c'est l'errance parmi des paysages d'horreur, fuyant les tueurs, au milieu des cadavres qui jonchent les routes, au milieu de la forêt où il se réfugie pour dormir parmi les bêtes...
Il va s'identifier définitivement à son frère mort parce qu'il aura vu ce massacre sous ses yeux, c'est le grand traumatise dans lequel il chavire dès les premières pages et qui en même temps le fait tenir debout, lui donne des jambes, des ailes, lui donne le coeur de tenir dans cette barbarie qui déferle comme une vague.
Condamné à l'errance, sa course le mène aux portes du ghetto de Lodz, - l'un des plus grands ghettos de Pologne après celui de Varsovie. Il s'y engouffre, il s'y perd, il se retrouve dans une vie grouillante.
Lodz, c'est cette immense communauté juive, cernée de murs, une sorte de prison à ciel ouvert d'où il n'est pas possible de s'échapper. le doyen du Conseil juif qui y règne en maître, - Chaïm Rumkowski un personnage qui a réellement existé, va faire de ce territoire une vaste cité industrielle, démultipliant les ateliers, les boutiques, les manufactures, d'où sortent des draps, des vêtements, des chaussures, de la bonneterie pour les dames berlinoises...
Chaïm Rumkowski c'est cet étrange personnage mégalomane, très controversé, pantin à la solde des nazies pour les uns, grand protecteur de sa communauté pour les autres, pour que les siens ne soient pas livrés à destination des camps, - enfin pas tout de suite, il veut en sauver quelques-uns, c'est ce dessein qui l'anime.
On pourrait croire que c'est l'attente du désastre et de la mort, - même si nous savons après coup que c'est une antichambre de l'horreur, avant l'anéantissement, avant « la solution finale », mais non pour l'instant ici cela grouille de vie, d'espoir, de solidarité, de fraternité...
Dans le ghetto de Lodz, il y a la vie industrielle avec ses activités qui fourmillent dans tous les sens, mais il y a aussi une vie artistique intense et étourdissante dans laquelle Alter se fond, trouvant l'univers qui saura résonner avec son âme blessée à jamais.
C'est un monde empli de musique, de théâtre, de comédiens, de bateleurs, de chansonniers, de chants yiddishs.
Et dans ce monde artistique qui tient peut-être à bout de bras l'autre monde déjà désespéré, Alter trouve dans un théâtre de marionnettes le moyen de combattre son traumatisme, de réaliser son rêve le plus cher, créer une marionnette à sa taille, à son image et qui ressemble comme deux gouttes d'eau à son autre frère qui n'est plus là, du moins qui s'était absenté durant quelques temps car voici de nouveau Ariel sous les traits de cette marionnette , mais qui lui ressemble aussi...
Alter, Ariel... Ariel, Alter... À partir de ce moment-là, le texte bascule comme une pièce de théâtre, comme une scène avec ses planches, ses rideaux, ses cordages, ses coulisses, ses doubles cloisons, ses secrets...
Dans cette gémellité extraordinaire perdue, retrouvée, Hubert Haddad crée un récit picaresque à l'écriture onirique foisonnante, où le sentiment d'humanité apporte sans cesse sa lumière.
Un monstre et un chaos, c'est un peu le monde des toiles de Chagall qui s'enroule dans le tourbillon des mots d'Hubert Haddad.
Un monstre et un chaos, c'est la barbarie vue à travers les yeux d'un enfant de douze ans, orphelin rebelle, refusant de porter l'étoile jaune, s'esquivant sans cesse comme un chat, derrière les coulisses d'un paysage. La barbarie à visage humain, oui vous savez celle pour laquelle on avait dit au lendemain de la seconde guerre mondiale, plus jamais ça...
J'ai été emporté par le regard de cet enfant qui traverse ce récit, le transcende et nous transperce le coeur par l'humanité qui sous-tend ce texte comme les fondations d'une scène de théâtre...
Il y a ici une puissance romanesque qui m'a séduit, bouleversé, par son écriture, par l'imaginaire de l'histoire d'un jumeau en quête de son double, et qui s'empare de la grande Histoire, du destin peuple juif massacré, dire cela, comprendre cela, dans le contexte d'aujourd'hui où les voix de la bête brune continuent comme jamais de hurler à nos portes...
Essayer de dire sans pathos non pas seulement ce qui fut, - l'horreur absolue que fut la Shoah , mais conjurer la tragédie pour qu'elle ne revienne plus, pour ne pas oublier, pour transmettre...
Comment rendre le rêve plus grand que la nuit ? Comment rendre la vie plus grande que l'horreur ? Comment rendre les mots plus forts que le silence et l'indifférence ?

« C'est arrivé, cela peut donc arriver de nouveau. » Primo Levi.
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Que dire d'Un Monstre et un chaos de Haddad, si ce n'est pour paraphraser je ne sais plus qui, que le silence qui suit est encore de lui.
Un Monstre et un chaos c'est le monde de Chagall passé au lance-flammes, avec dans cet univers qui rétrécit comme peau de chagrin jusqu'à l'anéantissement un garçon, Alter (!), qui a perdu son jumeau Ariel, et qui tente de le faire revivre au coeur du ghetto de Lodz.
Sur Lodz, il y a eu Les Dépossédés, de Steve Sem- Sandberg, et La fabrique de papier tue-mouches, d'Andrzej Bart qui mettait en scène le « procès » de Chaïm Rumkowski, l'ancien responsable du ghetto transformé en complexe industriel pour grappiller quelques années de survie, jusqu'en 44.

Au milieu du chaos généralisé et de l'absolue cruauté, la cité surnommée le « Manchester polonais » tente de repousser la mort du plus grand nombre et l'enfant et son double "ectoplasmique" s'évadent grâce au théâtre et aux marionnettes puisque jusqu'au bout, un semblant de vie même culturelle s'accroche aux murs lépreux. C'est là toute la force de ce magnifique roman, merveilleusement écrit et construit, de mêler l'onirisme à la réalité la plus crue. «  On peut rendre le rêve plus grand que la nuit ».
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La Pologne, alors que le monstre du parti national-socialiste commence à dévorer l'Europe et que le chaos s'abat sur Mirlek, « une grosse bourgade informe proche de la ville de Plonsk, dans la Voïvodie de Mazovie, de l'autre côté de la Vistule. »
Ariel et Alter sont deux jumeaux élevés par Shaena, leur mère, qui pourrait tout aussi bien être leur soeur. Ils se sont réfugiés chez l'oncle forgeron, Waurshauer.
L'armée allemande envahit le village et décime toute la population. Seul Alter, du haut de ses douze ans, en réchappe après avoir assisté au viol et au meurtre de sa mère ainsi qu'à la mort atroce de son frère.
Il s'enfuit et c'est l'histoire de cette errance au milieu de l'horreur sanguinaire des hommes qui ont mis leur intelligence au service d'un eugénisme contre-nature, qui ont inventé l'aberration ultime.
Enfermé dans le ghetto Litzmannstadt, Alter marche sans l'étoile qu'il refuse de porter au milieu de cette nouvelle société qui est en train de s'ébaucher afin de survivre au monstre. Il y a ce Chaïm Rumkowski qui pense sauver la population juive de la déportation en créant l'utopique royaume du judenrat où il bat monnaie de singe et timbres à son effigie, milite pour faire de cette enclave le premier centre industriel du troisième Reich en mettant la population au travail avec pour salaire quelques semaines, quelques mois de vie supplémentaires. Il poussera sa folie illusoire jusqu'à prononcer ce discours ignoble retranscrit mot pour mot par l'auteur ! Discours qui illustre bien jusqu'à quelles extrémités peut pousser un état de désespérance totale. Rien que pour ce passage, le livre d'Hubert Haddad mérite d'être lu.
Il y a cette vie culturelle qui s'organise, concert, théâtre, chansons, bibliothèques parce que tant qu'il y a de la vie il y a de l'espoir et la pensée est la dernière des libertés, inaltérable.
Hubert Haddad raconte avec beaucoup de poésie et de maitrise, cette partie de l'histoire dont il faut soigneusement entretenir la mémoire car, pour reprendre Primo Levi, qu'il cite au début de son ouvrage : « C'est arrivé, cela peut donc arriver de nouveau. »
Une lecture que je recommande tant pour la beauté de l'écriture de l'auteur que pour le message qu'il envoie. Au-delà du roman, Hubert Haddad relate des faits qui se sont réellement passés et des hommes qui ont hélas existés, pour que l'humanité porte sur son front durant une éternité, la honte de l'abomination et sa plus hideuse invention, la haine de l'autre.
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" Qui d'autre que les poètes et les raconteurs d'histoires saura transmettre la mémoire de notre terre perdue ? Eux seuls pourront restituer à nos enfants la haute mélancolie du shtetl ."

Hubert Haddad est exactement le chantre de ces paroles. Grâce à une qualité d'écriture poétique mais aussi fantasmagorée, il nous emmène, nous transporte dans cet univers qui permet à la mémoire de subsister.
Le roman relate l'histoire du ghetto de Lodz, l'une des premières grandes villes polonaises à connaître l'enferment du ghetto. Fait ironique ou désolant, ce ghetto survivra presque jusqu'à la fin de la guerre grâce à Chaïm Rumkowski qui pour "sauver son peuple" les fera travailler sans répit pour fournir aux Allemands tout ce qui leur était nécessaire.
Polémique ou pas, ce qui m'a touché dans ce roman, c'est ce grand souffle d'espoir que portent les " condamnés" du ghetto. En s'accrochant à faire vivre toute la culture yiddish de leurs shetls envers et contre tout.
La littérature sauve les âmes, la culture peut être une carapace qui protège des horreurs et bassesses d'un monde en folie.
Les personnages de papier créés par Hubert Haddad sont très attachants comme ce jumeau qui survit seul dans cet univers broyé. Il apprend l'art d'être marionnettiste et cela lui permet de faire revivre son frère.
Certaines phrases culminent dans l'horreur toutes réelles de ce cauchemar des ghettos.
"Le Reich en déroute devait gagner coûte que coûte la seule bataille qui lui importait encore : l'anéantissement du peuple juif."
Hubert Haddad malgré tout sait nous parler de la résistance qui s'organise dans ce ghetto de Lodz, des lueurs d'espoir qui nous ont penser que rien n'est jamais complètement mort.
C'est justement cette mémoire qui transmet cet héritage au monde qui suivra ce chaos.

Un livre remarquable, une écriture qui nous touche le coeur, une histoire universelle.
"Le ciel nocturne s'est déchiré sur des milliers de pointes étincelantes. Chacune est un soleil tourné vers l'au-delà. Des larmes aux yeux, Rebecca marmonne la prière des endeuillés."

BOULEVERSANT !
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Grandiose!! un livre incroyable avec un petit garçon qui est comme un chat, il a neuf vies, il survit à tout:! entre le massacre de son village jusqu'aux derniers jours du ghetto de Lodz. Une épopée sinistre, la Pologne de cette époque, où l'auteur nous fait rencontrer les personnages historiques pour qui la vie des autres ne pèse pas lourd. Un texte très riche, j'ai adoré!
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Lodz. Ville de Pologne qui pour moi était associée au Widzew, club de foot plutôt efficace au début des années 80 avec ses joueurs à la coupe mulet .
Et rien d'autre. Si une ville de Pologne. Mais de son ghetto, je n'en savais rien.
Grace à Hubbert Haddad et son livre d'une intelligence éblouissante, me voilà éclairé, voilà un témoignage romancé qui illustre la tentative de survie face à l'ignoble.
J'ai besoin de parler de ce livre.L'histoire commence en 39, la Pologne est envahie, les villages juifs anéantis et leurs habitants, ceux qui vivent encore, sont regroupés dans des grandes villes et à l'intérieur de celles ci dans des quartiers d'où la seule extraction envisageable est par une balle dans la tête.
On y retrouve Ariel, une grosse dizaine d'années qui a vu mourir ses proches . On y retrouve aussi quelques intellectuels et Chaïm Rumkowski, alias le roi, qui va pactiser avec les Allemands pour essayer de sauver son peuple...
C'est de ça dont j'ai besoin de parler . Que penser de cet acte ? le ghetto de Lodz fut le premier a être créé et le dernier à subsister. Ses habitants, malgré toute l'ignominie de leur condition, ont peut être , je dis bien peut être, connu un peu moins de famine, un peu plus de culture, un peu plus de soin. Mais à quel prix ? Sans résistance , contribuant à aider son bourreau en lui fournissant gratuitement des biens produits dans des conditions esclavagistes. Fallait il pactiser , mourir la tête haute ? Je ne sais pas , mais je remercie l'auteur d'avoir porter à ma connaissance ce fait historique dont je n'ai jamais entendu parler.
Et comment ne pas revenir sur la place faite au théâtre, à la culture , cette soif de vivre ..
Un livre magnifique servi par une écriture parfois exigeante mais toujours suave.
Un grand moment.
Je terminerai par une phrase qui me suit. "L'espérance est l'audace des pessimistes ". Je ne sais pas, putain , je suis paumé...
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C'est, pour moi, un des évènements de cette rentrée littéraire. On y retrouve la verve, la précision et la générosité du grand écrivain, qui s'est pourtant attaqué à un sujet sensible et rebattu : la Shoah. Il y a une interrogation récurrente dans ce livre : pourquoi les juifs ne se sont pas davantage défendus, révoltés, insurgés contre l'oppresseur ? Un élément de réponse : « Les siens ne disposaient que d'un Dieu sans visage, les autres avaient un Führer » (p141). La constitution du Ghetto de Lodz au chapitre 19 est fascinante. Composer avec l'ennemi ? En 1939, ce n'est pas encore de la lâcheté, c'est du bon sens. Les représentants du peuple juif doutent. le doute est signe d'intelligence et d'humanité. En face, les nazis ne doutent pas. Commettre un génocide au nom d'une théorie rédigée par un peintre raté ? Ils ont été au bout de leur folie, et l'histoire se demande encore comment cela fut possible. Dans le ghetto de Lodz, L'homme du compromis et du déshonneur s'appelle le roi Chaïm. La devise de cet Hérode mégalomane est « Arbeit macht frei », car la force de travail de son peuple (produire pour l'économie allemande) peut assurer le salut de tous, croit-il. Ivre de son pouvoir, collaborateur pour un moindre mal, il pense que « dans un monde en guerre, seul compte la survie du plus grand nombre » (p187). Il s'obstine à nier l'horreur que d'autres (insurrection de Varsovie en 1943) ont comprise : le ghetto est l'antichambre d'une mort certaine. In fine, Chaïm périt, lui aussi. Avec ce roman brillant, poignant et documenté, Hubert Haddad perpétue magistralement le nécessaire devoir de mémoire.
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Hubert Haddad situe l'action de son nouveau roman pendant la Seconde Guerre mondiale, au coeur du ghetto de Łódź, en Pologne, qui fut le cadre d'une exploitation systématique des Juifs dans des manufactures : ils travaillaient 12 heures par jour dans des conditions innommables pour produire des vêtements, des objets, de l'équipement à destination de l'Allemagne.
L'auteur met en scène un personnage pour le moins ambivalent, Chaïm Rumkowski, auto-proclamé roi des juifs, administrateur du ghetto, persuadé que la participation à l'effort de guerre pourrait être une garantie de survie.
Nous suivons ces évènements à travers le regard d'Alter, un jeune orphelin qui a dû fuir son shtetl après le massacre de sa famille et de son frère jumeau par les Nazis.
Le roman oscille ainsi entre un récit historique, qui décrit avec réalisme les conditions de vie du ghetto, ainsi que l'enchaînement implacable d'événements qui mènera à la déportation progressive de tous ses habitants jusqu'à sa liquidation, et une narration beaucoup plus baroque, fantasmagorique, qui noue le destin de ses personnages à la grande histoire.

Par son talent, l'auteur rend un magnifique hommage à la culture yiddish, décimée en même temps que la population juive d'Europe centrale.

« Un monstre et un chaos » est un roman magnifique, d'une force incroyable, à lire, même si le sujet est douloureux, pour ne jamais oublier.
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En septembre 1939 l'Allemagne envahit la Pologne, sonnant le glas du Yiddishland.
Alter, un gamin juif, voit les soldats allemands détruire le village dans lequel sa famille s'était réfugiée. Il réussit à échapper au massacre et erre en quête de refuges pour se protéger de la barbarie de l'armée . Profondément traumatisé d'avoir assisté à la transgression des règles qui fondent l'humanité, il devient absent à lui-même et aux autres. Après avoir été rebaptisé Jan-Matheusza lors d'un bref passage dans un orphelinat goy, il finit par se retrouver prisonnier du ghetto de Łódź. Totalement seul, il doit se débrouiller pour survivre dans ce nouvel environnement hostile sur lequel règne le très singulier Chaim Rumkowski, un homme d'affaires qui a régenté le ghetto durant presque cinq ans, de sa création à sa liquidation en août 1944. Pensant assurer la survie de sa communauté, Rumkowski pactise avec l'ennemi pour transformer le ghetto en un camp de travail au service du Reich. L'idée peut sembler défendable sauf que l'homme, aussi servile qu'arrogant, se prend pour le sauveur de "l'espèce yiddish" (sic) et s'impose en véritable dictateur sur son petit enfer, ayant le droit de vie ou de mort sur ses coreligionnaires. Pour obéir à l'occupant, il lui revient de désigner les contingents à déporter vers le camp d'extermination de Chelmno. Il va même jusqu'à exhorter les parents à livrer leurs jeunes enfants, incapables de travailler et donc inutiles... Rumkowski est-il un monstre ou une victime de la perversité nazie, réduite à espérer que sa coopération permette la survie d'un monde promis à la destruction ?

En observant la micro-société qu'est le ghetto de Łódź, Hubert Haddad soulève l'épineuse question de la culpabilité de tous ceux, juifs ou non, qui ont collaboré avec l'occupant allemand devenant ainsi complices du processus génocidaire. Sans eux les nazis auraient eu d'insurmontables difficultés en matière d'administration et de police, « il y aurait eu un chaos complet.» (Hannah Arendt) Pour l'auteur, c'est tout simplement l'homme privé d'humanité qui est un monstre et un chaos.
Cette lecture captivante m'a de nouveau interrogée sur la nature humaine. L'homme serait-il la seule espèce à avoir un tel instinct de destruction ? Un instinct poussé à son paroxysme lors de la Shoah. Question à creuser...
Mêlant fiction, en compagnie d'Alter, et réalité, avec Rumkowski ou Henryk Ross, le photographe officiel du ghetto, cette histoire nous fait ressentir toute l'horreur et la terreur de vivre dans des conditions ignobles. Comment réussir à garder assez d'espoir pour continuer à aimer la vie et avoir la force de résister avec la mort aux trousses, soumise au moindre caprice des nazis ?
Le récit est truffé d'une multitude de mots et de phrases en yiddish ou en allemand que l'auteur n'a pas jugé utile de traduire, estimant que leur signification tombe sous le sens. Selon lui « les langues sont des sortes de partitions imagées qui se laissent entendre à demi-mots.» Je veux bien mais le problème est que je n'ai pas l'oreille musicale ! Malgré tout, j'ai réussi à suivre sans trop de difficultés. Quelques effets littéraires un peu trop ostentatoires à mon goût m'ont aussi un peu gênée, cependant j'ai quand même apprécié l'écriture d'Hubert Haddad. Je craignais que son niveau de langage ne soit trop soutenu pour être facilement abordable mais il n'en est rien. Ouf.
C'est par le plus grand des hasards que je poste mon billet en ce jour de Grand Pardon endeuillé par un nouvel attentat antisémite perpétré à Halle en Allemagne. le mal n'a pas fini de sévir...
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