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EAN : 9782213706306
336 pages
Fayard (20/02/2019)
3.7/5   155 notes
Résumé :
« Vers 15 ans, j'ai rencontré l'objet de mon désir. C'était dans un livre consacré à la peinture italienne : une femme vêtue d'un corsage blanc se dressait sur un fond noir ; elle avait des boucles châtain clair, les sourcils froncés et de beaux seins moulés dans la transparence d'une étoffe. »
Ainsi commence ce récit d'apprentissage qui se métamorphose en quête de la peinture. En plongeant dans les tableaux du Caravage (1571-1610), en racontant la vie violen... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (40) Voir plus Ajouter une critique
3,7

sur 155 notes
Il y a quelques années déjà, j'ai visité à Ottawa la superbe exposition "Caravaggio et les peintres caravagesques à Rome". J'ai été séduite. Puis, un passage à Malte m'a permis d'admirer "La Décollation de saint Jean-Baptiste" à la cathédrale Saint-jean de la Valette. Encore une fois j'étais éblouie.
Alors quand #NetGalley proposa le titre "La solitude Caravage", j'ai levé la main, j'étais curieuse.
Je ne connais pas du tout l'auteur, Yannick Haenel et je dois vous avouer que les premières pages ...ouf...me portaient plutôt à laisser tomber la lecture. le ton, pour moi était verbeux, introspection, analyses qui n'en finissaient plus. Ça ne me disait rien de bon. Jusqu'à ce que l'on entre dans le vif du sujet: Caravage.
Ado, l'auteur découvre le peintre , la sensualité, la sexualité avec le portrait de Judith avant de savoir que c'était Judith décapitant Holopherne. Mais c'est ainsi que le Caravage et l'érotisme se sont présentés à lui.
On nous raconte Caravage presque tableau par tableau. Il nous présente un peintre plus contemporain que ses contemporains, actuel, immensément talentueux et tout autant controversé. Il nous explique toute cette lumière dans le noir, la relation du peintre avec Dieu, l'irrévérence présente dans ses toiles malgré le sujet. C'est érudit, c'est détaillé, c'est bien commenté. On sent l'auteur de ce livre amoureux du Caravage.
On y explique aussi toute la liberté qui caractérise sa peinture et le naturel avec lequel il s'exprime et liberté, puissance et solitude semblent aller de pair chez le Caravage.
Une vie tourmentée, l'exil, une mort venue trop tôt, mais il nous lègue toutefois "le monde entier qui scintille sur ses toiles" .
Merci à #NetGalley pour cette lecture.
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En sortant de l'église Saint-Louis-des-Français, après avoir admiré encore une fois, les tableaux de la chapelle Contarelli, une petite étape à la librairie française me fait découvrir ce livre de Yannick Haenel, avec en première de couverture un détail de Judith et Holopherne, la belle Fillide Melandroni, modèle de Judith et de Madeleine. Comment résister?

Il faut lire lentement cette magnifique vision caravagesque qu'offre à ses lecteurs Yannick Haenel, partant de ses fantasmes d'adolescent devant le visage et la poitrine tendus de Judith -- mais il ignorait alors à quelle action mystérieuse elle se livrait -- pour trouver son aboutissement à Malte devant la Décollation de Saint-Jean Baptiste, avec cette unique signature de sang que laisse le Caravage, au temps proche de la fin de sa trop courte vie.

Et tout au long de ce livre, le lecteur découvrira la densité de la vie de cet artiste extraordinaire, en cheminant en compagnie de Yannick Haenel à la recherche de la vérité, celle qu'il trouve entre ombre et lumière, entre le rouge et le noir des tableaux du Caravage.

Bien plus qu'une énième biographie du peintre, Yannick Haenel entraîne ses lecteurs dans une méditation où l'érotisme, le profane, le dissolu côtoient le mystère, le sacré, dans une quête mystique de l'auteur pour atteindre Dieu, comme il pense que le Caravage l'a fait à travers ses peintures de Lazare, de la Vierge, de Sainte-Catherine, Saint-Matthieu, sur le chemin d'Emmaüs ou dans les bas-fonds de Rome, Naples, Malte.

Idéalement lu avec à proximité un autre livre permettant de visualiser les tableaux cités, le texte de Yannick Haenel permet au lecteur de sentir le parfum des corbeilles de fruits caravagesques, de percevoir l'érotisme des angelots et surtout de la troublante Judith qui vous fait courir aussitôt au Palazzo Barberini afin de s'imprégner encore de cette lecture que l'on voudrait ne jamais terminer et qui reste en mémoire pour être parcourue encore à la première occasion de voir ou revoir une ou plusieurs des oeuvres de l'immense Caravage.
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Je viens de parcourir ce livre, en passant de nombreuses pages, mais en ne l'abandonnant pas tout à fait. Haenel me fait prendre conscience que ma passion pour la peinture s'est lentement mais sûrement émoussée pour ne pas dire tarie. Pendant de nombreuses années, j'ai eu la chance de visiter les musées à travers le monde. Parfois il m'arrivait de rester plusieurs heures devant un tableau précis pour me fondre dans la toile. Je me souviens du film de Akira Kurosawa « Rêves » où l'on voit un visiteur pénétrer dans un paysage de van Gogh. Et bien c'est un peu ce que je ressentais à ces moment-là. Je me souviens avoir été en arrêt devant une vierge à l'enfant au musée des beaux-arts de Lyon. Un petit maître du quattrocento dont j'ai oublié le nom. Mais cette jeune vierge avait des allures toutes botticelliennes. La manière dont ces peintres du quattrocento avait l'habitude de peindre les voiles translucides recouvrant la poitrine et la tête de Marie m'a toujours profondément troublé. J'en parlais longuement à l'époque avec mon thérapeute. Tout comme Haenel devant la Judith du Caravage, j'ai moi aussi longuement fantasmé devant la sensualité de certaines oeuvres, mes sens me plongeant alors dans un émoi indicible.
Pourtant, le livre de Haenel n'a plus grand-chose à voir avec mes préoccupations culturelles actuelles. Je le déplore mais ma passion pour la peinture a fait place à autre chose. Même s'il m'oblige à fouiller dans les souvenirs d'une époque de ma vie maintenant révolue. Quelques toiles me reviennent en mémoire...
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Caravagio ! Caravagio ! Caravagio !

Son seul nom évoque le voyage, le croisement des épées, la rue, les prostitués et les voyous de Rome. le Caravage est tout cela, mais il est aussi un cri ; celui d'un marginal, artiste maudit avant Baudelaire, Van Gogh ou Camille Claudel, dont le regard nous plonge dans les ténèbres pour y trouver le salut. C'est cela que nous raconte Yannick Haenel dans son ouvrage publié chez Fayard.

La plume subtile et riche de Yannick Haenel nous livre l'histoire du peintre italien né à la fin du XVIème siècle. L'intérêt de la vie est d'aller au-delà de ce qui est lisible ; la recherche de la vérité. Ainsi, lancé dans cette quête, Haenel passe d'un tableau à l'autre, les inscrit dans la vie de l'artiste et livre son interprétation avec passion.

« Il y avait un fauve là-dedans. »

Tout commence par un Caravage équivoque, passionné et incontrôlable, tel un feu follet emporté par son propre génie et qui se ressource à force de beuveries dans les tavernes et les mauvaises fréquentations des ruelles les plus sombres.

Qu'a-t-il de si extraordinaire, ce jeune arrogant ? C'est qu'il peint autrement ces sujets que tant d'autres artistes ont produit avant lui. le Caravage détourne et se moque. Il présente des corps dont « l'éclat sauvage » crée une tension nouvelle et inégalée. Son trait est brillant, révolutionnaire.

« L'ivresse est une éthique. »

Pour obtenir un tel résultat, son travail est intense. Aussi le peintre, consommé de l'intérieur, brûle la nuit son existence dans la débauche, jusqu'à un crime qui l'entraînera dans l'exil jusqu'à La Valette.

Incapable de rentrer dans le rang, malgré ses efforts, il dérape. Poursuivant ses frasques, Caravage continuera de peindre et devra échapper aux émissaires des Chevaliers de Malte. Son travail devient plus profond et sombre jusqu'à sa mort en 1610. L'artiste génial consumé par son oeuvre (soixante tableaux) et son humanité déchirée est jeté dans une fosse commune, loin de ses mécènes et admirateurs, misérable et paria.

« En usant mes yeux la nuit sur ce corps désiré, je mettais le feu à ma vie — ça s'était allumé, ça n'en finirait plus. »

Ce livre raconte aussi la manière dont Haenel a découvert et vécu avec Caravage. Comment, adolescent, il découvre un visage, celui d'une femme et elle devient l'objet ses fantasmes sans qu'il connaisse l'identité du peintre ni le tableau d'où ce beau visage était tiré. Quel malentendu ; plusieurs années après, il tombe sur un tableau du peintre, où il reconnait sa belle. Elle se nomme Judith. La voilà qui trucide froidement et tranche la chair d'Holopherne. Son amour de jeunesse est donc une tueuse ! Il apprendra plus tard que le modèle est une courtisane pour laquelle le peintre commettra (peut-être) son crime.

Qui aime Caravage l'aime absolument. Ses toiles sont comme des cailloux blancs qui traversent la vie de Haenel. Ce livre est aussi celui de son obsession pour le peintre italien. Sa fascination est telle qu'il est capable de parcourir l'Europe sur un coup de tête pour une exposition pour contempler les toiles originales. Il déchiffre, compare, organise un dialogue entre toutes ces oeuvres, analyse chaque coup de pinceau, chaque ride, tel détail sur un fruit, l'agencement des corps, la draperie rouge, la transparence d'un vase, la forme d'un noeud.

« On était invité brutalement entre Dieu et le néant. »

Mais que peut trouver Haenel dans ces tableaux de Caravage qui mérite autant d'attention ?

C'est que ces oeuvres ne sont pas une simple représentation de la vie à travers telle ou telle scène fameuse ou tel portrait. Non, Haenel y trouve une réalité plus authentique que la vie elle-même, un message dont la nature va changer au fil des tribulations d'un Caravage de plus en plus violent, en quête d'anéantissement. le noir dans son oeuvre n'est pas une fin en soi, ou juste une esthétique, mais plutôt il dévoile un itinéraire, une quête du spirituel et de vérité. La révélation de l'invisible.

« Dieu n'est pas puritain. »

Caravage n'est pas qu'un peintre, il est sa peinture. Et quand il plonge dans les ténèbres de la débauche et du crime, le noir profond de ses tableaux espère cette lumière du Christ qui vient trancher comme une épée de feu. La bouche ouverte du Caravage, sujet de ses tableaux, est l'effarement de l'homme devant ses failles.

Sa peinture se nourrit d'une vie pleine, dangereuse et inconvenante. Elle sait la violence de notre humanité et tout son tourment. Elle nous révèle que l'homme est à la fois bourreau, témoin et martyr et que toute existence est dramatique, tout autant qu'elle peut être sublime.

Hors la nuit, la peinture est factice. En quête de sens et d'absolu, Caravage transgresse les conventions. Il rejette la morale. Il emploie son feu intérieur, hanté par son crime, pour mieux s'abandonner au rédempteur, ce Christ qui en premier a traversé l'obscurité de la mort.

Voilà pourquoi un autre titre aurait pu tout aussi bien aller à ce splendide ouvrage et hommage de Yannick Haenel : La passion Caravage.

Thomas Sandorf

Merci à Netgalley et aux Editions Fayard qui m'ont permis de découvrir cet auteur et ce très précieux livre.
Lien : https://thomassandorf.wordpr..
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L'art du critique d'Art...
De quoi s'agit il ? de l'auteur Yannick Haenel ou du peintre le Caravage ?

J'ai lu quelques critiques de ce livre faites par mes camarades Babelio , plusieurs d'entre eux insistent sur l'écriture passionnée de l'auteur , ses emportements mystiques, ses envolées lyriques… ce n'est pas particulièrement flatteur pour l'auteur, le but n'est pas atteint , le lecteur regarde l'écriture à distance mais ne souscrit pas. Yannick Haenel parle de sacré, le mot n'est plus en vogue, mais, des chevaux des grottes de Lascaux jusqu'à aujourd'hui, le sacré n'a pas disparu, les mystères ont changé de formes mais le questionnement demeure.

Le critique d'art opère de la même manière que le critique littéraire, parle t'on de Proust sans parler de sa mère , de Céline sans parler de sa médecine... Haenel démarre bien son livre, il fait le récit de ce portrait de Judith qui le hante à 15 ans et poursuit avec sa vie réelle dans les galeries romaines, on accroche tout de suite , une peu dommage qu'il ne continue pas sur le même mode .

Pourquoi s'intéresser à une oeuvre ? Haenel le dit sans honte: “je ne me suis jamais intéressé à une nature morte, celles de Chardin me plaisaient mais avant tout parce qu'elle plaisait à Proust…”
Un souvenir personnel d'un cours d'art plastique ou le prof découvrait devant nos yeux de 16 ans la reproduction d'une nature morte de Zurbaran : “Nature morte aux citrons et oranges avec une rose” de 1633, la description qu'il en fit nous mena tous plus ou moins à l'éblouissement. le contact a eu lieu , je fus sensibilisé définitivement aux natures mortes..

“La Corbeille” du Caravage , même chose, une peinture extraordinaire, regardez là bien, ce n'est pas une question de bien peint ! on s'en fout , ce n'est pas la ressemblance non plus avec la réalité, imaginez une photo du même panier avec les mêmes fruits, bof ! plat ! Je suis rentré dans ce tableau par la reconnaissance immédiate de la feuille de figuier racornie, j'ai les mêmes dans mon jardin. (l'acuité de l'oeil du Caravage)
Mais écoutons Haenel: “Dans La Corbeille rien ne manque, l'accomplissement s'y accomplit. Quelque chose vibre à travers ces nuances qui nous donne le LA de toute présence...Le Caravage n'a- t -il pas déclaré que peindre un tableau de fleurs et de fruits lui coûtait autant de travail qu'un tableau de figures, ce qui chaque fois est en jeu dans une oeuvre du Caravage relève du coup de dé” … “J'ai les doigts collants quand je regarde cette corbeille. L'oeil est mûr. le soleil fait du vin … J'en ai disposé une petite reproduction à mon chevet si bien qu'en me réveillant c'est elle que je regarde en premier. La faveur dort à mes côtés. le favorable est la dimension de l'amour”.

A ceux qui trouve Haenel passionné, trop passionné et n'adhère pas , voulez vous l'entendre sur les lignes géométriques du tableau.. du liant au blanc d'oeuf et des pigments….

Haenel fait fort dans sa description de Judith et Holopherne ”en fixant son chemisier humide de sueur, je devinais la pointe durcie de ses seins...le corps de cette femme m'ouvrait à un avenir sensuel.. il me captivait et en la contemplant je reprenais vie…” . “En feuilletant des livres des oeuvres du Caravage, je faisais connaissance avec un monde à la fois très ancien et très neuf ou vie et mort se mêlent en un mystère d'abîme."

Enfin le tableau de “La conversion de St Paul” , on voit d'abord un immense cheval et un homme à terre, puis un enchevêtrement de pieds et de sabots, le peintre aux pieds sales disait -on du Caravage. A terre l'homme, officier romain, est le persécuteur des juifs, devenu aveugle à l'instant. Tout autour un fond noir. Haenel pour comprendre se penche sur les Actes des apôtres: “Saül se releva de terre mais quoiqu' il eût les yeux ouverts, il ne voyait rien, en ne voyant rien, c'est bien le néant qu'il voit - et en voyant le néant il voit Dieu.
Bref, dit Haenel” il n'y a pas d'action dans ce génial tableau du Caravage...être témoin de ce néant c'est devenir saint. Dieu ne peut pas être vu.. La défaillance est parfois profitable; en elle s'ouvre un accueil. Paul recouvre la vie lorsqu'il consent à faillir”

Yannick Haenel explique sa démarche d'observateur.. “En écrivant ce livre, je cherche à préciser une émotion. Ce qui n'est pas précis existe à peine, il faut que les mots trouvent leur chair. le monde est un nid de détails; et si nous ne parvenons pas à désigner ces étincelles sensuelles, non seulement elles nous échappent, mais elles appauvrissent notre désir, qui peu à peu s'efface… et bientôt inexistant “
Oui, un excellent bouquin de critique d'art sur un peintre oublié pendant deux siècles.





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critiques presse (5)
LaLibreBelgique
29 avril 2019
L’écrivain français Yannick Haenel publie un remarquable livre sur la vie du Caravage et l’impact que son oeuvre peut avoir sur lui et sur nous.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeFigaro
29 mars 2019
Entre biographie et autobiographie, l’écrivain livre un somptueux tableau sur le maître du clair-obscur et sa toile Judith décapitant Holopherne.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Lexpress
25 mars 2019
Très loin de la biographie ou de la monographie classique, voilà une chevauchée enfiévrée sur les traces du Caravage, dont la courte vie (il est mort en 1610, à 38 ans), on le sait, regorge de zones d'ombre et de violence - pas seulement sur la toile.
Lire la critique sur le site : Lexpress
LaCroix
15 mars 2019
Quête esthétique et spirituelle, le très beau texte de Yannick Haenel sur la peinture du Caravage est le récit d’un chemin vers la beauté et le désir d’absolu.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LeMonde
11 mars 2019
Avec La Solitude Caravage, l’écrivain livre une belle variation sur la vie de l’artiste (1571-1610), d’où sa subjectivité et ses préoccupations ne sont jamais absentes.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (220) Voir plus Ajouter une citation
Ouvrir sa bouche, étancher sa soif, chercher Dieu : je ne sais dans quel ordre le mystère s'ouvre, ni comment il nous gratifie, mais la goutte d'eau n'est pas seulement ce qui rassasie, elle est une rosée qui double en filigrane le passage des jours; et même si le fond de l'existence est noir, la fraîcheur d'un ruissellement secret nous fait tendre les lèvres : à chaque seconde, un psaume réclame en silence une rivière pour notre gorge asséchée; la détresse connaît bien cette espérance, elle en discerne même la lumière, car à travers une goutte d'eau c'est le monde entier qui se donne, et c'est précisément ce monde entier qui scintille sur la toile d'un peintre où la nacre rejoue à l'infini le mouvement des couleurs et la variété des formes.
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A propos de la "Flagellation du Christ" à Naples :

Le ballet cruel des trois bourreaux qui s'agitent autour du corps de Jésus et qui dans l'ombre grimaçante affinent leur torture, préparant les verges, attachant les mains du Christ à la colonne, le saisissant par les cheveux et lui décochant un coup de pied sournois au mollet - toute cette débauche de sadisme ne parvient pas à réduire l'éclat de la lumière qui fait irradier le torse du Christ. Le supplice éclaire Jésus, dont le corps attaché au poteau sacrificiel semble brûler d'une flamme intérieure.
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Je m’arrête un instant à Messine, face à La Résurrection de Lazare. On est en 1609. Le Caravage approfondit une solitude qui le dépouille ; il s’abîme dans une obscurité qui se resserre sur son souffle ; on dirait qu’il dispa­raît : d’ailleurs on ne sait plus rien sur lui -où vit-il ? avec qui parle-t-il ? Le Caravage rejoint son propre mystère. C’est la nuit, et il peint : sa main, dans l’ombre, trace de brusques lueurs qui, en fouillant l’épaisseur du péché, scintillent à la recherche de la grâce.
Il arrive qu’à force de regarder des peintures on se mette à voir quelque chose de très simple ; et que cette simplicité se change en lumière.
Depuis que je m’aventure à écrire sur la vie et l’art du Caravage — depuis qu’avec ce livre je me suis mis à chercher dans la matière de la peinture une vérité qui pourrait se dire —, je suis guetté par un mouvement qui abandonne mes phrases en même temps qu’il les appelle : elles semblent par­tir dans des directions qui m’échappent, et je ne les reconnais pas toujours ; mais je les laisse faire, car il me vient avec elles l’espérance qu’en se per­dant elles parviennent à s’éclairer d’une lumière qui n’est pas seulement raisonnable, à glisser vers je ne sais quoi de plus ouvert que leur sens, à entrer dans un pays plus inconnu encore que la poésie, où la vérité fait des apparitions étranges, comme s’il existait encore autre chose que la nuit et le jour, un temps qui échappe à leur contradic­tion, qui n’a rien à voir avec leur succession, qui défait le visible en même temps que l’invisible.
La peinture a lieu ici, à ce point d’éclat où l’on ne s’appartient plus, où le Caravage échappe non seulement à ses bourreaux, à ses ennemis, aux chevaliers de l’Ordre, à la mort qui le condamne et prend chaque jour une forme différente, mais aussi à ses mécènes, à ses amis, à ses amours, à tous ceux qu’il connaît à Rome, à Malte, à Syracuse ou à Naples, à tous ceux qu’il ne connaît pas et dont il redoute les désirs et le ressentiment.
Là, le visible s’efface ; et ne dépend plus de rien, ni du temps ni de l’espace, ni des histoires personnelles ni d’aucune conception sur l’art. La peinture et le mystère se rejoignent, comme ils se sont rejoints un jour sur un mur de la grotte de Lascaux, comme ils continuent à coïncider par­ fois, follement, sans qu’on puisse savoir pourquoi ni comment.
La solitude du Caravage réside dans cet emportement qui l’amène à vivre la peinture comme un moyen pour atteindre le mystère ; et à vivre le mystère comme un moyen pour atteindre la peinture. Ce mystère serait-il le nom de quelque chose de plus grand que nous, ou le rien à quoi nos vies sont mêlées et vers quoi elles se compriment, il n’affirme de toute façon qu’une chose qui manque. Parfois, rien n’est plus clair.
Alors voici :à force de regarder la peinture du Caravage et de m’interroger sur son expérience intérieure, sur la nature de son angoisse, sur la progression du péché dans sa vie et l’intensité de ce qui, à la fois, le sépare et le rapproche de la lumière, je me suis aperçu que de tableau en tableau, centimètre après centimètre, il se rappro­chait du Christ.
L’histoire du rapport entre le Caravage et le Christ mériterait la matière d’un livre entier ; en un sens, c’est l’objet de celui-ci -mais il n’est pas si facile d’y accéder :un tel objet ne peut être abordé qu’à travers les tours et détours d’une pas­sion, elle-même hésitante et emportée, timide et contradictoire, qui avance et recule, s’enflamme, se refroidit — s’interroge : il faut du temps, des phrases, et la capacité de convertir la pensée qui vient de ces phrases et de ce temps en une expé­rience, c’est-à-dire un récit.
Autrement dit, il faut en passer par de la lit­térature :elle seule, aujourd’hui que l’ensemble des savoirs s’est rendu disponible à travers l’ins­tantanéité d’un réseau planétaire qui égalise tous les discours et les réduit à déferler sous la forme d’une communication dévitalisée, se concentre sur la possibilité de sa solitude ;elle seule, par l’at­tention qu’elle ne cesse de développer à l’égard de ce qui rend si difficile l’usage du langage, donne sur l’abîme ; elle seule prend le temps de déployer une parole qui cherche et qui soit sus­ceptible, à travers ses enveloppements, de faire face au néant, de détecter des brèches, de susciter des passages, de trouver des lumières.
Au fil des années, le Caravage se rapproche du Christ :on le mesure en observant l’évolution de leur distance dans les tableaux. En 1599, ils ne sont pas encore dans le même cadre : alors que Jésus se tient dans La Vocation de saint Matthieu, le Caravage est dans Le Martyre, le tableau d’en face — il est présent, d’une manière douloureuse, aux côtés du crime, plutôt que dans l’aura de la vocation. On a vu qu’il se contente de lancer, d’une toile à l’autre, un regard angoissé, honteux et peut-être défiant au Christ. L’innocence est impossible ; le Caravage est enfoncé dans l’épaisseur du péché ; et pourtant, il n’a pas encore tué.
À peine quatre ans plus tard, en 1603, le voici de plain-pied avec Jésus : il est présent dans la scène de L’Arrestation du Christ, ce tableau saisis­sant, plein de tumulte et de cris nocturnes, qu’on peut voir à la National Gallery de Dublin, où, dans une extraordinaire mêlée à sept personnages comprimés dans un étau de ténèbres, des soldats en armure s’emparent du Christ que Judas, aux traits déformés par la laideur morale, vient de trahir.
Tandis que le Christ, mains jointes et la tête enveloppée d’un large pan de manteau rouge qui protège sa lumière intérieure comme un dôme angélique, détourne son regard de ses agresseurs avec une douceur affligée, quelqu’un, isolé à droite du tableau et qui ne fait partie ni de la troupe des soldats ni de celle des apôtres, émerge de la masse en s’efforçant d’éclairer la scène à l’aide d’une lanterne qu’il lève au-dessus des têtes ; son visage est fatigué, mais il est dans la lumière, le regard tourné vers le Christ dont il essaie de s’approcher : c’est lui, c’est le Caravage. Le sens de cette métaphore est clair : par son art, le peintre s’efforce de se rendre présent aux temps sacrés, il éclaire le monde depuis l’invisible auquel l’ouvre la peinture ; mais on peut penser que, avec son visage levé avidement vers la scène, le Caravage fait plus qu’éclairer son atelier men­tal. Ses yeux tourmentés et sa bouche ouverte expriment une attente, comme si le Caravage cherchait avant tout à se rapprocher du Christ. Mais le salut n’est pas à sa portée : entre le Christ et lui, l’espace est bloqué (par des corps, par les fautes du Caravage) — la distance est encore grande entre les deux.
Et nous voici donc en 1609, en Sicile, à Messine : le Caravage est condamné à mort par le pape, recherché par l’Ordre de Malte, cerné par une vendetta personnelle ; il se cache et il peint - il n’y a pas plus seul au monde que lui.
En six ans, il a énormément peint le Christ, on se souvient, entre autres, des deux Flagellation. Voici qu’à grands traits ocre, rouges et noirs, négligeant désormais le détail des carnations pour approfondir avec plus d’intensité l’espace drama­tique où entre vie et mort s’agitent les humains, il se consacre à ce qui est peut-être son plus grand tableau, le plus audacieux : La Résurrection de Lazare.
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Je ne sais si quelque chose de nouveau se dévoile alors, si la mort de la Vierge baignée de draperies rouges livre enfin le mystère de tous les chagrins, si Judith en fixant la tête d'Holopherne réussit sa transparence, si la nudité des anges effrontés nous dit que jouir n'est pas un péché, si le doigt de Thomas qui s'enfonce dans la plaie du Christ rencontre autre chose qu'un trou, et si même le pinceau du peintre plonge dans toute blessure afin d'y rencontrer ce qui échappe à la matière, si les ragazzi aux têtes couronnées de raisins vous donnent autre chose que du plaisir, si la chasse qui hurle en continu autour des affaires humaine rencontre un jour son contraire, si le rouge dans les manteaux vous transmet, par-delà le malheur, à la joie d'aimer, si le duveté d'un fruit pâle ou la pulpe d'une gorge de courtisane vous ouvrent à une espérance sans fin -- sans doute est-il impossible de savoir cela, mais une chose est sûre : la lumière arrose mieux la peinture, le soir, quand mon coeur devient clair.
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Il était le contemporain de Shakespeare, de Cervantes et de Monteverdi; il peignait sans dessiner au préalable (et lui seul procédait ainsi); son atelier était entièrement noir, et ses modèles, trouvés dans la rue, se tenaient dans la pénombre; il aimait les couteaux, les poignards, les épées : se vouer aux formes qui se disputent les ténèbres et la lumière implique d'être tranchant.
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Vidéo de Yannick Haenel
« Je crois que j'ai organisé ma vie depuis que j'ai commencé à écrire, depuis la fin de l'adolescence, pour atteindre ce point à chaque instant. Je crois que c'est ça, que j'appelle le sacré. Quelque chose qui n'a pas besoin d'un Dieu, d'une transcendance, et encore moins d'une religion. C'est un accès à autre chose que ce que la société nous donne. »
Andrea Poupard est parti à la rencontre de Yannick Haenel, auteur de "Le Trésorier-payeur" (2022) et de "Tiens ferme ta couronne" (Prix Médicis 2017). En avril 2024, Yannick Haenel est également à l'initiative de la revue littéraire "Aventures", dont le premier numéro invite 65 auteurs et autrices à répondre à la question suivante : "Écrivez-vous des scènes de sexe ?"
Ce film a été réalisé en partenariat avec le Master Scénario, Réalisation, Production de l'École des Arts de la Sorbonne Université Paris 1.
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