Le succès du malheur

« - Il y a des jours où ça va mal, d’autres où on touche le fond et certains où on se demande ce que ça fait de sourire parce qu’on a tellement pleuré qu’on en oublie ce que c’est d’aller bien. J’ai écrit mon premier roman dans cette période de ma vie, et, paradoxalement, mon succès provient de mon malheur. Mais j’ai appris qu’on finit toujours par aller mieux, même quand on n’y croit plus et qu’on n’est pas forcé de tout affronter seul. C’est ce que je veux transmettre dans ce bouquin. »

La vague de rancœur que je nourrissais à l’égard d’Anthonius, de moi-même et de mes choix horribles des dernières semaines m’engouffre comme la nuit avale le soleil. Ce soir, je m’étais promis de m’amuser. De me détendre et de penser à autre chose qu’à ces remords qui me rongent de l’intérieur.

« Une larme, chaude comme ma colère, glisse le long de ma joue avant de mourir au bord de mes lèvres. Elle a un goût de détresse, de rage… et de nostalgie. Cette douleur incommensurablement était enfouie si loin que je l’avais presque oubliée. Une cicatrice ancienne, trop âgée pour paraître encore vive, mais assez profonde pour brûler dès qu’elle est stimulée. Et, en ce moment, elle saigne jusqu’à l’hémorragie. »

« Certains prétendent que nos cicatrices nous rendent plus forts. De la foutaise. Les abus, le viol, les déchirures, ces traumatismes qui subsistent en moi ne sont pas des épreuves qui « rendent forts ». Il n’y a rien à tirer de cassures aussi profondes.
Se pardonner. S’accepter.
Voilà plutôt ce qui rend plus fort : passer à autre chose et reprendre le contrôle de notre destinée. Accueillir son chagrin, le cœur à vif, et se répéter qu’un beau matin, on se réveillera avec les yeux secs. Que la fatigue de vivre et la douleur des souvenirs ne nous pousseront plus dans les bras de Morphée. Tous ces sourires chimériques, ces paroles fabuleuses et ces souffrances taries finiront par s’effacer. Un beau matin, on se réveillera avec un vrai sourire. Les « je vais bien » n’auront plus ce goût si amer, et la douleur coulera pour ne plus jamais revenir. »

« L’amour est censé être beau, nous aider à surmonter les épreuves plus facilement. Il nous fait rayonner, nous permet d’avancer d’un rythme plus léger. Mais il ne doit jamais nous consumer. La passion est destructrice. Si l’entièreté de notre existence repose sur le feu dévorant qui naît au fond de nos tripes, ce n’est plus réellement de l’amour, plutôt un besoin malsain, une appartenance maladive, une faiblesse dévastatrice. Notre bonheur ne devrait en aucun cas dépendre de quelqu’un d’autre, puisque le jour ou cet être merveilleux s’en va, il ne reste plus rien. Nos réussites et notre bien-être proviennent du fond de notre âme, pas d’une émotion souvent éphémère. »

« Abus.
Viol.
C’est étonnant, le pouvoir que détiennent certains mots. Quatre lettres chacun : deux voyelles, deux consonnes. Un ensemble ridiculement petit parmi tous les termes qui existent dans notre langue, et pourtant, ils parviennent à induire une si grande peur qu’ils nous musellent le cœur. »

« La peur et l’envie, la douleur et la colère ; c’est effrayant à quel point sa détresse miroite la mienne. »

« C’est comme le parfum d’une vieille librairie, les touches rugueuses de mon clavier ou le goût amer de la Guinness. C’est familier, et un profond sentiment de soulagement m’envahit. Je referme mes bras autour de son cou, le menton appuyé sur le haut de son crâne. Timidement, Ella mime mes gestes : ses mains glissent le long de mon dos et s’accrochent à mon t-shirt, qu’elle tient de toutes ses forces. Le même désespoir que la dernière fois étreint chacune de nos inspirations. Ici et maintenant, je me sens à ma place comme nulle part ailleurs. »

« Dans la vie, il y a des moments comme celui-ci. Ceux qui bouleversent, se gravent dans la mémoire. Ils n’ont pas à être grandiose pour laisser une trace indélébile ; parfois, la simplicité d’un court instant peut faire chavirer quelque chose en nous, guérir une part abîmée, rouvrir de vieilles blessures cicatrisées. »

« - Pour moi, tu es un homme, un vrai. Tu veux savoir pourquoi, Willem ?
Il me semble que je hoche la tête. Difficile de dire ; sa proximité m’a paralysé à tel point que je ne suis pas certain d’avoir esquissé le moindre mouvement.
- Parce que tu es humain. Parfois trop direct, OK, souvent, mais au moins, tu ne mens pas. Ni à toi-même, ni aux autres. Tu acceptes tes émotions comme elles viennent, qu’elles soient belles ou laides. J’aimerais être en mesure d’affronter mes peurs comme tu le fais. »