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Critique de SisteroftheMoon


Dernière lecture de 2020 et pas des moindres : un roman familier des bûchers anglais car "scandaleux", "obscène ", "immoral" et autres adjectifs rétrogrades des pères-la-morale de l'après guerre.

Je l'ai bouclé il y a quelques jours mais je me sens encore "à chaud". Peut-être trop pour bien le chroniquer. Mais voilà, les ondes de Radclyffe Hall interfèrent avec mes écrits et s'imposent au 1er plan de mes réflexions depuis que je l'ai refermé.
Impossible de penser à autre chose...
Impossible d'écrire autre chose ...
Impossible de lire autre chose ...
J'ai été remuée. Je le suis encore, comme une caisse de résonance à un siècle d'écart de sa source émettrice.

Primo, ce roman est précieux. Très précieux. Car il n'a pas de prédécesseur. Radclyffe Hall l'a écrit dans le noir, sans modèle ni repères (voir dernière image). Et quand la référence, c'est soi-même, la valeur littéraire compte triple à mes yeux. Créer dans les sentiers battus est déjà difficile. Créer en dépit du monde et de l'interdiction, c'est difficile ET dangereux.
Radclyffe Hall a été la première à fendre explicitement (et j'insiste sur le caractère explicite) le moule de la littérature hétéro-normée, la première à briser le silence des foules sur la persécution et l'invisibilisation des inverti.e.s (alias homosexuel.le.s en français 2.0).
Explicite ici ne veut pas dire scènes de sexe. En fait, il n'y en a aucune (obscène qu'ils disaient !). Par explicite, je veux dire que Radclyffe Hall a fait de l'inversion son thème principal, son noeud d'intrigue et son protagonisme, alors que les plus courageuses y faisaient seulement allusion de manière espiègle et joueuse (Virginia Woolf dans Orlando par exemple).
D'ailleurs, la frilosité littéraire n'est pas révolue en la matière. Même dans la littérature très officiellement contemporaine, Sapho est encore rare. Et là où elle survit, elle n'est souvent que suggérée ...
Secundo, ce roman est une prouesse littéraire. L'interdiction le rend attrayant, oui, mais même sans cela, il pèse lourd. Tout est écrit et décrit en finesse et en profondeur, des ressentis de l'héroïne à ceux de son cheval, des virées en forêt aux salons littéraires du Paris des 20's, de la métamorphose du paysage à celle des alliances et des amours transis.
La première partie est si immersive (pour un roman à la 3eme personne en plus!) qu'on y entre très, voire trop facilement.

Et sinon, de quoi ça parle ?
On est à la fin du 19ème dans les collines de Malvern, en plein coeur de la campagne anglaise, dans ces grands espaces verts si beaux dans la littérature victorienne.
Stephen Gordon, fille unique de parents qui désiraient tant un fils, mène une enfance heureuse et insouciante dans sa riche demeure de Morton.
Enfant, Stephen porte des pantalons, monte à cheval "avec une jambe de chaque côté", se déguise en Nelson, casse le nez à Roger, fait de l'escrime, chasse avec les hommes, salue avec une poigne d'acier et range ses haltères près de ses livres.
Elle grandit en garçon manqué en dépit du monde en général et de sa mère en particulier, une femme ignorante et taiseuse qui n'éprouve que répulsion et désamour à son égard.
Si Stephen pousse librement (et naïvement), c'est parce qu'elle est sous la protection aimante et bienveillante de son père. Ami, confident, guide, défenseur, mère, frère, soeur, bouclier ... Il est tout pour elle. Mais il n'est pas éternel ...
S'ensuit l'itinéraire douloureux et courageux de Stephen de Morton à Londres puis à Paris en passant par la première guerre mondiale et les folles soirées parisiennes des 20's. Une décennie que le club des littéraires de la trempe de Stephen passe dans le salon de Valérie Seymour, qui ressemble beaucoup à Natalie Clifford Barney, écrivaine américaine ouvertement lesbienne et célèbre pour les salons littéraires qu'elle organisait chez elle à Paris à cette même époque.
Ça sent le vécu. À plein nez. Stephen Gordon est Radclyffe Hall. Radclyffe Hall est Stephen Gordon. J'ai été ébranlée par sa sincérité, son sens du sacrifie et du souvenir, son hypersensibilité et sa ténacité envers et contre tout.

Pièce unique sur mon podium 2020. Bien au dessus de toutes mes autres lectures.
Et maintenant, je me demande quel livre est de taille à être lu après ça sans me décevoir...

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