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Critique de tamara29


« City on fire », c'est le New York de la fin des années 70. Peu avant la coupure d'électricité du 13 Juillet 1977 qui plongera la ville dans le noir plusieurs heures durant.
New York, c'est une ambiance. C'est l'image des trottoirs grouillants de passants, des rues assourdissantes par le klaxon des taxis. Noyé dans la foule, on se sent à la fois perdu et libre. New York, c'est aussi le métro, les nombreux buildings, un lieu de fécondité créative, d'artistes en tout genre, qu'ils soient peintres (Pop Art, Expressionisme abstrait), musiciens (Rock, Punk), etc. C'est un brassage de cultures, de classes sociales, des plus pauvres du Bronx aux plus riches des beaux quartiers. Et, sans oublier le sexe et la drogue qui, eux, n'ont pas de frontière, ni de quartier. New York, on y côtoie le pire et le meilleur.
« City on fire » est le premier roman de Garth Risk Hallberg. Je ne m'attarderai pas sur le buzz autour de la sortie de ce bouquin (le fric, encore). Je préfère m'attacher à ce que j'ai éprouvé en lisant ce pavé de près de 1000 pages.
L'histoire s'articule autour d'une tentative de meurtre d'une jeune femme -Samantha- dans Central Park, la nuit de la Saint-Sylvestre 1976. Ce roman n'est pas un polar puisqu'il mêle différents genres, mais, ce fait divers en est un peu le fil conducteur.
A chaque chapitre, on découvre les personnages. Chacun tient un rôle important, aucun n'est laissé pour compte, ils ont presque tous un premier rôle dans ce grand théâtre : William, ex leader d'un groupe Punk, alias Billy Three-Sticks, fils d'une famille les plus fortunées Hamilton-Sweeney qu'il a rejeté (ou dont il a été rejeté ?) et reconverti en artiste-peintre. Homosexuel, il fréquente un jeune homme black Mercer, prof, provincial, fraichement débarqué dans la grosse pomme. Regan, la soeur de William, en plein divorce, affectée par la séparation d'avec cet homme qu'elle a aimé (ou qu'elle aime encore, malgré tout), faisant de son mieux pour s'occuper de ses deux enfants Willy et Cate. Keith, l'ex-mari, le beau mec plutôt volage, et perturbé par d'autres problèmes professionnels. La belle-famille : Felicia, la nouvelle femme du père, et son frère Amory, jamais loin, un peu vil sangsue, attiré par l'argent et le pouvoir. Un commissaire adjoint Pulaski au corps abimé. Richard, le journaliste. Jenny, la voisine de Richard, assistante de Bruno, propriétaire d'une galerie d'Art. Et bien d'autres encore.
Sans être des clichés, ils sont représentatifs de la ville, de l'époque. Ils composent un melting-pot de personnages, englués sur une immense toile d'araignée.
Chacun de ces personnages, appartenant à des milieux opposés, tous à se dépatouiller de leurs problèmes divers, sont sur cette toile, comme prisonniers de quelque chose ou de quelqu'un. Ils ne se connaissent pas tous, mais chacun d'entre eux est lié, d'une manière ou d'autre, de près ou de loin, avec cette jeune femme Samantha, au centre de la toile.
Les fils de la toile sont ces rues, ces quartiers de New York aux ambiances si particulières. La toile se resserre, les liens se tissent : les personnages se croisent, se rencontrent, s'aident ou luttent les uns contre les autres. Ces personnages -comme des proies collées, piégées sur cette toile, entortillées- se démènent, se débattent, essayent d'avancer, de survivre, de régler leur problème, émettant des vibrations parfois à force de se démener qui ont des répercussions sur les autres personnages.
Cela nous rappelle bien sûr la Théorie des 6 poignées de main, établie par le hongrois Frigyes Karinthy en 1929, évoquant la possibilité que toute personne sur cette planète peut être reliée à n'importe quelle autre, au travers d'une chaîne de relations individuelles comprenant au plus six maillons.
Comme une araignée qui a mûrement réfléchi au piège, l'auteur, s'est (sans nul doute) longuement documenté sur cette période. Par diverses techniques, des références qui nous parlent forcément (la corruption, la population qui commence à s'insurger, comme aux notes de rébellion du Punk, les Sex Pistols, les Clash, mais aussi des artistes comme Bowie ou Patti Smith, tout comme des références littéraires ou cinématographiques - Taxi Driver, le parrain, etc.-, le blackout de Juillet, etc.), on se sent en plein coeur de New York à chaque page, plongés dans son atmosphère, dans le brouhaha, l'effervescence, le sentiment parfois d'insécurité.
A chaque grand chapitre (appelé « Livre »), est inséré un « interlude » : citations, photographies ou encore pages écrites par l'un des protagonistes (article du journaliste, passage d'un journal intime, formulaire rempli par un étudiant,...). La police utilisée et différente selon les textes (note à la main, d'une machine à écrire…) ainsi que d'autres ‘'stratagèmes'' (les oeuvres « Evidences » de William notamment) renforcent le sentiment de réalité de ces écrits et renforcent l'impact du récit. Ces insertions marquent un nouveau chapitre, une nouvelle étape dans l'histoire mais sont, aussi pour le lecteur, des informations supplémentaires, tels des indices laissés ça et là pour nous aider à dénouer lentement l'intrigue.
On démaille aussi les fils de la toile grâce aux allers et retours dans des périodes différentes des protagonistes (des années 60 jusqu'aux années 2000). Si, parfois, on s'interroge sur l'intérêt de certains passages, embrouillant et ralentissant un peu la narration, on réalise rapidement qu'ils ont tous un sens, tels des morceaux du puzzle qui s'emboitent peu à peu. Ils sont autant d'indications pour la compréhension d'un fait de l'histoire, d'un caractère ou d'un comportement d'un tel.
Les personnages sont tous décrits avec profondeur. Ils sont tous en quête de quelque chose. D'un peu de bonheur, en somme, quel qu'en soit sa forme. Ils sont tous pétris par leur passé parfois douloureux, qui les a construits plus ou moins bien, comme chacun de nous. On rentre dans leurs pensées : les interrogations à l'époque adolescente, le manque d'assurance, la difficulté d'intégration, les relations amoureuses belles ou chaotiques qu'on peut vivre à l'âge adulte. le besoin de se connaître, de se comprendre, de se construire sa propre identité, et par là, de s'aimer et d'être aimé. de trouver ces « évidences » du sens de sa vie. Alors, parce qu'on se reconnaît forcément un peu dans l'un d'entre eux, selon notre propre vécu, on s'attache à eux.
Et peu à peu, on distingue le puzzle dans son entier, avec l'image de New York en toile de fond (ou toile d'araignée, devrais-je dire). Mais, ce n'est pas tout à fait juste de dire en « toile de fond » puisque New York, bien entendu, est un personnage en lui-même. Imposant.
J'ai lu précédemment des critiques sur ce roman, certaines plutôt négatives, parce que déçues, parlant notamment de longueurs. Pour ma part, j'avoue avoir été pas mal bluffée par ce premier roman qui ressemble pour moi à une analyse psychologique et historique, d'une réelle originalité. En plus de l'intrigue prenante, ce roman s'apprécie, selon moi, par l'écriture de ce jeune écrivain plutôt juste, lucide et intelligente sur les relations humaines et sur les difficultés (d'être) auxquelles nous sommes confrontées à divers moments de la vie.
Et au final, le plaisir est allé en crescendo, grâce à tous ces personnages et leurs ambiguïtés, leur fragilité tout comme leur force, tous acteurs de cette fiction « historico-psychologico-policier ».
D'ailleurs, si je devais faire une critique quelque peu mesquine, je dirai qu'on tourne les pages Bible avec -obligatoirement- précaution et respect. Pourtant, la finesse de ces pages n'est pas toujours appropriée lorsque les doigts fébriles et impatients veulent connaître la suite…
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