Et c’est ça qui m’emmerde le plus : savoir que sans elle, je ne vaux rien, et qu’avec moi, elle n’a aucune chance.
Cette meuf va me faire péter les plombs : elle a un flingue contre son front et sourit?...
-Quand tu seras reposée, Kitty, on parlera de ta façon de provoquer un type qui te menace avec une arme. Maintenant, dors.
-C’était ça ton plan?
Je le fixe sans comprendre, il poursuite :
-Tu me raccroches au nez, je viens t’engueuler, j’oublie de t’engueuler, tu me faire faire des trajets inutiles, j’oublie encore de t’engueuler…
-Tu veux m’engueuler? Vas-y, fais-toi plaisir, je suis prête.
Je recule d’un pas et fais des petits bonds sur place avant de faire craquer mes doigts et de prendre une position de boxeur en défense. Il reste impassible, pas un poil de début de sourire. Juste un air blasé.
-Allez, envoie la sauce, bébé!
-Tu me fatigues…
Ça me tue de penser ça, je ne peux pourtant pas lui faire totalement confiance. La sienne, de loyauté, est dédiée à son club.
-En fait, c’est Cheyenne Cooper : l’administration oublie toujours de mettre mon nom d’épouse. Mais vous savez sûrement qui est mon mari, non? j’ajoute… Sniper.
Je souris, rends le micro et descends pour rejoindre celui qu’ils appellent Sniper. Mon mari depuis douze ans.
Les Phoenix Ashes ont le pouvoir sur presque toute la côte ouest… Tous ces mecs sont des tueurs pour la plupart au sens propre. Ils ont vécu une guerre ou des missions de tupe commando, ont connu des merdes noires dans leur vie et affronté les pires criminels de la région. Face à leur régulière, par contre, c’est des gamins.
Guérir d’hier et surmonter demain, ça ne me fait pas peur. Parce que si on trébuche, on se relèvera. Toujours.
Cheyenne me donnait l’impression d’être quelqu’un d’important, pour qui on a envie de faire des efforts, une personne assez intéressante pour l’écouter quand elle parle. Tout ce qui manquait à mon existence, elle me l’offrait spontanément. Comment on a pu en arriver là ? Comment on passe de meilleurs amis à couple amoureux, pour finir comme ça ?
« Plus il me rapproche de lui, plus je suis en danger de ne jamais pouvoir le quitter. Plus l’évidence me saute aux yeux, plus j’ai peur de demain. »
Ses doigts se crispent sur mon épaule. Je remonte le visage pour observer le sien. Est-il touché ? Au moins légèrement ?
– Jaloux ? je tente de le sonder.
S’il entend l’espoir dans ma voix, je suis foutue. Et bien sûr, ça ne lui échappe pas.
– Tu voudrais ?
– Peut-être, j’avoue enfin.
– T’es venue pourquoi, en réalité ?
La semi-vérité me vient naturellement.
– Pour que tu me protèges.
– C’est tout ?
– Parce que je t’ai trouvé sexy, dans ce reportage, j’élude quand ça devient trop sérieux.
– Ouais ?
– J’étais curieuse de voir qui tu étais devenu.
– Et ?
– Je ne sais pas : t’es jamais là.
Il soupire et m’attire d’un coup contre lui. Je me retrouve dans ses bras à ne pas savoir comment réagir.
– Tu fais quoi ?
– Ça se voit pas ?
– Ben, on était en train de s’engueuler…
– Non, on avait fini, il rétorque en resserrant son étreinte.
– Mais… un câlin ?
– C’est ça.
– Tu m’as perdue.
– Tu m’as manqué.
Son aveu me coupe la respiration, je n’ai pas le temps de réagir, il poursuit en me gardant contre son torse.
– Ça m’emmerde, t’as pas idée à quel point ça m’emmerde. J’ai travaillé dur pour t’oublier, pour laisser tout ça derrière moi, et à l’instant où tu as débarqué, c’est comme si t’avais foutu un coup de pied dans tous mes efforts.
– Tu es parti.
– Tu es venue, contre-t-il.
Il laisse passer quelques secondes et poursuit :
– Tu arrives, Cheyenne, et je suis cet ado complètement dingue de toi. Sauf que je ne sais plus qui tu es et que rien ne peut changer.
– T’as envie de savoir ?
– Oui, c’est ça le souci. Mes envies et notre réalité ne sont pas compatibles.
Je me demande s’il va parler. Enfin s’expliquer. Quand il est clair qu’il n’en a pas l’intention, je crispe les doigts sur son gilet qui sent le cuir et le tabac froid et lui demande :
– Tu te souviens, quand tu…
– Je me souviens de tout, Cheyenne. De notre rencontre à mon départ, de tout, sans exception.