Merci aux éditions du Castor astral pour la grande qualité de leurs choix éditoriaux depuis 1975...
En fouinant à la Librairie Tschann (bd. du Montparnasse), je suis tombée par hasard sur le dernier roman de
Verena Hanf, que je connaissais pas du tout. Voyant dans sa dernière publication, que l'auteure avait écrit un autre roman, j'ai été fouiner dans le fonds, et je suis partie, avec ce «
Tango tranquille » sous le bras. Pas si tranquille que cela !!
Un moment très attachant et doux de lecture, en compagnie de deux protagonistes , un homme d'origine bolivienne, sans papiers, faisant des petits boulots pour survivre, en proie à l'hospitalité récalcitrante d'une cousine, qui lui fait sentir quotidiennement qu'il est de trop,…. et Violette, retraitée, célibataire, sans enfant, qui s'est installée dans une petite maison, à la suite d'un héritage. Elle a décidé de choisir le « silence social », ne voulant plus faire d'efforts pour bavarder, entretenir des liens, elle a opté pour une sorte de retrait… en disant même le minimum aux commerçants, pour que personne ne vienne empiéter sur sa vie et sa liberté….
La Vie en décidera autrement, Violette rencontrera fortuitement Enrique…exilé, qui pourrait être son « fils »… ces deux êtres vont, sans discours, ni mots superflus, s'apprivoiser et s'aider à vivre ,à retrouver le sourire, l'envie de protéger, prendre soin de quelqu'un…
Même si Violette se malmène, ironise ce qu'elle peut apporter à Enrique, sur le « fils possible » qu'il représente subitement dans son champ de vie… en dépit des méfiances, réticences sur ses véritables motivations, l'affection est née …entre ces « deux-là » et représentera un véritable
feu, réchauffant et éclairant.
« Que puis-je pour lui ? Lui filer un passeport ? le protéger des policiers ? L'initier à la Belgique, aux bons côtés du pays ? le plat pays qui est le mien? Tu sais, Enrique, il n'y a pas que les moules, les frites, la bière et les querelles linguistiques. Il y a aussi Brel, Bruges, les BD, l'Atomium, l'Art Déco, les Ardennes, les musées, Magritte, la mer du Nord, La Grand-Place et le chocolat Côte d'Or. Ridicule, Violette. Et d'ailleurs: qu'attendrais-je de lui ? qu'il me fasse la conversation ? Qu'il ramasse mes pommes de terre ? Qu'il m'offre son sourire ? Qu'il soit ma Plume des Vents ? Mon enfant, le fils que je n'ai pas eu ? Oh Violette, dans quelle nouvelle dépendance t'es-tu embarquée ? (p.72) »
C'est un livre d'une grande tendresse, très pudique, au style très vivant, avec de fréquents monologues intérieurs de Violette, qui fait aisément de l' »autodérision », se moquant de son élan protecteur, affectueux, amical envers Enrique…qui lui « est tombé dessus sans crier gare » ; qui finalement l'enchante, semble la sortir d'une sorte de fausse misanthropie, et d' image
d' « ours mal léché » !! Un troisième personnage va entrer dans ce duo
touchant , un homme que Violette a passionnément aimé à une période de sa vie… je n'en dis pas plus…pour laisser un minimum de suspens ou de mystère , à l'intrigue!!.
Un texte qui malmène aussi à raison les conventions sociales, les discours ou échanges trop souvent creux entre les êtres, dans le quotidien…
« (....) et comment ça va. Justement, ça va beaucoup mieux depuis que je n'ai plus à répondre à cette question-là. Effrayante, la masse des phrases conventionnelles qui sont déversées chaque jour. Quelle pollution acoustique et mentale ! Comment ça va. Bien et toi. Tout est dit, merci, au revoir. (p.103) »
Il est question de ce fameux « silence social » sous différents aspects : Violette, cette femme à la retraite qui souhaite se « retirer » du monde, Enrique, restant en marge, car il est considéré comme un « étranger », sans véritable emploi et position sociale… et pourtant ces « deux-là » ont tant à « donner », et ils vont s'offrir mutuellement de l'aide, du réconfort, de la présence discrète et active, qui « vont redonner un minimum de sens » à leurs chemins respectifs… Un vrai joli livre… Je n'ai qu'un mince regret : une fin positive, mais trop rapide…j'aurais aimé accompagner un petit moment encore…les trois personnages, remplis de failles, mais combien avides de véritables liens, comme chacun de nous ; Violette, un amour perdu, un frère adoré mais retiré dans la vie religieuse, Enrique, reconnaissant à vie, envers une grand-mère courageuse, qui l'encourageait à apprendre, encore et encore…
C'est un livre « doux »…réconfortant sur la capacité des êtres à modifier, à alléger une sorte de douleur de vivre, par l'amitié et l'élan désintéressé envers un « autrui »… qui pourtant, comme c'est le cas dans ce
roman, se situe aux antipodes de l'autre ! Et pourtant tout est possible….
N.B : Deux parenthèses sur l'historique de cet éditeur dont j'apprécie infiniment les choix, depuis les années 80....ainsi qu'un mot explicatif de l'éditeur sur la jolie collection « L'Escale des lettres » dans laquelle est publiée cette fiction [ comme son dernier roman « Anna, Simon… les soleils et les autres »… que je vais lire très vite !!!: ]
« Fondée à l'automne 1998, est dirigée par
Francis Dannemark et
Jean-Yves Reuzeau, en collaboration avec Bénédicte Pérot et
Hélène Hiessler. Elle propose côte à côte des
romans, des nouvelles, des essais, de la poésie et des anthologies. Elle publie des auteurs de langue française, parmi lesquels bon nombre d'auteurs belges, mais aussi des auteurs venus de Flandre et des Pays-Bas, de Grande-Bretagne ou d'Irlande. Depuis le printemps 2004, les ouvrages des auteurs de Flandre sont regroupés au sein de la collection sous le label Bibliothèque flamande. «
Les éditions le Castor Astral ont été créées à Bordeaux en 1975 par deux étudiants en Carrières du Livre »,
Jean-Yves Reuzeau et Marc Torralba.
Aujourd'hui, cette aventure éditoriale est menée par plusieurs équipes autour de Marc Torralba à Bordeaux,
Jean-Yves Reuzeau à Paris et
Francis Dannemark à Bruxelles.
François Tétreau est le correspondant à Montréal.
Le catalogue est principalement axé sur la littérature française, la littérature étrangère (notamment la littérature flamande) et sur la musique. Il se distingue à la fois par une grande exigence de contenu et un soin tout particulier apporté à l'objet livre. Tout est maîtrisé en interne, dans un esprit artisanal, du manuscrit aux fichiers remis aux imprimeurs. La production est d'une cinquantaine de livres par an, diffusés en librairie par Volumen. La maison d'édition attache autant d'importance à la réhabilitation d'auteurs majeurs (
Emmanuel Bove,
René Guy Cadou,
Louis Parrot, etc.) qu'à la publication de textes méconnus d'auteurs classiques (collection « Les Inattendus »), ainsi qu'à la découverte et la défense d'auteurs contemporains (
Claude Bourgeyx,
Yves Buin,
Jean-Louis Crimon,
Francis Dannemark,
Patrice Delbourg,
Xavier Deutsch,
Eva Kavian,
Philippe Lacoche,
Hervé le Tellier,
Bernard Morlino,
Marie-Ève Sténuit,
Régine Vandamme, etc.).
Loin des préoccupations des « grandes » maisons d'édition inféodées à la rentabilité forcenée, le Castor Astral publie avec passion et plaisir, cherchant à instaurer des liens privilégiés avec ses auteurs et ses lecteurs.
« le Castor de papier et d'encre est un animal curieux, têtu et farouchement indépendant. »