Gros Chagrin de
Jean Baptiste Harang, un livre trop atypique pour figurer dans une rentrée, et qui sortit trop vite des rayons littéraires.
"D'habitude c'était les autres qui mourait . Seulement les autres."Jok était bien placé pour le savoir il travaillait à la rubrique nécrologique d'un journal .p9
"Mais cette fois c'est moi qui meurt. Claire était parti pour la seule raison qu'elle n'était pas revenue."p19 Pourquoi vivre, comme « Antoine Pinay qui s'acharnait à survivre. »p13
"Jok manquait cruellement de documentation", pour faire sa nécrologie, il avait à coeur de réussir la sienne p25 !
Pour mourir pas besoin de se presser, il convenait de prendre son temps, de le ralentir un peu, c'était dans ses habitudes, savoir attendre, il attendait bien depuis si longtemps la mort d'Antoine Pinay, comme pour la météo, tout était enregistré prêt à passer au journal de 20h.
Les nouvelles, il les écoutait sur son répondeur, deux fois par jour, comme la météo, le journal avait établi avec Jok cette petite convention,.
Jok est en pleine dépression, Antoine Pinay est mort, il le saura trop tard, Clara parti, Pinay aussi, mais pourquoi avait-il coupé son téléphone ?
Clara était Mère Dufour, chargée de la sécurité, à Starmarché, » les mères Dufour sortaient plus volontiers des écoles de karaté que du cours Simon. » p29 C'est ainsi qu'ils se sont connus pour 200 francs, caisse n°3 tenue par Clarisse, il avait avoué, je suis embaumeur, j'embaume les morts !
Pour embaumer la sienne il imagina de finir sa vie à petits pas, lesté de bottes lourdes, mais vraiment lourdes, plombées au béton de chantier, cela lui fera dit -il une vie au ralenti.
Pour son hygiène il va élever une colonie de lucanus oppidorum ou lucane des forteresses, dans ses bottes, pour édifier sa nécrologie et cultiver son gros chagrin.
« Les lucanes sont vraiment des compagnons délicieux », tel pourrait être la vraie morale de l'histoire.
Faux roman, ou farce de
Jean Baptiste Harang, qui fut journaliste en charge de la rubrique faits divers et de la rubrique nécrologie, au journal Sud-Ouest un peu comme Desproges avant lui, qui tenait une rubrique dite des Chats Écrases.
Roman loufoque, comme les aime JB Harang, qui donne à sa plume une liberté de ton, une légèreté et avec laquelle il se permet toutes les hardiesses.
Il est bien regrettable, que LGL ne l'invite pas, une vielle rivalité peut être entre l'animateur et l'ancien responsable de la rubrique lire à libération, où ses chroniques savoureuses étaient si attendues.
Jean Baptiste Harang aime le cocasse depuis l'enfance, où il habitait rue Poisson (le mathématicien) . Son doigté il l'a acquis chez
Blondin, Céline,
Modiano,
Vian et autres Brautigan, ses gammes, en épluchant les avis de décès et les faits les plus insignifiants, pour en faire un article, à l'article de la mort ou dans les minutes d'un procès.
Je suis fan de ses doigtés. Relisez : "comme la nature du vide, a horreur du blanc, du silence. Pas l'amitié" , ou "une combinaison neuve dont le plis trop longtemps comprimés lui donnaient des airs de carte Michelin dépliée contre le vent p134",
mieux encore, "une lente brune aux épaules presque trop fines pour y attacher des bras"p14.
J-B Harang a cette capacité de rendre vivante une scène avec quelques mots, "le taxi souriait, soit que ces choses lui parussent bien naturelles, soit qu'après sa licence de taxi il l'eût complétée d'une spécialisation dans le transport de ceux qui se coulent du béton dans les bottes. le taxi en avait vu d'autres, il était cambodgien, »p134,
ou dessiner un portrait, avec juste un coup de pinceau, « Shénaz, ses membres et son visage esquissés, nés d'une tache de papier laissé blanc en forme de maillot » p196.
Peu manuel,
J-B est rarement bricoleur, mais il se plaît à décrire l'étrangeté des instruments de l'artisanat, tel
Modiano cherchant dans la notice de Bricomarché un souvenir, le texte devient un peu surréaliste :
Il empoigna le marteau qui ne s'y attendait guère (il s'agissait d'un marteau de vitrier en acier forgé, poli à pans, bec arrache-clous, manche aplati en forme de ciseau, tête de 16 millimètres, poids de 400 grammes, mais ]ok était loin de s'imaginer qu'i1 pût exister des marteaux de vitrier qui lui eussent paru aussi incongrus que des haches de pianiste), P22.
Un livre pour le plaisir de goûter à la langue de ce chroniqueur qui nous manque, mais dont on peut encore happer les mots dans ses
romans, et puisqu'il est passé souvent du coq à l'âne, profitez d'un gros chagrin pour lire du J-B Harang et retrouver la joie de vivre.