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Barbara Fontaine (Traducteur)
EAN : 9782072996016
Gallimard (05/09/2024)
4.38/5   30 notes
Résumé :
Elles sont quatre : il y a Nene la romantique, Ira la cérébrale, Dina l'idéaliste et Keto l'observatrice. Voisines depuis l'enfance, elles grandissent ensemble à Tbilissi, en Géorgie, au moment où l'Union soviétique s'effrondre et où se pose la question de l'avenir de leur pays. Chacune à leur manière, les quatre amies vont faire l'expérience de l'amour, de l'espoir, de la déception, de la trahison, et être confrontées aux conséquences, dans leur vie privée, de ces ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (16) Voir plus Ajouter une critique
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Les premières pages donnent le ton. On glisse d'une nuit de 1987 au jardin botanique de Tbilissi, Géorgie, nuit fofolle de quatre adolescentes libres et heureuses, au palais des Beaux-Arts de Bruxelles 32 ans plus tard, moment inquiet, solitaire et empesé. le récit ne cessera d'osciller entre passé et présent en suivant l'amitié de quatre jeunes filles - Keto, la narratrice, Dina, Nene et Ira. le présent s'ancre dans la rétrospective de Dina, devenue mondialement célèbre, qui les a photographiées durant toute leur jeunesse. On apprend que cette amitié est brisée, que l'une d'elles s'est suicidée. Et voilà le récit qui décolle telle une fusée : on veut absolument savoir pourquoi, comment, on est happé par l'histoire de leur attachement, de leurs brouilles, par leur apprentissage de l'amour et de la vie. On les aime, on les suit sans se poser de questions…
J'ai été d'emblée fascinée par ce quatuor féminin, qui permet des portraits d'une grande finesse, comme dans un kaléidoscope où le temps, les caractères et les destinées s'entremêlent pour renvoyer une lumière éblouissante et changeante. Ce sont des filles géniales, auxquelles on s'attache comme si on faisait partie de leur groupe, qu'on voit grandir, s'affirmer, se perdre. À cet égard, « La Lumière vacillante » est un livre sur la noblesse de l'amitié, et la manière dont ces jeunes filles s'aident à devenir des femmes dans une réalité hostile. Ce lien leur donne l'audace de s'accomplir en tant que femmes libres et de ne pas tout miser sur l'amour qui asservit. Ce qui lit Keto et Dina, notamment, est ce genre d'amitié royale qui marque durablement un roman et en signe la réussite : avec elle, « je me sentais invincible, j'avais l'impression que nous étions les reines du monde », dit Keto. Et c'est bien là ce qui rend ce récit déchirant : la force de leur relation est montrée en même temps que sa destruction. le lecteur comprend très vite que seule la cruauté de l'Histoire a pu venir à bout d'une telle union.

L'enjeu profond de ce roman, en effet, est l'impact de l'Histoire sur des jeunes filles qui ne demandaient rien de plus qu'être heureuses, s'amuser entre copines et tomber un peu niaisement amoureuses. « La Lumière vacillante » nous éclaire avec une rage lucide sur ce que fut la Géorgie avant la chute du mur, l'humiliation de leurs aïeux par les bolcheviques, les blessures à vif des grands-mères, puis comment elle plongea dans la violence avec la fin de l'empire soviétique, livrée aux règlements de compte, aux coupures de chauffage, d'électricité aux émeutes et aux « voleurs dans la loi », monstres créés par la répression stalinienne. Ces voyous tolérés par le pouvoir créent un « univers étrange, repoussant, qui a fini par ensevelir [leur] monde en apparence ordonné et paisible et tous [les] soumettre à ses lois ». L'autrice dit très bien la menace perpétuelle du passé sur le présent, le sentiment de mensonge qui lit les personnages à leur pays, la dépossession d'eux-mêmes, comme s'il leur manquait une pièce essentielle à leur identité. Keto se demande ainsi : « Notre propre enfance peut-elle jamais nous devenir étrangère ? ». Les personnages passent sans transition d'une bulle tiède, oppressante mais protégée, à un monde sans communisme, ouvert à toutes les violences et les vilénies. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la narratrice, double de l'autrice, devient restauratrice de tableaux anciens dans un récit qui tente de réparer le passé en l'exprimant.
Écrire pour tenter d'alléger le poids de l'Histoire sans en amoindrir la violence.
Voilà la force de ce texte, voilà son émotion.
Keto le formule ainsi : « c'était exactement ça que je voulais : partir sur les traces du passé, humer l'histoire, ne serait-ce que pour m'éloigner le plus possible de mon présent. Je ne m'évertuais plus à en chercher les raisons, elles n'avaient pas d'importance. Cette activité me semblait la seule qui pouvait me protéger de moi-même, de moi, et de l'époque dans laquelle j'étais condamné à vivre. »

L'énergie de l'entreprise est une autre des qualités de ce texte, animé d'un souffle puissant qui emporte la lecture. Nous sommes bien dans une épopée, vaste vaisseau où chaque rouage est parfaitement en place : début flamboyant, fin dramatique, nombreuses prolepses annonçant le pire, sens du fatum, destin se déroulant avec un sens de l'inexorable désespérant qui met à l'épreuve la confiance des protagonistes. C'est une énergie triste, piquée de regrets, mais qui a une force peu commune, comme si elle se nourrissait des antagonismes entre les personnages, entre les clans, entre les membres d'une même famille, entre les doubles qui s'opposent. La narratrice dit d'ailleurs de ses baboudas, ses grand-mères qui partagent leur vie et qui sont toujours en bisbille : « la friction permanente générait une énergie qui les maintenait en vie ».
Cette ligne verticale, qui oppose les personnages entre eux, croise la ligne horizontale entre le passé et le présent. Elles sont toutes deux tendues à se rompre. À l'intersection, la narratrice, qui restaure les objets anciens et répare les outrages issus de la mémoire. Keto, dans l'oeil du cyclone, courageuse et vibrante.

Un petit bémol toutefois dans cette lecture enthousiasmante : la force narrative vire parfois à la lourdeur - trop d'effets dramatiques, de redites, des longueurs. L'autrice, qui écrit aussi pour le théâtre, se sert de ses phrases comme de fouets, elle use d'une langue qui se clame plus qu'elle ne se lit et qui ne s'économise pas assez à mon sens pour garder tout son éclat. Disons que l'ampleur du souffle, indéniable et magnifique jusqu'aux trois-quarts du récit, s'épuise un peu sur la fin. Mais peut-être cette fatigue est-elle inhérente à l'entreprise, perdue d'avance, impossible à achever. Peut-être cette fatigue fait-elle toute la générosité du combat, comme dans les meilleurs passages de L'Iliade où les héros, fatigués, se sachant perdus, ne se rendent jamais.

Livre offert dans le cadre d'une rencontre avec l'auteur qui aura lieu le 3 septembre 2024 aux éditions Gallimard.
Sortie prévue le 5 septembre 2024.
Merci à Babelio, et aux éditions Gallimard, de m'avoir permis une telle découverte.
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La Lumière vacillante fait partie de ces romans qui imprègnent votre esprit et votre coeur.
Porté par la voix de la narratrice, le lecteur s'immerge dans les troubles de la guerre civile qui a sévi en Géorgie dans les années 1990.
Par le regard de quatre petites filles qui deviennent adolescentes, la narratrice, l'une d'entre elles, déploie sous nos yeux la collusion entre la grande et la petite histoire, faisant de ces amies des héroïnes à la fois modernes et mythiques.
Elles se retrouvent des années plus tard, alors qu'elles ont passé la cinquantaine, à l'occasion d'une exposition de photo présentée à Bruxelles. C'est à travers les déambulations de la narratrice que s'organise le récit. C'est d'une douce fluidité, cela s'apparente à une histoire racontée au coin du feu. Les personnages prennent vie avec force et profondeur. Je me suis sentie proche de chacune d'entre elles, j'ai souffert avec elles, j'ai ri avec elles.
Quel déchirement de quitter ces filles devenues femmes. J'aurais aimé m'asseoir avec elles dans le jardin du site de l'exposition et leur poser mille questions, sans doute celles auxquelles la narratrice n'a pas les réponses.
Ce roman se met à la hauteur des habitants de Tbilissi pour nous raconter le basculement d'un pays, celui qui a sans doute le plus souffert de la chute de l'URSS. Les personnages secondaires incarnent les problématiques qui se sont présentées aux différentes générations. Ils sont hauts en couleur, sincères et désespérés. Mention spéciale aux deux grands-mères de Keto, deux femmes extraordinaires que j'aurais aimé rencontrer.
Ce roman explore aussi avec minutie les arcanes d'une amitié qui naît et s'épanouit dans un environnement d'une violence inouïe. Elles restent peu de temps innocentes, Dina, Nene, Ira et Keto, elles grandissent vite, trop vite mais avec combativité, fougue et espoir.
Elles sont belles, elles sont sauvages. La guerre les entraîne sur des voies différentes mais leur amitié est un bloc de sentiments ancré dans leur coeur, un bloc qui résiste au temps.
Voilà un magnifique roman que je suis heureuse d'avoir lu.
L'audace des personnages, la documentation sur un épisode de l'histoire que je ne connaissais que de très loin, le souffle épique qui porte le roman et le style de l'autrice qui rappelle ce que littérature signifie, tout concourt à faire de ce roman un texte qui me restera longtemps en mémoire.
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Tbilissi 1987 : l'histoire de quatre adolescentes (de quatorze ans) inséparables : Dina, Keto, Ira et Nene, qui ont décidé de s'offrir une « escapade » nocturne (et interdite) dans le jardin botanique. Ira et Nene sont proches l'une de l'autre, alors que Keto (la narratrice) et Dina sont les deux meilleures amies du monde. Dina la « meneuse », Ira la « cérébrale », Nene la « timorée » et enfin Keto la « suiveuse » (et mémoire vivante de toute cette époque chaotique)

Bruxelles 2019. Keto Kipiani vient assister à une exposition de photos, organisée par Anano (la soeur de Dina) Celle-ci n'est plus là pour se réjouir de cet hommage. Dina s'est envolée pour un monde meilleur depuis 1999 (je ne spoile rien, nous l'apprenons dès la toute première page du roman …) Trente-deux années se sont écoulées depuis que le père de Dina a immortalisé les quatre amies, dans sa cuisine, en prenant une photo qui trône en ouverture de l'émouvant évènement … La vie et une terrible tragédie les a séparées …

Une intrigue qui se déploie entre passé et présent, au fur et à mesure des souvenirs qui viennent bouleverser Keto. Autant de protagonistes plus touchants (ou agaçants …) les uns que les autres … Eter (« Babouda I ») la grand-mère maternelle et Oliko (« Babouda II ») la grand-mère paternelle de Keto et de son frère Rati … Rati le « rebelle », qui n'a pas supporté la disparition de sa mère, rejetant (injustement) la responsabilité sur Guram, son propre père … Lika, la mère « hippie » et désargentée de Dina … Giuli et Tamas, les parents si mal assortis d'Ira … Tapora (un oncle) et Zotne (le frère ainé) de Nene, deux êtres toxiques qui rendaient la vie de Manana (leur mère) tout à fait impossible … Et bien d'autres encore …

Dans les années 1990, la vie dans ce pays gangrené par la corruption – et sous influence, toujours aussi présente de l'Union Soviétique – est insupportable, voire mortifère … Opulent et prenant récit, dont l'écriture est absolument magnifique ! (Et l'analyse on ne peut plus brillante …) Un réel chef d'oeuvre, bouleversant autant que percutant, que j'ai littéralement dévoré puis adoré !
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Sept cents pages pour une seule soirée. Quelques heures qui condensent une vie, lors du vernissage mondain d'une rétrospective au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Keto, la narratrice, y retrouve Nene et Ira. “Les deux personnes qui - outre la défunte photographe pour laquelle nous nous réunissons ici - m'ont le plus marquée, détruite, celles qui ont plongé mes jours dans le bonheur et le malheur.” Face à chaque photographie, Keto est catapultée dans le passé. Elle déambule en pensée dans les ruelles poussiéreuses de sa jeunesse géorgienne à Tbilissi à la fin des années 1980, où elle rencontre Nene, Ira, et la prodigieuse Dina.

Condamnée à revivre l'histoire déjà inscrite dans sa chair, elle plante son regard dans ces morceaux de vie devenus oeuvres d'art : des portraits des quatre filles, ceux de leurs proches, celui de la guerre aussi, photographiés par Dina, décédée vingt ans plus tôt. “Il y a quelque chose d'essentiel que nous n'avons pas pu sauver, qui restera pour toujours attaché à ce monde en noir et blanc, comme un faible écho se prolongeant dans notre présent.”

Le lecteur fait ainsi la connaissance des amies de la narratrice, en version adulte lors de l'exposition, en version adolescente dans les souvenirs de Keto. Et parfois, on ne sait plus si on fait face à une avocate renommée ou à une petite fille, comme si ce qu'elles ont gardé d'enfantin et ce qu'elles avaient déjà d'adulte se mélangeaient.

Bien sûr, trente ans plus tôt, alors que la Russie refuse l'indépendance de la Géorgie après le démantèlement de l'URSS, elles avaient bien mieux à faire que de se soucier de politique, ces grandes copines. Mais les coupures d'électricité, amusantes les premières fois, déposent une noirceur terrifiante sur la ville et sur l'avenir des jeunes filles. Couvre-feu, propagande sonorisée, manifestations sanglantes, corruption, rues bloquées par des tanks, bagarres au couteau… Confrontées au manège infini de la vengeance, elles grandissent en supportant tant bien que mal la violence de leurs hommes et de leurs frères.

Elles ont tant vécu, si jeunes, tant souffert, dans cette ville où l'on arrache le parquet pour se chauffer, où l'on enlève des jeunes filles pour des querelles toutes masculines, qu'il est difficile de considérer le passé autrement que comme une cicatrice. Quelque chose de profondément raté qui aurait entaillé leur bonheur à jamais. Mais l'histoire n'est complète que si on a tous les morceaux. Tous les passés, tout le présent, réunis dans ce roman.

Et même si la douleur ressuscite cent fois, même si les kalachnikovs déchiquettent les rêves, elles sont trois à avoir réussi le saut dans le présent. Avec des souvenirs blafards et boueux, mais aussi avec le goût du bonheur, “un goût de quetsches pas mûres, et de pluie d'été poussiéreuse, et d'excitation et d'incertitude, de pressentiments saupoudrés de sucre glace.”
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Regardez devant vous cette lumière vacillante, hypnotisante, réconfortante. Elle est le rêve, l'espérance, l'amour, quand tout autour est sombre, violent et vicié. Elle est la flamme de la Géorgie qui brûle du désir de conquérir sa souveraineté et celle de quatre amies qui, à son image, poursuivent face à une société oppressante l'espoir d'une liberté illusoire.
Accrochés au mur, les souvenirs en noir et blanc percutent la mémoire de Keto. Elle se souvient de ce quatuor d'amies, fondé dans l'âge tendre, qu'elle formait avec Nene, Ira et surtout Dina, la photographe que cette exposition honore. Elle ne leur a plus parlé depuis des années. Comment en sont-elles arrivées là ? Elles qui ensemble abaissaient les barrières, osaient s'affranchir des interdits galvanisées par la force du nombre.
Ira et Nene ne devraient plus tarder. Dina est partout. de photo en photo, Keto est assaillie de réminiscences. Et l'on se demande à combien de guerres l'humain peut-il survivre, à quel moment les plaies se transforment en cicatrices. Dans la chambre noire du passé, l'obscur grignote la clarté mais pourtant jamais ne l'étouffe. Autour de Keto, un bal de silhouettes, des morts et des vivants virevoltent à l'en étourdir. On voudrait lâcher prise, ne jamais revenir à la réalité quitte à se noyer en paix dans ces instantanés réanimés. Mais il reste une bataille à mener : celle de la réconciliation.
Je n'aurais de cesse de renouveler mon amour pour Nino Haratischwili, pour sa plume mélancolique qui magnifie tant ses personnages que l'empreinte du temps sur son pays d'origine. J'aurais voulu qu'il dure toujours, ce roman. J'ai tenté d'en économiser les dernières pages mais voilà, je l'ai fini et il y a maintenant ce vide et des fantômes de papiers.
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critiques presse (3)
LeFigaro
13 septembre 2024
Plus de 700 pages, une dizaine de personnages, une fresque humaine sur plus de trente ans en Géorgie. Un grand roman sur la révolte et l'amitié.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Bibliobs
04 septembre 2024
Dans ce roman solaire qui emprunte autant à Orhan Pamuk qu’à Elena Ferrante, l’écrivaine géorgienne née en 1983 raconte l’histoire tourbillonnante et tourmentée de quatre amies prodigieuses à la fin de l’ère communiste, à Tbilissi.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Bibliobs
04 septembre 2024
Dans un roman solaire qui emprunte autant à Orhan Pamuk qu'à Elena Ferrante, l'écrivaine raconte la vie tourmentée d'une bande de copines dans la capitale géorgienne à la fin de l'ère communiste.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (41) Voir plus Ajouter une citation
La magie de cette photo […] ne vient pas de l'espoir, mais du flirt conscient de Dina avec le risque extrême, avec la possibilité de l'échec et de la non-réalisation des souhaits. C'est pourquoi cette photo est si difficile à supporter, car elle se célèbre elle-même, elle célèbre l'instant et tout ce qui est à venir, elle se tourne vers toutes les éventualités - parce que ce visage devine déjà que nos désirs peuvent être un piège et que la vie est un champ de bataille au bout duquel ne nous attend pas une fête enivrante, mais plutôt un abîme insondable, auquel pourtant on ose s'abandonner corps et âme.
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Effroyable siècle, effroyables cœurs.

Pouchkine, Le Chevalier avare
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Notre amour ne connaît ni liberté, ni insouciance, ni jeunesse, il n'est pas léger et encore moins civilisé, il semble malsain aux personnes qui ne viennent pas de ce monde, il les angoisse et les perturbe. Et elles ont raison. Mais je ne peux pas le trahir, je ne peux pas le renier, car cet amour est le seul que j'aie.
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Impossible de lui dire que dans notre ville on ne pouvait pas aimer les êtres qu'on aimait. Car dans notre ville on esquivait ses propres désirs. On était obligé de renoncer à ses désirs pour que la vie ne reste pas abonnée au malheur. On apprenait à être étranger à soi-même, et c'était le meilleur moyen de se débrouiller dans notre ville. L'amour y était de courte durée, il s'évaporait comme la brume matinale dès que le soleil se lève. Dans notre ville, les jeunes filles étaient poudreuses et vaporeuses, elles étaient faites pour tisser l'honneur de leur mari et lui cuire du pain chaud; elles étaient là pour devenir des images étrangères. Dans notre ville, les jeunes filles étaient des poissons rouges pour qui les garçons devaient construire des aquariums pour y voir nager leurs poissons préférés. Dans notre ville, les jeunes filles étaient des anges sans ailes suspendus à de minces fils tenus par les mères, tantes et grands-mères qui jadis n'avaient pas pu s'enfuir, elles non plus. Dans notre ville, les garçons étaient les décalques de leurs pères, oncles et grands-pères, qui n'avaient pas réussi non plus à aller jusqu'au bout de leurs jeux enfantins et qui d'un coup devaient devenir adultes, forts et barbus. Dans notre ville, les amoureux étaient des bêtes sauvages, et tous les autres des dompteurs. À la fin, soit les bêtes sauvages se laissaient apprivoiser, soit on les enfermait de force dans une cage et on les exposait comme un exemple dissuasif. Je pouvais difficilement dire à Nene que les amoureux de Tbilissi avaient toujours été des fugitifs.
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Nous aussi faisions partie de cette ville, en nous aussi coulait le sang de tous ceux qui étaient tombés ici et qui l'avaient construite, de ceux qui avaient été trahis, qui avaient célébré et aimé, de tous ceux qui avaient été arrêtés et déportés, qui avaient soudain disparu sans laisser de tombe, mais seulement des traces vers l'infini. Nous aussi étions des enfants de cette époque, nous étions ses fiancées promises. Elle nous retenait fermement, et ce jour-là pourtant nous voulions lui échapper, la duper et lui jouer un tour, nous nous sentions invincibles car nous étions amoureux, et les amoureux peuvent revendiquer le droit de ne pas être affectés par le monde.
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Videos de Nino Haratischwili (4) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Nino Haratischwili
https://www.laprocure.com/product/1613960/haratischwili-nino-la-lumiere-vacillante
La Lumière vacillante Nino Haratischwili Éditions Gallimard
« « La Lumière vacillante » va raconter le destin de quatre femmes, quatre amies dans la tourmente de l'histoire, dans les remous de l'histoire. Avec la chute de l'Union soviétique. Elles vont vivre dans les larmes et le sang. C'est un livre assez extraordinaire. Je vous conseille vraiment cet auteur, Si vous n'avez jamais lu. Peu importe lequel vous prendrez, vous passerez un moment de lecture extraordinaire. » Marie-Joseph, libraire à La Procure de Paris
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