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sur 106 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
En 1994, alors que les troupes russes stationnent dans un coin reculé des montagnes du Caucase afin d'y pourchasser les séparatistes tchétchènes, une jeune villageoise prénommée Nura y est arbitrairement arrêtée, violentée et tuée. Vingt ans plus tard, malgré tous les efforts pour étouffer l'affaire, des rumeurs alimentées par un journaliste, la Corneille, continuent à circuler à l'encontre du Général, redoutable et richissime oligarque aux mains sales, que rien ne semble pouvoir atteindre. Rien, sauf, peut-être, tout ce qui touche à sa fille chérie Ada. Elle seule pourrait le décider à affronter le passé, surtout lorsqu'il resurgit par hasard sous les traits du Chat, une jeune comédienne qui ressemble étrangement à Nura.


Alternant entre deux périodes, le récit prend son temps pour se mettre en place, dédiant chaque chapitre à un personnage avec lequel nous commençons par faire amplement connaissance. Tous ces protagonistes sont fouillés avec soin, jusqu'à prendre l'épaisseur de la réalité. A travers eux, qui, chacun à leur façon, s'efforcent tant bien que mal de faire face au fatras qu'est leur vie, c'est bientôt un impressionnant tableau du cloaque, laissé, comme après le retrait de la marée, par la dislocation de l'Union soviétique, que le roman restitue avec force et précision. Sur ce champ de ruines, nul frein aux forces libérées. Jamais la loi du plus fort ne l'aura à ce point emporté. Et si les uns perdent tout, leurs maigres possessions comme bientôt aussi leurs illusions d'un monde meilleur, d'autres en profitent pour se tailler d'éblouissantes fortunes, usant sans foi ni loi de méthodes à faire pâlir d'envie malfrats et mafieux les plus aguerris.


Imprégné jusqu'aux tripes de ce climat délétère où l'incertitude, la violence et la peur n'épargnent personne, le lecteur comprend rapidement, bien avant que ne se précisent les liens entre les personnages et leur véritable rôle dans cette tragédie russe, que son épilogue sera forcément explosif. Que s'est-il réellement passé cette nuit de 1994 ? Quelle a été l'implication du Général dans l'assassinat de Nura ? Est-ce dans un esprit de vengeance, ou pour soulager sa conscience, que, vingt ans après, il entreprend de renouer avec les acteurs du drame ? Quoi qu'il en soit, pour le lecteur comme pour les autres personnages de cette histoire si crédible, la seule ombre de ces hommes aux allures de fauves en liberté suffit à faire froid dans le dos.


Fouillé avec soin sur presque six cents pages, ce roman excelle à entretenir curiosité et malaise dans une évocation particulièrement réussie des répercussions en chaîne de l'effondrement du bloc soviétique sur ses populations : un sujet vécu de l'intérieur par l'auteur, née en Géorgie et aujourd'hui installée en Allemagne. Coup de coeur.


Merci à Babelio et aux Editions Belfond de m'avoir fait offert cette lecture.

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Nino Haratischwili est géorgienne. Elle est venue en Allemagne en 2003 pour étudier la mise en scène et la dramaturgie. Dans le Chat, le Général et la Corneille, elle évoque, entre autres, la guerre en Tchétchénie et ses conséquences mais aussi la situation de la Géorgie et des Géorgiens, avant et après la fin de l'URSS, l'émigration de certains en Allemagne.

Sa passion pour le théâtre apparaît dans l'intrigue de ce roman foisonnant que j'ai trouvé à la fois instructif, passionnant et bien écrit, bien traduit.

Dès le début, j'ai été happée par l'écriture, par le personnage de Nura, jeune fille tchétchène dans un village de montagne, qui rêve de liberté. Nous sommes dans les année quatre-vingt-dix et la guerre entre la Tchétchénie, qui veut être indépendante, et la Russie, qui ne l'accepte pas, va bientôt débuter.

Malich, un jeune homme russe passionné de littérature, va devoir s'engager pour faire plaisir à sa mère et marcher sur les traces de son père, un héros décédé de la guerre d'Afghanistan.

Que va-t-il arriver à Malich et Nura ? Que vont-ils devenir ? Je devine qu'ils vont être les protagonistes d'une tragédie moderne, de notre époque. Comme au théâtre, entrent en scène d'autres personnages.

Chat est le surnom de Sesili, une jeune femme d'origine géorgienne qui vit désormais à Berlin avec sa mère, sa grand-mère et sa soeur. Elle joue Ismène au théâtre et est hantée par un drame lié à la guerre et au traumatisme qu'a subi son père. Son angoisse existentielle, sa vie privée compliquée l'empêchent d'être vraiment heureuse. Alors qu'elle se fait beaucoup de soucis pour sa famille, c'est peut-être elle qui a le plus de mal à s'intégrer et être bien dans sa peau.

Jusqu'au jour où le Général, surnom d'Alexander Orlov, un oligarque russe, vient lui proposer de tourner dans une vidéo, de jouer le rôle de Nura dont elle est le sosie. Intriguée, elle finit par accepter.

Alexander Orlov, père d'une jeune fille de dix-neuf ans, Ada, cache un lourd secret, qu'il partage avec les trois hommes auxquels les vidéos sont destinées. Ada est son trésor. Il a choisi son prénom en hommage au livre de Nabokov Ada ou l'ardeur, à l'époque où il n'était pas encore un oligarque, un mafieux mais un passionné de littérature.

Comment sa vie a-t-elle basculé dans la corruption, le crime, la menace, l'intimidation pour accroître sa fortune et la conserver ?

De 1994 à 1996, la première guerre de Tchétchénie a fait des ravages et ruiné de nombreuses vies. Onno Bender, un journaliste d'investigation, est la Corneille, le porteur de mauvaises nouvelles, celui qui veut enquêter et révéler la vérité.

Mais comment réagir lorsqu'on découvre qu'un père aimé n'est pas celui qu'il prétend être ?

Ce roman est une tragédie qui se déroule sous les yeux du lecteur, l'écriture est belle, le souffle romanesque puissant. J'ai aimé l'intensité émotionnelle, dramatique, tragique de certaines scènes. Les personnages ne sont pas manichéens, l'analyse psychologique est bien faite.

Avec finesse, sous la plume de Nino Haratischwili, se dessinent peu à peu les actes et les motivations de chacun, pourquoi ils en sont arrivés là, les conséquences de la guerre, comment elle pousse des jeunes hommes, dans des situations de stress intense, à devoir choisir entre le meurtre ou le suicide, qu'est-ce qui détermine ces choix, au-delà des notions classiques de bien et de mal, qui peuvent d'ailleurs cohabiter au sein d'une même personne.

Comme dans les grands romans russes que j'ai beaucoup aimés, il est question de crime et de châtiment mais ces notions sont réactualisées, vues à travers les conflits récents que l'Europe de l'Est et sa population ont subis.

Dans le final, la tension dramatique, qui va crescendo, m'a semblé plus appropriée pour une série en plusieurs saisons et m'a laissé un goût d'inachevé.

Malgré cette nuance concernant la fin, j'ai trouvé le Chat, le Général et la Corneille passionnant. L'autrice a beaucoup de talent et c'est un coup de coeur pour moi qui aime les romans qui mêlent Histoire récente et vie contemporaine. C'est grâce aux chroniques de Chrystèle et Sandrine que je l'ai découvert et je les en remercie.😊

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Romanesque à souhait cet excellent livre « le Chat, le Général et la Corneille » de la géorgienne Nino Haratischwili, titre qui peut faire penser de prime abord à une fable. Or, loin de la fable, nous avons là une épopée, un tourbillon mêlant savamment sentiments, aventures, événements historiques, un roman superbement construit, intelligemment documenté et divinement écrit. Nino Haratischwili a un sens de la dramaturgie certain. le coeur de son livre : la vengeance et la rédemption.
Je l'ai littéralement dégusté et je remercie Babelio et les éditions Belfond pour cet envoi. Sans cette masse critique peut-être serais-je passée à côté d'un livre hors norme en cette rentrée foisonnante 2021.

Qui se cachent derrière ces drôles de surnoms ?

Le Chat est le surnom de Sesili, jeune femme géorgienne ayant émigrée durant l'enfance, avec sa mère et sa soeur, en Allemagne pour fuir la guerre, à une époque où les frontières venaient tout juste de s'ouvrir, où l'Ouest était encore curieux de découvrir les pays situés derrière le rideau de fer. Son parcours fait beaucoup penser à celui de l'auteure. Même nationalité, même ville de naissance (Tbilissi), même destination, l'Allemagne, elle partage aussi la même passion pour le théâtre, passion maintes fois relatée dans le livre où j'ai cru entendre la voix de Nino Haratischwili. Chat est déracinée, son arrivée en Allemagne, petite fille, a été compliquée (est-ce le cas de Nino Haratischwili, je suis à deux doigts de le penser), écorchée, toujours coincée entre le passé et l'avenir, entre les époques, entre ce qui avait été et ce qui allait suivre, « comme si elle n'était jamais vraiment partie d'où elle venait ou qu'elle n'était jamais vraiment arrivée ». Elle a du mal à trouver sa place dans ce pays, dans la société, au sein même de sa famille, dont elle ne comprend pas tous les codes. Son malaise est amplifié par une rupture récente. C'est sans doute le personnage le plus complexe du livre, le plus alambiqué. Son surprenant surnom s'explique par son agilité à grimper aux murs lorsqu'elle était enfant, par sa capacité à rebondir sur ses pattes dans certaines situations critiques, par sa façon de se glisser dans des personnages variés, d'avoir plusieurs vies en tant que comédienne, qualités qui vont lui être nécessaires pour accomplir la mission qui lui est ici confiée.

Le Général est Alexander Orlov, richissime homme faisant partie de l'oligarchie russe avec ses zones d'ombres, son pouvoir, ses propres règles. Un pouvoir froid qui ne connait ni compassion, ni miséricorde. Sa précieuse et unique fille Ada (tirée de l'héroïne de Nabokov) s'est suicidée, elle qui ne supportait plus le monde depuis qu'il s'était révélé être un lieu où les hommes devenus monstres restent impunis. Ada demandait justement à son père de revenir sur son passé, sur les événements tragiques qui ont trait aux exactions commises par les militaires russes lors de la guerre de Tchétchénie 20 ans plus tôt. de revenir sur une certaine nuit, tragique, une nuit dans ce village perdu au milieu des montagnes, où le Général a été parmi ces militaires, cette nuit où sa vie a été réduite en cendres et où son surnom de Général a émergé de l'horreur, alors que pour lui l'humanité ne valait plus rien. Il est prêt à mettre tous les moyens et à exercer tout son pouvoir pour mener son objectif à terme, à savoir solder ses comptes pour que sa fille repose en paix. Pour cela il doit retrouver la trace de trois hommes, liés à lui par cet épisode macabre de sa vie.

Onno Brender, dit la Corneille, journaliste allemand, spécialisé dans l'Europe de l'Est, dans les déplacements de population, dans les guerres multiples de cette zone sensible, véritable poudrière. Il s'intéresse particulièrement aux tsars officieux dont les manigances échappent à toute loi et toute morale. Homme affaibli, sombre, rongé par la culpabilité et le deuil. Il doit son surnom de Corneille à un conte mythologique dans lequel la jalousie d'Apollon envers Ischys transforme ce dernier en oiseau noir croassant au lieu de chanter, symbole de l'annonce du malheur à venir.

Trois personnes dont nous suivons alternativement les pensées, les failles, l'histoire, à tour de rôle. A chaque retour d'un personnage via un chapitre dédié, comme un retour de manivelle, son histoire est narrée de manière plus approfondie, l'auteure reprend les éléments déjà expliquée dans les chapitres précédents mais va plus loin dans la présentation de sorte que nous acquérons petit à petit une connaissance approfondie et subtile de chacun d'eux. Trois personnes très différentes, qui n'ont a priori rien à voir les unes par rapport aux autres, et qui vont se retrouver malgré tout liées du fait d'un point commun partagé avec une histoire tragique vieille de vingt ans : le viol et l'assassinat d'une jeune Tchétchène Nura au milieu des années 90, il y a donc une vingtaine d'années.

Les chapitres s'alternent ainsi, s'entremêlent, se superposent et constituent peu à peu les faces colorées du Rubik's cube complexe qu'est cette histoire. Certaines faces, rouge sang, ont trait à la guerre de Tchétchénie au milieu des années 90, à la vie dans ce Caucase Nord, à l'irruption de la guerre, aux exactions commises par les russes, aux tortures endurées par les civils. D'autres faces, rouge sombre, racontent l'histoire de la Russie, notamment lors de la Pérestroïka de Gorbatchev. le roman n'est pas manichéen et nous arrivons à comprendre, par ce point de vue chez l'ennemi, les conséquences dramatiques pour le peuple russe de l'escalade guerrière de ses propres hommes politiques. D'autres faces, davantage pastels, mettent en lumière avec beaucoup de douceur et de beauté la mélancolie des déracinés, « toujours un peu décalés, un peu en avance ou un peu en retard, ils n'arrivaient jamais à se fondre dans la masse pour ne plus se faire remarquer, jamais ». Certaines facettes dans les tons de vert nous présentent les superbes paysages montagneux de la Tchétchénie.

Quelques chapitres enfin, aussi lumineux que tragiques, faces blanches et noires de notre casse-tête, les faces clés autour desquelles tournoient toutes les autres, racontent l'histoire de cette jeune Tchétchène, Nura, libre, fière et belle, et de sa rencontre avec Malisch, soldat russe, enrôlé dans l'armée non par conviction mais par désespoir amoureux. Malish va être témoin des violences commises par ses camarades d'armée sur Nura. Violée puis tuée, quelle est la part de responsabilité de Malish dans ce drame ? Il en sortira détruit et sa destinée en sera complètement transformée.

Les multiples chapitre alternés vont permettre peu à peu de comprendre et de résoudre ce rubik's cube. Tout va finir par s'imbriquer, par s'aligner. du grand art.

Nino Haratischwili nous fait part à travers cet écrit du thème complexe de la culpabilité, de la responsabilité, de la vengeance et du pardon. Elle exprime également ses prises de position féministes à travers le portrait de Nura, femme indépendante, forte, en rupture avec le milieu dans lequel elle évolue, qui n'aspire qu'à vivre pour elle-même et pour ses idéaux. Elle exprime son dégout pour la guerre et pour le socialisme; sa méfiance envers les hommes. Elle raconte avec émotion le déracinement et ses conséquences. Mais avant tout, sa plume permet de mettre en lumière tout un pan de l'histoire de l'Europe contemporaine afin de ne pas oublier certaines tragédies. le tout capté au moyen d'une belle écriture ciselée, fluide et riche qui enveloppe évènements et personnages avec précision et poésie. La vision de l'auteure sur notre monde occidental pointe par moment, avec ironie et amertume :

« Il regrettait qu'elle n'ait pas gardé en elle le socialisme de son enfance. Elle l'écoutait en se disant que c'était vraiment dommage qu'il n'ait pas vécu quelques mois dans les ruines du soviétisme réel, privé de chauffage et d'électricité, sans ses festivals de musique, ses chichas et ses burgers adorés. Elle l'imaginait en train de mâcher des chewing-gums à la résine au lieu de Toffifee pour doper sa glycémie après avoir fumé. En train de franchir trois barrages sous surveillance militaire, des colonnes de chars et une armée de kalachnikovs pour aller voir ses amis. »

Est-il possible d'être l'ennemi, l'envahisseur, tout en parvenant à ne pas se salir les mains, tout en gardant sa part d'humanité ? Comment peut-on réparer l'impardonnable ? « Est-ce que faire des choses inhumaines n'est pas ce qu'il y a de plus humain ? ». Quelle est la part de responsabilité de tout un chacun dans les exactions commises d'un pays contre un autre pays ? La vengeance permet-elle d'apaiser sa conscience ? Ce livre nous offre de magnifiques réponses, sans manichéisme, tout en nuances, nous présente quelques clés avec lesquelles méditer en cette rentrée littéraire !


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Nura vit avec sa famille dans la vallée tchétchène de l'Argoun. Nura aime ses montagnes mais rêve de liberté, aussi en cette année 1994 pour financer son voyage vers d'autres cieux, elle vend ses poulets à deux jeunes militaires russes. Des soldats et leur colonel qui après l'enfer des combats de Grozny ont été transférés dans cette zone hors combats. Mais si le calme du lieu apaise les soldats Malich et Aliocha, il n'a aucune incidence sur la paranoïa de leur colonel alcoolique Chouïev et de l'officier Petruchov, qui les conduit à perpétrer un crime aussi gratuit que terrible sur Nura. Un crime resté impuni que Malich n'aura de cesse d'expier, même quand il sera devenu un oligarque riche et puissant.

Pour la géorgienne auteure et metteur en scène de théâtre Nino Haratischwili un drame antique qu'on pourrait penser sorti de son imaginaire. Or il n'en est rien puisque l'histoire du colonel est bien réelle — l'auteure a raconté sur RFI l'avoir lue dans un livre d'Anna Politkovskaïa, la journaliste russe, chroniqueuse pour le journal Novaya Gazeta, qui a beaucoup écrit sur le conflit armé en Tchétchénie, assassinée à Moscou, le 7 octobre 2006 — c'est celle de l'ancien colonel Yuri Boudanov, un participant à l'opération militaire en Tchétchénie, condamné en 2003 en Russie à 10 ans de prison pour l'enlèvement et le meurtre d'Elza Koungaeva, une Tchétchène de 18 ans.

Inspiré de ce fait réel, un roman marquant pas toujours aisé à lire, où l'on se perd parfois parmi les époques, les lieux et les personnages, qui mérite qu'on s'y attelle. D'abord pour ce qu'il dit de ce qu'il advint dans cette partie du monde après la fin de l'URSS, et pour évidemment ses résonances avec la guerre actuelle initiée par le chef du Kremlin en Ukraine. Mais pas seulement. Nino Haratischwili montre à quel point pour les hommes la culpabilité ne s'efface pas avec le temps, rendant la rédemption presqu'impossible. Elle montre aussi, et cela me paraît essentiel, comment les conflits armés les façonnent en bien comme en mal, et qu'on aurait tort de penser que d'un côté il y a les bons et de l'autre les méchants...
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Merci à NetGalley et aux éditions Belfond pour cette lecture.
Shapiro aborde Chat pour lui demander de tourner un film, au prix qu'elle exigera. Elle se méfie de la proposition, trop belle pour qu'elle ne comporte pas risques et dangers. Elle refuse, jusqu'à ce qu'Onno Bender intervienne en lui remettant la photo d'une jeune fille qui lui ressemble comme une soeur.
Coup de coeur pour ce livre qui décrit longuement ses personnages tout en maintenant le suspense. Les thèmes sont nombreux, vengeance, rédemption, peur, lâcheté, pouvoir, exil. Ils sont portés par chacun des personnages.
Les lieux (Berlin, un village de Tchétchénie) et les circonstances sont explicites et je n'ai jamais été perdue.
La structure est en forme de puzzle, mais l'auteur prend suffisamment de temps pour que le lecteur puisse emboîter les morceaux les uns avec les autres.
À lire absolument

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Le chat, le général et la corneille, le titre ressemble étrangement à une fable et ce pourrait en être une, mais très vite on s'aperçoit qu'il s'agit d'un autre voyage.
Ce sont en vérité trois personnages plongés dans la nasse d'une histoire aux méandres insoupçonnés.
Trois personnages aux destins entremêlés malgré eux, trois personnages en quête de sens, dépassés par les événements qui les emportent dans le même mouvement, dont les trajectoires vont se croiser, se percuter.
Elle s'appelle Sesili, mais on la surnomme Chat en raison de son agilité, c'est une actrice de théâtre en mal de rôle, hantée par le déracinement ainsi qu'un drame familial ancien. Lui c'est Alexander Orlov puissant et richissime oligarque russe sans foi ni loi, que tout le monde appelle le Général, lui aussi est hanté par son passé, un terrible secret s'y noue encore, tandis qu'il ne parvient toujours pas à se remettre de la mort de sa fille adorée Ada. Enfin, il y a Onno Brender, mystérieux journaliste allemand, dit la Corneille, rongé par le deuil et la culpabilité, cherchant à éclairer les zones d'ombres qui se cachent derrière les guerres de l'Europe de l'Est, et plus particulièrement celle qui a sévi plusieurs années auparavant en Tchétchénie...
Qu'ont-ils en commun ces trois-là qui ne seraient jamais rencontrés, sinon... sinon la tragédie d'un passé qui les anime et les fait porter cette histoire à bout de bras ? Ils deviennent des ponts, des miroirs au-dessus de l'abîme du passé.
Nous oscillons entre deux périodes, 1994 tout d'abord puis vingt ans plus tard, sur des morceaux de territoires à la dérive qui nous mènent des montagnes du Caucase jusqu'en Géorgie en passant par le Maroc. Moscou, Grozny, Tbilissi, Berlin, Venise, Marrakech... Quels points communs entre toutes ses villes ? Rien d'une balade touristique, je vous assure...
Le récit s'étend comme une déflagration dont l'écho n'en finirait pas de résonner dans un tunnel infini et douloureux.
Sur fond de Perestroïka qui allait faire exploser le bloc soviétique, où une partie de l'Europe de l'Est allait vaciller entre désir de liberté et corruption, ce roman porte un souffle romanesque époustouflant. La culpabilité, la vengeance, la rédemption sont les itinéraires de cette histoire.
1994, des troupes russes se déploient en république de Tchétchénie pour combattre les séparatistes tchétchène. Les soldats sont à cran dans un conflit qui s'enlise, tandis que la population civile vit sous le régime de la terreur, de la torture et des viols. C'est là-bas dans un village musulman, au fond d'une grange qu'une tragédie effroyable va s'accomplir, au nom des nécessités de la guerre, au nom de la sauvegarde de la nation russe, au nom de la barbarie qui transforme des soldats en bêtes immondes...
Au coeur du récit, le souvenir de Nura, jeune fille tchétchène, belle et fière, se faufile inexorablement parmi les pages de ce livre, éprises de lumières et de douleurs. Que s'est-il réellement passé durant cette nuit tragique de décembre 1994, au fond de cette grange ?
Nous côtoyons les visages des morts et parfois même ceux des vivants qui auraient voulu être morts. Peut-on chasser les morts de son esprit, comme on écarte d'un geste agacé des insectes à l'agonie pris dans le faisceau de la nuit ?
Ce roman dense prend le temps d'installer le décor, les protagonistes comme dans une scène de théâtre ou le metteur en scène placerait un à un les différents acteurs avant de lancer le clap de départ.
Roman des contrastes et des passions, la lumière épurée qui descend des montagnes caucasiennes est belle sur les pages violentes qui se déplient devant nous, elle se faufile parmi les carcasses de voitures déchiquetées où venir faire l'amour à la sauvette ressemble à une forme de dissidence...
Loin d'être manichéen, ce roman polyphonique construit les personnages avec nuance et subtilité. Ce sont des personnages complexes, traversés de failles, d'incertitudes et de remords, qui se perdent eux-mêmes dans les dédales de leur destin. Malgré la part d'ombres de certains d'entre eux, ils ont quelque chose de fascinant
Ce livre vient nous rappeler qu'à deux pas de chez nous, un pan de l'Europe s'est soustrait dans les années quatre-vingt-dix du joug soviétique sans pour autant s'affranchir du poids des injustices, la décadence économique, la corruption et des violences. J'ai été particulièrement sensible à ce sujet qui porte la trame de fond de ce récit puisque ma belle-famille est ukrainienne.
Et puis, comment ne pas porter un regard sans concession sur notre propre histoire de France... ? Les viols, les tortures, les villages saccagés, les maisons brûlés, là-bas, durant la guerre d'Algérie... Comment cela est-il aujourd'hui porté dans le ventre, dans le coeur de certains hommes vieillissants qui furent de jeunes soldats, mais parfois aussi des bêtes immondes... ? Ceux-là ont-ils été traqués sous le faisceau des questions de leurs enfants, comme la jeune Ada questionnant inlassablement son père, Alexander Orlov, dit le Général... ?
Le roman s'achève sur un coup de théâtre qui nous sidère, mais en pouvait-il être autrement ?
Les chronique de Chrystèle et de Sandrine m'ont convaincu sans difficulté d'aller vers ce roman qui a été pour moi un véritable coup de coeur. Je les en remercie.
J'ai rencontré ici Nino Haratischwili, une auteure talentueuse née en Géorgie et aujourd'hui installée en Allemagne, dont l'itinéraire n'est pas sans évoquer celui d'un des personnages du livre : Chat... L'écriture, sublimée par la traduction, en est pour beaucoup dans cette magnifique rencontre.
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Avec un titre digne d'un Conte on pourrait penser ce livre dans la même veine mais c'est loin d'être le cas !

Une jeune comédienne talentueuse, surnommée Chat ; un oligarque russe sans scrupule, le Général et un journaliste allemand sur le déclin, la Corneille, vont se croiser et cheminer ensemble jusqu'à la fin !

Le roman commence en Tchétchénie en 1994 en compagnie de Nura une jeune fille pleine de vie qui rêve d'indépendance, de voyage, de liberté au sein d'une société rurale profondément croyante et patriarcale.

L'auteure prend le temps de décrire ses personnages, leur vie, leurs pensées et leurs désirs et ce sur 20 ans pour les deux hommes. Cette partie qui aurait pu paraître longue a en fait suscité ma curiosité et a déroulé petit à petit le chemin qui mène à la compréhension !

Nous plongeons régulièrement dans la Russie post-URSS et dans la Tchétchénie en guerre, cette période qui va transformer des hommes en monstres et gâcher tant de vies. Petit à petit des personnalités se dévoilent et Nino Haratischwili a su jouer de ce registre pour nous laisser dans le flou et le questionnement jusqu'à l'époque actuelle.

Toute une gamme d'émotions parcourt ce livre, de la haine à la culpabilité, en passant par l'amour et l'indifférence ! Il est impossible de deviner où toutes ces histoires nous mènent et le suspense est présent jusqu'à la dernière page !

Je ne dirais pas un beau livre, le thème le permet difficilement, mais un grand livre, qui ne fait pas que raconter une histoire mais est aussi un témoignage d'une période !

#NinoHaratischwili #NetGalleyFrance #rentreelitteraire2021

Challenge MAUVAIS GENRE 2021
Challenges PAVES 2021
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J'avais choisi ce gros roman dans ma médiathèque préférée en pensant au mois « les feuilles allemandes » de Patrice et Eva. Mais le choc incroyable que m'a procuré ce livre, est tel que je veux partager avec vous au plus vite cette lecture. Saurais-je rendre toutes la variété des émotions par lesquelles je suis passée en lisant ce roman ?
Cette auteure est d'origine géorgienne et est, d'après la quatrième de couverture, déjà très connue en Allemagne. le roman commence par l'évocation de la vie dans une région montagneuse en Tchétchénie, avant les deux guerres qui ont détruit à jamais cette région qui n'a pas pu devenir un pays indépendant. En 1999 une jeune fille Nura, cherche à s'extraire de traditions qui l'étouffent, elle décide de fuir son pays et pour cela doit réunir de l'argent. Les pages du prologue qui lui sont consacrées nous permettent de connaître un peu mieux cette superbe région montagneuse et isolée aux moeurs assez rudes très influencées par la religion musulmane et les lois claniques de l'honneur. Nous allons repartir en 1995 avec un jeune Russe qui est élevé par une femme veuve de guerre. Son père officier de l'armée soviétique a été tué en Afghanistan, son fils est élevé dans le souvenir de la gloire du grand héros. Il ne se sent nullement l'âme d'un soldat malgré la volonté de sa mère, lui, il aime la littérature et les doux baisers de Sonia. Ce personnage nous permet de découvrir la vie d'un jeune sous l'ère Brejnev et entre autre, la division très forte entre les classes sociales qui se dissimule sous une égalité de façade. Sa mère et lui appartiennent à la classe des dirigeants communistes avec tous les privilèges qui vont avec dont un niveau culturel très élevé. Sonia est une enfant qui grandit dans l'immeuble d'en face, immeuble occupé par des gens pauvres qui se débrouillent pour survivre, et qui sont violents et le plus souvent délinquants.

Ensuite nous serons en 2016 avec des personnages qui vont se croiser à Berlin, le Chat est le surnom d'une jeune actrice d'origine géorgienne (comme l'auteure), grâce à elle nous découvrirons la vie des exilés venant des anciennes républiques soviétiques et vivant à Berlin. C'est passionnant, j'ai rarement lu des pages qui racontent aussi bien la nostalgie du pays que les exilés ont dû fuir. Puis nous découvrirons la Corneille qui est un ancien journaliste allemand et qui semble fuir un passé très lourd. Enfin le personnage appelé le Général, celui qui tire les ficelles de toute cette histoire .

Nous retournerons en Tchtchénie car c'est bien là que l'intrigue de cet incroyable roman se noue. L'auteure décrit la conduite de l'armée soviétique, certaines scènes sont absolument insoutenables, en particulier celle qui sera le coeur du roman et amènera le dramatique dénouement.
Je ne veux pas vous en dire plus car cette écrivaine de très grand talent sait mêler les différents fils de l'intrigue et la découverte peu à peu des différents périodes de la décomposition de l'ancien régime soviétique et ce qui s'est passé dans les anciennes républiques. Depuis ma lecture de Svetlana Alexievitch je sais que l'armée soviétique est une horreur pas seulement pour ses ennemis mais aussi par sa façon de traiter ses propres soldats. La destruction des familles en particulier des pères à cause de ce qu'ils ont vécu pendant la guerre est un des fils conducteur de ce roman.

La misère du peuple russe et l'enrichissement d'une petite poignée d'hommes qui ont su mettre la main basse sur les oripeaux du régime soviétique est très bien raconté, ainsi que celle de la montée en puissance de truands capables de toutes les atrocités que l'on peut imaginer et même pire !

Enfin ce livre nous pose le problème de notre bonne conscience, c'est si facile lorsque nous n'avons pas eu à nous confronter à une guerre civile, à la faim, à la peur. le confort d'une vie sans soucis peut nous rendre si facilement intransigeants et si sûrs de nos principes moraux.

Le souffle qui parcourt tout ce roman nous entraine sans nous laisser une minute de répit, Nino Haratischwili donne à tous ses personnages une profondeur et une complexité qui correspond aux lieux dans lesquels ils évoluent, pour une fois je comprends et j'accepte que cela ne puisse s'exprimer que dans un pavé de six cent pages que j'ai avalé d'une traite. le long désespoir dans lequel elle nous fait entrer nous oblige à nous souvenir de l'indifférence avec laquelle nous avons entendu parler de guerres qui se déroulaient dans des pays que nous imaginions si loin de nous. Les chars de Poutine ont de nouveau envahi un pays de l'ex-union soviétique, j'imagine que tous les exilés qui ont connu les méfaits de cette armée doivent suivre avec rage et fatalisme le renouveau de la fierté du grand frère russe.

Je trouve que ce roman (bien qu'écrit par une auteure allemande) a sa place dans « le mois de l ‘ Europe de l'Est » initié par Patrice Eva et Goran
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🗺 Vous savez placer la Tchétchénie sur une carte ?
Pour être honnête, moi, je ne savais pas.

Mais, sans une once d'hésitation, les yeux fermés, (ok, pas tout à fait, je n'ai pas encore trouvé comment lire les yeux fermés), j'ai laissé Nino m'y embarquer.
Après avoir lu son premier livre, elle avait en effet toute ma confiance.
Vous me direz, un livre, c'est tout de même peu.
Si vous avez lu la Huitième vie, vous comprenez sans doute pourquoi.
Si vous ne l'avez pas lu, lisez-le.
Ou pas.
Vous faites bien ce que vous voulez.

Comme à son habitude,
(Avec seulement 2 livres, parler d'habitude est peut-être un peu exagéré, je vous l'accorde. Mais comme le total de ses 2 livres font 2000 pages, en définitive, c'est comme si j'avais lu 10 livres de 200 pages. CQFD. Je suis ingénieure, je vous l'ai déjà dit ?)
Bref, comme à son habitude, je disais,
elle ne m'a pas ménagé.

Et pour autant, son livre a une indéniable beauté.
Comme un conte.
Un conte qui parle de crime de guerre pendant les guerres de Tchétchénie, certes.
Mais un conte qui, en alternant passé et présent, nous fait voyager de Berlin, à Mouscou, à Grozny, à Tbilissi, et même Venise.
Je ne vous dirai pas qui se cache derrière les 3 protagonistes aux surnoms un peu farfelus.
Je vous dirai seulement qu'ils sont plus vrais que nature.
Je sais qu'ils n'ont pas existé, et pourtant, j'ai du mal y croire.

🗺 La Tchétchénie possède maintenant pour moi des visages, une histoire, ce n'est plus seulement une terre martyre comme on la qualifie souvent.
Même si je ne sais toujours pas la placer sur une carte.
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Bombe littéraire. Bouleversant. Magnifique. Phénoménal. Bref, j'ai adoré !

Trois personnages que rien n'auraient du réunir (ou presque). Trois destins liés par un événement : le décès tragique de Nura, cette jeune Tchétchène en 1994.

20 ans plus tard, le Général se souvient de cette nuit où sa vie a basculé. Les coupables n'ont jamais pu être condamnés et la mémoire de Nura n'a pu être honorée. Il décide alors de réunir les protagonistes. Pour ça, il a besoin du Chat, Sessili, qui ressemble à s'y méprendre à Nura, et de la Corneille, ce journaliste tenace qui tente de découvrir ce qui s'est passé cette nuit de décembre, dans ce petit village russe.

Comme une couturière, Nino Haratischwili découd le fil du récit, et distille tout au long des indices qui permettent au lecteur de comprendre les événements et d'apprécier les personnalités des personnages. Si le récit est dense c'est pour mieux s'imprégner de cette histoire et de cette ambiance particulière, froide et hostile. Derrière les actes cruels d'hommes pris au piège d'une guerre qui les dépasse, il y a la peur, les regrets et les remords. Comment soulager leur conscience ? Comment rendre justice à ces victimes? Et comment éviter que ces actes ne fassent d'autres victimes par ricochet ?

C'est un roman brillant dans lequel tout prend un sens. Chaque détail donne un éclairage. Je n'ai pas pu le lâcher, je me suis levée plus tôt pour continuer ma lecture et retrouver ces personnages et le style de NH. J'étais comme hypnotisée. Et cette fin : Wahou !

Bref, mon premier roman de la rentrée littéraire et ça part fort, très fort ! Un véritable coup de coeur qui me marquera un moment !

Il sort aujourd'hui. Alors foncez en librairie !

Traduction : Rose Labourie

Un grand merci aux éditions Belfond et à Babelio pour l'envoi de ce roman exceptionnel !
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