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EAN : 9782330181864
144 pages
Actes Sud (23/08/2023)
3.82/5   138 notes
Résumé :
Kaoutar Harchi mène dans ce livre une enquête autobiographique pour saisir, retranscrire au plus près cet état d'éveil, de peur et d 'excitation provoqué, dit-elle, " par la découverte que nous - jeunes filles et jeunes garçons identifiés comme musulmans, que nous le soyons ou pas d'ailleurs - étions perçus à l'aube des années 2000 par un ensemble d'hommes et de femmes comme un problème."
Un livre où l'amour filial et l'éveil de la conscience politique s'ent... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (31) Voir plus Ajouter une critique
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L'auteure prend un risque en livrant une part d'elle-même, de son enfance, son adolescence, ses souvenirs. Une manière d'exorciser ses démons, pour ainsi se libérer de la souffrance face au racisme qu'elle a vécu. Une blessure qu'elle avait gardée en elle depuis plusieurs années.
Comme nous existons n'est pas un simple roman, Kaoutar Harchi,, à travers ce récit intimiste, se livre à plusieurs confidences sur son statut de fille d'immigrés en évoquant ses parents et les espoirs d'ascension sociale qu'ils nourrissent pour elle et à travers elle.
Elle retrace ses années d'apprentissage, confrontée à la violence verbale, à la recherche d'une place dans ce monde qui lui permette d'être elle-même, sans toujours être confrontée à son statut de fille d'immigrés. Tout en usant de belles phrases, pour évoquer ses parents, sa mère notamment, avec beaucoup d'amour, de respect, de pudeur, en continuelle recherche de l'approbation parental, en égrenant des souvenirs, qui mettent en lumière les blessures, les peines enfouies. 
Un passage du livre est particulièrement émouvant, et reflète parfaitement le mal-être ressenti par l'auteure, mais surtout la vulnérabilité de l'enfance. 
C'est au collège (catholique), qu'elle découvre de belles jeunes filles blondes, gracieuses, aux yeux bleus. En expliquant qu'elle ne s'est jamais sentie aussi laide et gauche. Les moqueries et les méchancetés de ces filles ramèneront l'auteure à ses origines maghrébines. Une violence qui laissera des traces, des morsures et dont elle ne comprendra toute la profondeur que des années plus tard.
Sa découverte de la sociologie lui ouvrira la voie des possibles et lui permettra non pas de s'affranchir de l'immigration, mais de comprendre l'impact qu'elle a eu sur elle, sur ses parents et les immigrés d'une manière générale.
C'est à travers l'écriture, que Kaoutar Harchi, devient la porte-parole des enfants de l'immigration post coloniale, mais surtout, c'est à travers elle que sa parole devient politique, largement revendiquée par certains passages et propos notamment sur la conscience des immigrés d'être dominés, d'accepter cette domination, pour permettre à leurs enfants de s'élever.
C'est une plongée dans les méandres de la vie de Kaoutar Harchi où sa plume devient l'étendard bouleversant, des immigrés issus du colonialisme face au racisme endémique de notre société, par laquelle elle évoque, les révoltes des banlieues de 2005, de son passage à l'âge adulte et de son éveil à la politique… Mais surtout, tout l'amour qu'elle porte à ses parents.
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Merci à Babelio et à Actes Sud pour l'envoi de ce livre dans le cadre d'une Masse Critique.
Comme nous existons est un récit autobiographique qui retrace le cheminement intellectuel et politique de l'auteure Kaoutar Harchi.
Celle-ci est née en 1987 dans l'Est de la France. Elle est une enfant de l'immigration.
Ses parents Hania et Mohamed, Marocain, sont venus s'installer dans la ville de S dans l'Est de la France.
Par ce récit, Kaoutar Harchi nous plonge dans la réalité de son enfance, de sa jeunesse au sein de cette famille à la double appartenance marocaine et française.
Le parcours personnel de cette famille nous montre la violence sociale et politique mais aussi la réalité de ces familles déchirées entre deux cultures.
C'est un récit nécessaire, vital.
Il faut savoir lire et entendre les mots postcolonial, race blanche.
Il faut entendre et comprendre cette filiation entre Hania-Mohamed et Kaoutar. Hania et Mohamed donnent tout pour Kaoutar jusqu'à l'inscrire dans une école catholique afin de la soustraire au danger. Cette école, dont un professeur la traitera de " m'a petite arabe "
Pour l'auteure c'est un monde de rapport de classe de race qui marque les existences. Dans cette difficulté à trouver une place qui respecte sa culture et ce pays d'adoption, elle n'oubliera jamais ses parents.
Les dernières lignes de ce récit :
"Ce jour là une photographie aurait dû être prise qui aurait exprimé, à elle seule, bien plus que tout ce que j'écris ici en toute sincérité. Vous me verriez alors debout sur le pas-de-porte de l'appartement parental, un sac sur le dos, une valise neuve à la main. Et vous verriez Hania, se tenant sur le seuil de sa cuisine, légèrement penchée vers l'avant, les mains plongées dans son tablier, et Mohamed, sur le seuil de son salon, les mains dans le dos, très droit, la tête haute. Je le redis: une photographie aurait dû être prise pour fixer, ne jamais perdre cette scène de notre existence. Ce tableau. "
Et puis cette langue littéraire que nous donne Kaoutar Harchi. Un plaisir de lecture.
En cette période de " zemmourisation des esprits " ce livre est salutaire.

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Ah ! ces arabes ! cataloguent-ils. Ce livre intime et fort, court et joliment écrit, qui alterne et vient nous dépeindre du quotidien, pas toujours facile, que nous ne pouvons pas comprendre, nous, blanc-becs. Ces actes et ces paroles des autres, pourtant jamais "obligés", pas toujours sciemment, qui pourtant forgent, à force, un caractère, qui limitent, qui emprisonnent. Des anecdotes sans patos ni récrimination, simplement ; quelques colères quand même. Et, en même temps, du quotidien qui est si peu différent du mien, de chacun de nous. Différence qui n'existe pourtant pas vraiment : comme cette "dernière vaisselle" à faire avant de partir en vacance. Pareil. Et tant d'autres. Et surtout, cette mère et ce père qui s'aiment follement, de presque rien, leur fille étant le témoin tendre de leur relation pleine. Chacun protégeant l'autre. Voilà comment nous existons.
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Itinéraire d'une enfant d'immigrés.


Après ses excellents romans comme « A l'origine du père obscure » et le plus noir « L'ampleur du saccage », l'auteure a pris un risque en se racontant, en livrant à ses lectrices et lecteurs une part d'elle-même, sur son enfance et son adolescence, sur ses souvenirs.
Elle avait sûrement ses propres raisons de le faire, pour pouvoir se libérer ainsi de la souffrance engendrée par le racisme qu'elle a vécu. Une blessure qu'elle avait gardée en elle depuis plusieurs années.


Même si j'ai ressenti le récit avec un parfum de révolte sur certains évènements passés et de désapprobation parfois du système actuel français, il n'est jamais larmoyant.
L'auteure a toujours cette élégance dans l'écriture, qui donne une grande pudeur à son autobiographie.
Oui, Kaoutar écrit merveilleusement bien. Et ses réflexions sociologiques et philosophiques sont toujours aussi pertinentes. En levant un pan de voile sur sa personne, l'auteure raconte ce que fut son enfance en tant que fille de marocains et l'expérience vécue chez « les anciens colonisateurs ».
Le lecteur que je suis, découvre la jeune fille qu'elle fut, la jeune femme qu'elle voulait être, qui s'est sentie parfois étrangère et différente dans ce pays qui est le nôtre.
Le récit comporte aussi quelques révélations étonnantes et poignantes parfois sur son auteure.


Lorsque Kaoutar raconte ses frustrations vécues, elle me renvoie avec force, aux écrits que maman m'a laissés, il y a de vingt cinq ans plus tôt.
Maman est fille d'immigrés italiens. Dans son école et surtout dans le lycée qui la préparait à devenir enseignante, elle s'est retrouvée avec des filles et fils « à papa », bien français. Elle a subi les mêmes humiliations que l'auteure. Nous étions à une autre époque, en 1950.
Mêmes insultes et les mêmes abaissements.
La société française a changé dans son mode de vie et dans ses aspirations, mais la méchanceté, l'ignorance et l'intolérance restent elles, intemporelles.


Il y a un passage dans ce livre, qui m'a particulièrement ému. C'est celui où l'auteure, âgée de six/sep ans, prend le bus pour aller à l'école primaire (une école catholique), où ses parents l'ont « placée ». Elle y découvre un autre univers, peuplé que de belles jeunes filles blondes aux yeux bleus. L'auteure est même fascinée par leur grâce, leur beauté blonde naturelle et la transparence de leurs yeux.
Kaoutar écrit qu'elle ne s'est jamais sentie aussi moche et gauche à l'époque.


Les moqueries et les petites méchancetés de ces petites filles ramèneront très brutalement l'auteure à ses propres origines de fille de maghrébins. Une jeune fille qui restera longtemps enfermée dans « la case » beaucoup trop brune et beaucoup trop arabe.
Des instants où elle s'est sentie seule et vulnérable. Une violence qui lui laissera des morsures et dont l'auteure en comprendra toute la profondeur avec le recul.


Mais le livre est avant tout pour moi, cette immense et bouleversante « Ode à l'amour » que Kaoutar Harchi, la fille unique a écrit pour Hania et Mohamed, ses parents.
*


Merci chère Kaoutar, de m'avoir permis de vous rencontrer une seconde fois, à « Livres dans la boucle » ce dimanche, à Besançon.
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Harchi Kaoutar (1987-) - "Comme nous existons : récit" – Actes Sud / Babel, 2021 (ISBN 978-2-330-18186-4)

Un livre pour le moins paradoxal, avec un côté fort médiocre et décevant, et un autre fort positif.
Commençons par le côté décevant.
L'auteur décrit son propre parcours : fille d'immigrés pauvres d'origine marocaine habitant à Strasbourg dans le quartier de l'Elsau (que je connais personnellement), elle a bénéficié pleinement de ce qui fut "l'ascenseur social républicain" incarné en France par le système scolaire. Ses parents acceptant de lourds sacrifices, elle put fréquenter un collège coté, catholique, dit "privé" (en fait, sous contrat d'association avec l'Etat, ce qui relativise beaucoup ce statut privé). Si je comprends bien les diverses allusions, il s'agirait du collège et lycée Saint-Étienne d'obédience papiste – rival à Strasbourg du "Gymnase Jean Sturm" d'obédience parpaillote et du lycée Fustel de Coulanges de l'Education Nationale, sans oublier l'Ecole Akiba de création plus récente (le Lycée des Pontonniers de la tant égalitariste Education Nationale étant carrément une chasse soigneusement gardée).
Bien évidemment, ce parcours hors norme ne s'est pas fait sans quelques grincements, la population scolaire de ce collège-lycée se composant surtout d'enfants des catégories CSP++. Reste néanmoins que cet établissement taxé d'élitisme pratique des tarifs différenciés qui ont précisément permis aux parents, bien que pauvres, d'y inscrire leur enfant. D'autres institutions – comme la bibliothèque municipale de la rue Kuhn, elle aussi ouverte à toutes et tous – ont facilité cet accès à un parcours scolaire de très bon niveau, parcours qui permet aujourd'hui à Kaoutar Harchi de disposer d'un capital culturel et intellectuel de haut niveau.

Elle n'évoque aucunement cet aspect dont l'examen serait pourtant stimulant, et préfère ne retenir (dixit la quatrième de couverture) qu'une posture "intersectionnelle" dénonçant "les rapports de pouvoir de classe, de genre et de race". C'est là une omission étonnante de la part d'une personne aussi brillante, présentée comme "chercheuse en sociologie" : à ce titre, elle devrait en effet mettre en oeuvre des perspectives autres que purement individuelles si ce n'est nombrilistes.

Autre lacune étonnante : elle n'évoque jamais le statut particulier que la population alsacienne entretenait encore dans les années ici évoquées avec la "France de l'intérieur" – encore fortement marquée dans les générations antérieures, l'identité alsacienne a aujourd'hui été balayée par la standardisation bobo-parisienne massive – mais celle de ses parents fut encore en contact direct avec cette mise au pas culturelle (marquée par la destruction systématiquement menée des dialectes germaniques alémanique et francique), dont on pouvait attendre d'une si prestigieuse sociologue qu'elle tire des parallèles stimulants.

Dans la posture a-historique typique de la sociologie, elle ne dispose pas non plus du recul historique qui lui permettrait de suivre depuis l'après Seconde Guerre Mondiale les déracinements sociaux et géographiques tectoniques qui firent de l'écrasante majorité de la population française "gauloise de souche" ou d'origine européenne (italiens, polonais, portugais etc) une population connaissant un déracinement parallèle voire semblable à celui subit par les immigrés maghrébins.
Pour ne prendre que la population d'origine "gauloise", ces années se caractérisent par exemple par la disparition de la plus grande partie du monde rural agricole, de celui de la boutique, du petit commerce et des marchés, de l'artisanat etc... Sans oublier que l'ascenseur social qui fonctionne alors à plein régime porte de fortes atteintes aux liens familiaux, dont un reclassement sociologique drastique (la plupart des enfants connaissent un parcours professionnel hors du secteur de leurs parents).
Les destructions massives – sciemment organisées par l'élite parisienne tertiaire parasitaire (pléonasme) –, de l'industrie lourde (textile du Nord, sidérurgie Lorraine etc) contribuent elles aussi à des changements sociologiques majeurs, menant entre autre à l'hyper urbanisation crétinisante dont la région parisienne fournit aujourd'hui un exemple consternant. En dépassant la posture nombriliste victimaire, il y a vraiment de quoi dégager au moins des analogies frappantes. Mais bon, la sociologie à la mode Paris III Sorbonne Nouvelle (catastrophe universitaire) ne permet probablement pas d'élargir autant ses horizons.

Comme de nombreux auteurs traitant de l'immigration, elle n'évoque pas non plus cette question cruciale concernant les pays d'origine : pourquoi les dirigeants de ces pays organisent-ils massivement l'émigration de leur jeunesse, privant leur pays d'éléments aussi brillants, qui contribueraient efficacement à leur développement ?

Quant aux quelques paragraphes consacrés à ces bien braves garçons "issus de l'immigration", délinquants sempiternellement innocents, ayons la bonté de les oublier : on ne compte plus le nombre d'assassinats de gamins de plus en plus jeunes coincés dans le trafic de drogue, dont les médias et les démagogues se servent pour faire oublier que l'écrasante majorité des gamins d'origine maghrébine finissent peu ou prou par trouver une place dans notre société, ne serait-ce que dans l'armée, la police ou la gendarmerie (oh!)...

Oublions donc ces lacunes, car ce témoignage s'avère précieux pour au moins deux excellentes raisons.
Je retiens tout d'abord cet excellentissime mise en oeuvre (au sens le plus vrai) de la langue française : Kaoutar Harchi l'utilise avec une virtuosité dont bien peu de locuteurs "gaulois de souche" sont aujourd'hui capables. La lecture de ce texte est un véritable plaisir littéraire. Ce même auteur a écrit sur ce sujet un livre intitulé "Je n'ai qu'une langue, ce n'est pas la mienne : des écrivains à l'épreuve" que je n'ai pas encore lu mais déjà acquis et figurant en bonne place dans ma "pile à lire prochainement". Autant que je sache, cet essai traite précisément de ces auteurs originaires des anciennes colonies et écrivant en langue française, une catégorie d'auteurs à laquelle je porte une grande attention (cf recensions des textes publiés par Boualem Sansal, Alice Zeniter, Djamel Cherigui, Rachid Santaki, Bibi Naceri, Alain Mabanckou, Azouz Begag, Karim Miské, et tant d'autres).

Pour conclure, je retiens le plus bel aspect de ce texte, à savoir ces lignes lumineuses évoquant ses parents, son père Mohamed et surtout sa mère Hania. Avec son immense talent d'écriture, en se laissant guider par son amour filial, Kaoutar Harchi pourrait sans aucune doute nous créditer d'un texte aussi fondamental que l'est celui de Cavanna évoquant "Les Ritals"...
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critiques presse (1)
LesInrocks
01 septembre 2021
La sociologue et romancière publie son premier texte autobiographique. À travers ce récit sur son enfance et ses parents immigrés marocains, elle dit une initiation sur fond d’inégalités.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
Et jamais je ne sus l’aimer, cette mère, sans cacher au creux de cette dévorante passion une demande de pardon. Inclination née de ce que j’observais chaque jour : cette lutte pour que je sois assurée, rassurée, dans ce monde, d’avoir, quelque part, une place. Une lutte menée en mon nom – c’est pour toi que je fais cela – sans plainte ni regret. Anonyme, cette lutte, tapie dans l’ombre des vies parentales postcoloniales, une lutte dont j’étais à la fois l’objet, le sujet et le témoin.
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J’aurais voulu lui parler, lui dire que ces garçons, je les côtoyais, je jouais avec eux, je les aimais bien. Lui dire, aussi, que ce que conseillaient ces gens – m’éloigner de mon monde et des miens – trahissait, au vrai, la haine. Leur haine. Leur haine des garçons arabes, des arabes tout court, et que c’était de ces gens qu’il fallait se méfier. Au fond d’elle, je sais que Hania le savait. Jamais, au vrai, elle n’avait été dupe de ces gens qui, parlant des nôtres – ne laissez pas votre fille fréquenter ces jeunes –, nous révélaient, sans le vouloir ni même le savoir, ce qu’ils pensaient de nous. Mais je vous l’ai dit : Hania avait peur. Je le comprenais à ses yeux qui s’allumaient et s’éteignaient en un même regard. Telle était son expérience de mère arabe, dans ce pays. Une expérience de la peur, et cela d’autant plus fortement à l’approche de moments où une décision relative à mon avenir devait être prise.
p. 28
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Ce que me faisait Khadija, à cette période-là, j'avais onze, douze ans, elle m'initiait à ce contre quoi Hania et Mohamed, pour leur bien plus que pour le mien, ne cessaient de me mettre en garde : parler, répondre, lutter. Quelque chose d'une peur d'exister traversait leur existence et guettait la mienne, menaçait de l'imprégner au point de ne plus distinguer la vie de la politesse, la gentillesse de l'obéissance aveugle, l'affirmation de soi de la discrétion. Et je ne peux que trop me souvenir de mon amie qui, elle, protestait à tout-va - dans ce pays, il faut ouvrir la bouche, disait-elle, ou sinon c'en est fini -, vaillante et entêtée qu'elle était, ne reculant devant aucun camarade de classe, aucun adulte, prête, toujours, à jeter ses affaires sur le côté, à se mêler à la bagarre, et peu importe la suite - les réprimandes, les punitions, les exclusions temporaires.
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Ça n'avait pas de valeur. Je veux dire : ce n'était pas de l'argent. Ça n'achetait rien, écrire. C'était inutile et, plus encore, c'était improductif. Car comment prendre le temps d'écrire quand Hania et Mohamed, eux, manquaient de temps pour dormir, manger, se soigner ? Écrire pour écrire était haïssable. Mais écrire pour publier m'apparut d'un tout autre ordre. Cela ouvrait vers un dehors, offrait une issue, cela créait quelque chose. Un objet, un livre, que nous pouvions toucher de nos mains. Un objet réel, tangible, une marchandise déterminée par un prix fixe. Nous pouvions tous y gagner, j'imaginais.
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En lieu et place des enveloppes brunes, durant les derniers mois de cette année de terminale, sur ma table de travail étaient posés, là, maintenues ensemble par une agrafe, les photocopies de quelques pages d’un ouvrage, La Double Absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré du sociologue algérien Abdelmalek Sayad, qua j’avais découvert au hasard de recherches à la bibliothèque municipale. Photocopies froissées que je parcourais du regard, lisant moins les paragraphes de textes que les titres qui les annonçaient : « La faute originelle et le mensonge collectif », « Une relation de domination », « Les torts de l’absent », ou encore « Le poids des mots ».
[…]
Je garde, tapie en moi, cette impression lointaine et proche à la fois que les mots ne suffisent guère à exprimer – mais ceux et celles qui l’ont ressentie, je le sais, me comprendront – , l’impression d’avoir été, à cette époque-là, corps et esprit, prise dans l’excitation des colères et des révoltes qui viennent quand naît cette conviction, toute brûlante, que justice, la justice sous toutes ses formes, pourrait être obtenue par tous ceux et toutes celles qui la réclament. C’est ce souvenir que j’ai, qui ne me quitte pas, un souvenir que j’aime, le souvenir d’avoir été aidée par Abdelmalek Sayad à tuer la honte pour toujours, au point de ne plus éprouver la honte, ni la honte d’avoir eu honte, éprouver simplement l’amour des miens et des miennes au cœur du grand monde qui est, aussi, le nôtre.
Et je le revois, quelques jours plus tard, enthousiaste et joyeuse, m’en allant voir l’un de mes enseignants, une fois tous les élèves partis, et lui tendre les quelques photocopies de l’ouvrage afin qu’il m’en dise davantage à son propos. C’est de la sociologie, me lança-t-il, vous savez, la science qui étudie la société. Et ces mots qui suivirent : après le baccalauréat, vous pourriez vous inscrire en faculté de sciences sociales.
Ces quelques mots, nimbés d’une autorité magique, à peine furent-ils prononcés que déjà je les avais faits miens, y percevant naïvement l’indication d’un chemin, pour ne pas dire d’une issue.
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Vidéo de Kaoutar Harchi
Qui sont les représentants en librairie ? Ces hommes et ces femmes de l'ombre, qui sillonnent les routes de France dans des voitures chargées de livres pour faire le lien entre les maisons d'édition et les librairies ? Elisabeth Segard, journaliste à Livres Hebdo, est allée à leur rencontre pour brosser le portrait robot de l'une des professions les plus discrètes et les plus influentes de la chaîne du livre. Dans la deuxième partie de l'épisode, Lauren Malka nous emmène au coeur de la Goutte d'or, à Paris, pour y découvrir la Régulière, une librairie-café présentée par sa fondatrice Alice et par l'écrivaine Chloé Delaume, au micro de Lauren, comme “une véritable oasis de culture”.Enfin, la clique critique de Livres Hebdo se réunit pour vous parler non seulement de ses coups de coeur de février, mais aussi de ce que ces livres dessinent dans le paysage éditorial de ce début d'année. Entre essais, BD et romans, les genres sont variés : Histoire de Jérusalem, de Vincent Lemire et Christophe Gaultier, publié aux Arènes ; Littérature et révolution, de Joseph Andras et Kaoutar Harchi, publié aux éditions Divergences ; Insula, de Caroline Caugant, publié au Seuil ; Les yeux de Mona, de Thomas Schlesser, publié chez Albin Michel ; Rousse, de Denis Infante, publié chez Tistram ; Abrégé de littérature-molotov, de Macko Dràgàn, publié chez Terres de feu. Un podcast réalisé en partenariat avec les éditions DUNOD, l'éditeur de la transmission de tous les savoirs.Enregistrement : janvier 2024 Réalisation : Lauren Malka Musique originale : Ferdinand Bayard Voix des intertitres : Antoine KerninonProduction : Livres Hebdo
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