Itinéraire d'une enfant d'immigrés.
Après ses excellents romans comme « A l'origine du père obscure » et le plus noir « L'ampleur du saccage », l'auteure a pris un risque en se racontant, en livrant à ses lectrices et lecteurs une part d'elle-même, sur son enfance et son adolescence, sur ses souvenirs.
Elle avait sûrement ses propres raisons de le faire, pour pouvoir se libérer ainsi de la souffrance engendrée par le racisme qu'elle a vécu. Une blessure qu'elle avait gardée en elle depuis plusieurs années.
Même si j'ai ressenti le récit avec un parfum de révolte sur certains évènements passés et de désapprobation parfois du système actuel français, il n'est jamais larmoyant.
L'auteure a toujours cette élégance dans l'écriture, qui donne une grande pudeur à son autobiographie.
Oui, Kaoutar écrit merveilleusement bien. Et ses réflexions sociologiques et philosophiques sont toujours aussi pertinentes. En levant un pan de voile sur sa personne, l'auteure raconte ce que fut son enfance en tant que fille de marocains et l'expérience vécue chez « les anciens colonisateurs ».
Le lecteur que je suis, découvre la jeune fille qu'elle fut, la jeune femme qu'elle voulait être, qui s'est sentie parfois étrangère et différente dans ce pays qui est le nôtre.
Le récit comporte aussi quelques révélations étonnantes et poignantes parfois sur son auteure.
Lorsque Kaoutar raconte ses frustrations vécues, elle me renvoie avec force, aux écrits que maman m'a laissés, il y a de vingt cinq ans plus tôt.
Maman est fille d'immigrés italiens. Dans son école et surtout dans le lycée qui la préparait à devenir enseignante, elle s'est retrouvée avec des filles et fils « à papa », bien français. Elle a subi les mêmes humiliations que l'auteure. Nous étions à une autre époque, en 1950.
Mêmes insultes et les mêmes abaissements.
La société française a changé dans son mode de vie et dans ses aspirations, mais la méchanceté, l'ignorance et l'intolérance restent elles, intemporelles.
Il y a un passage dans ce livre, qui m'a particulièrement ému. C'est celui où l'auteure, âgée de six/sep ans, prend le bus pour aller à l'école primaire (une école catholique), où ses parents l'ont « placée ». Elle y découvre un autre univers, peuplé que de belles jeunes filles blondes aux yeux bleus. L'auteure est même fascinée par leur grâce, leur beauté blonde naturelle et la transparence de leurs yeux.
Kaoutar écrit qu'elle ne s'est jamais sentie aussi moche et gauche à l'époque.
Les moqueries et les petites méchancetés de ces petites filles ramèneront très brutalement l'auteure à ses propres origines de fille de maghrébins. Une jeune fille qui restera longtemps enfermée dans « la case » beaucoup trop brune et beaucoup trop arabe.
Des instants où elle s'est sentie seule et vulnérable. Une violence qui lui laissera des morsures et dont l'auteure en comprendra toute la profondeur avec le recul.
Mais le livre est avant tout pour moi, cette immense et bouleversante « Ode à l'amour » que
Kaoutar Harchi, la fille unique a écrit pour Hania et Mohamed, ses parents.
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Merci chère Kaoutar, de m'avoir permis de vous rencontrer une seconde fois, à « Livres dans la boucle » ce dimanche, à Besançon.