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Critique de GaletteSaucisse


Avant de commencer la rédaction de cette critique qui sera sûrement une des plus longues que j'aurai pu publier, j'aimerais remercier avec chaleur le seul manchot empereur anarchiste que je connaisse, qui a su, par le biais d'une habile citation, me donner envie de lire ce livre. Livre qui aura été une de mes plus belles lectures.

Ainsi donc, merci, ami manchot. Merci beaucoup.

Bien. A présent, commençons.

Mercredi, 11 heures. Accompagnée d'un ami, je vais chez un nouveau libraire. (L'ancien m'ayant dit, lorsque je lui demandai où pouvais-je trouver Alphonse Allais, que je devais fouiller dans la littérature anglo-saxonne. Je me suis donc immédiatement enfuie de chez ce trilobite analphabète, devenant ainsi orpheline de libraire.)

Me voici donc dans la nouvelle librairie. Grand bâtiment de plusieurs étages. Construit dans ce qui semble être d'anciens bains publics (bains publics, bains publics...). du neuf dans de l'ancien, j'avoue que ça me plaît.
le problème, c'est que les livres sont disposés dans un ordre tel que tu ne peux le comprendre que lorsqu'on te l'a expliqué. Je hèle donc le libraire, un vieux monsieur qui me fait penser à un hibou. Un hibou avec un masque orné de petits chats.
- Bonjour Monsieur, lui dis-je, je cherche un livre de André Hardellet.
- Humm... Les Chasseurs, je présume ? le lycée d'à côté m'en a commandé une vingtaine.
- Ah non. Un truc comme « Lentes et lourdes », je crois. J'ai oublié le titre exact.
- Je vois. Je vous l'apporte.

A côté de moi, mon copain Caillou – il s'appelle Pierre, mais moi j'aime l'humour – ne manque pas de souligner le regard goguenard du vieillard.
- C'est pas le bouquin dont tu m'as parlé, avec du cul dedans ?
- Bah, je t'ai bien parlé des Russkoffs de Cavanna. Il y a bien un peu de cul sans pour autant que ça en fasse un roman porno. Arrête de voir le mal partout.

En sortant du libraire, Caillou prend le livre.
- Bon, alors, voyons de quoi ça parle... Humm... « Sécrétions », « organes mous », « des mots SALES »... Eh bien, la galette se dévergonde, à ce que je vois !

Je me suis seulement permise de mettre en doute son esprit intellectuel, puis nous sommes rentrés chacun chez nous.

Vendredi soir, 22 heures. Il ne fait pas encore nuit. Après avoir commencé un album de Tintin pour patienter devant la mise à jour de mon ordinateur (3 heures, oui, il est lent), je décide de l'abandonner sans aucun regret et me pieuter.
Et puis, en fouillant dans mon sac dans l'espoir de trouver un stylo, je vois le livre de l'ami André.

Pas épais, le bouquin. Environ cent trente pages, guère plus. le tout découpé en soixante-sept chapitres très courts. Ce qui le rend très agréable à lire, plus pratique pour la fluidité de la lecture.
Je me dis que bon, il va se faire tard, je dois me lever tôt demain, et commencer un livre à cette heure n'est pas une bonne idée.
Bof... Allez, seulement un chapitre ? Puis un deuxième ? Puis un troisième ?

Voilà comment on vient à se coucher à trois heures du matin.

Samedi matin, 9 heures. Armée de mon calepin noir dans lequel j'ai noté des trucs qui me sont passés à l'esprit pendant ma lecture, ainsi que du bouquin en question, je m'attelle à la rédaction de cette critique.
Ma mère est à côté, en train de faire un brin de couture. Elle voit le livre.
- Tiens, le nom de l'auteur me dit quelque chose…
- Possible. C'est un copain de Brassens et de Fallet. Et accessoirement celui qui a écrit Bal chez Temporel.
- Ah oui, le truc que tu essaies de reprendre à la guitare ?
- Ouais, mais ça rend pas bien de toute façon.
- Bon, et c'est quoi l'histoire de ce bouquin ?

Elle abandonne son aiguille et feuillette l'ouvrage. Ses yeux roulent et ses sourcils bondissent.
- « Je veux être plantée jusqu'au fond ». « Montre-moi comment tu passes tes nuits solitaires ». Je n'aime pas tellement que tu lises ce genre de trucs...
- Trop tard, il est déjà lu. Tu remarqueras que je n'ai pas l'esprit plus tordu qu'hier. Et puis, merde ! je ne vais quand même pas lire la Comtesse de Ségur indéfiniment.

Maman est circonspecte.
- N'exagérons rien. Regarde, je n'ai rien contre que tu lises des livres de Cavanna alors qu'il décrit sa première fois dans un bordel. Mais enfin, ici (elle le rejette sur la table comme s'il avait pu lui donner la lèpre), c'est un roman porno, que tu lis. Je n'aime pas ça. Ce n'est pas ça, le vrai amour. Tu le sais.

Ah. Porno, le André ?

Demandons à Robert. Robert, peux-tu me donner la définition de pornographie, s'il-te-plaît ?
- Oui, bien sûr, chère Galette. Pornographie, n.f. : représentation (par écrits, dessins, peintures, photos) de choses obscènes destinées à être communiquées au public.

D'accord, Robert. Bien, pour que ma maman et éventuellement les gens qui auront le courage de lire toute ma critique comprennent bien cette définition, peux-tu me donner celle du mot « obscène » ?
- Evidemment, gentille Galette. Obscène, adj. : Qui blesse délibérément la pudeur en suscitant des représentations d'ordre sexuel.

Merci pour cet éclairage, Robert. Nous allons pouvoir débattre plus posément.
- Mais, je t'en prie, chère Galette. C'est un honneur pour moi que de servir une si noble personne.

(Oui, bah, si même mon dictionnaire ne peut plus me jeter des fleurs, qui le fera, hein ?)

Bien. Alors, parlons de ceci : « pornographie ».

Car toi, lecteur amateur de critiques pertinentes et pas trop longues, tu te poses la question de pourquoi tout ce cheminement ? Pourquoi ces dialogues inintéressants ? Pour conclure que la maman de GaletteSaucisse est prude ?

Non. C'est beaucoup plus profond que ça. Tu l'as bien compris. Car tu es intelligent. Très intelligent.

Il y a à peine plus de cinquante ans était publié Lourdes, lentes... de André Hardellet. Un scandale d'obscénité. Il est condamné pour outrage aux bonnes moeurs.

Et pourquoi ?

Parce qu'une armée de vieux barbons (pas nombreux, mais assez pour foutre la merde) a décidé que ce livre les heurtait dans leurs principes moraux. Tandis qu'à la même époque (en '72, oui j'ai fait des recherches, ma mère va bondir quand elle verra l'historique), le film très sobrement intitulé « Deep Throat » (si tu n'es pas bilingue, sache que je n'ai absolument pas envie de traduire ce titre), ce film donc, sortait sans que cela ne gêne personne. Et les vieux barbons de condamner un auteur qui ne fait que décrire la vie, ce que l'on fait dans la vie, une fois les rideaux fermés et la porte de la chambre close (avec la même virtuosité qu'André ? Humm... je ne me permettrai pas de mettre ceci en doute, tu me connais…) Ces mêmes vieux barbons qui trompent leur épouse avec une autre. Quand ce n'est pas plusieurs autres.

En somme, l'hypocrisie dans son état pur.

Et pourquoi ? Qu'est-ce qui choque ? Qu'on emploie des vrais mots ? Sont-ce les termes « sperme », « orgasme », « rut » qui vous heurtent tant ? Est-ce le fait que l'auteur y utilise le mot « con » autrement que pour désigner mes connards de voisins qui écoutent Vianney à huit heures un samedi matin ?

Vous, les premiers à crier à la décadence du peuple français lorsqu'un rappeur expose ses voeux de « niquer la police », alors que vous écoutez Brassens, celui qui chante que les gendarmes, il les préfère « sous la forme de macchabées » ?

Vous ne prenez que ce qui vous arrange.

Cela serait presque drôle si vous vous contentiez de rester entre vous, entre prudes. Mais non. Vous osez condamner ces gens qui ne font qu'appeler les choses par leur nom.

C'est ainsi que l'on arrive à aseptiser une langue.

Cessez de condamner la prétendue « pornographie » de ce livre. Car il ne l'est pas. Il n'est pas obscène. Sensuel ? Tout à fait. Erotique ? Oui, j'ose le dire.

- Alors, s'il est érotique, c'est qu'il ne se lit que d'une seule main ?

Ce n'est pas à moi de trancher. Libre aux gens de s'exciter avec ce qu'ils veulent.

- Mais alors, faut-il lire Lourdes, lentes... de André Hardellet ? »

Oui. Si je ne devais te donner qu'un seul conseil, ce serait celui de courir le lire. Car, crois-moi, il en vaut largement la peine.
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