Existe-il pour vous un livre ou un ouvrage qui ait changé votre vie ? Votre façon de penser ?
S'il y en a un pour moi qui m'a ébranlée au point de tout remettre en question, c'est bien "Rescapé du
Camp 14". En 2012, j'ai rencontré un jeune homme de la Corée du Sud, ce qui m'a fait me rendre compte que je ne connaissais absolument rien de l'autre côté, celui du Nord. À cette époque, j'ai emprunté plusieurs faits vécus sur le sujet et bien que tous soient extrêmement touchants et sensibles, celui-là m'a encore plus secouée.
C'est l'histoire de Shin Dong-hyuk. Un homme qui est né dans un camp de travail et qui n'en est jamais sorti jusqu'à son évasion, en 2005, à l'âge de 23 ans. Shin n'a jamais connu autre chose que ce camp et ses barbelés. Ses parents ne se sont pas unis dans des conditions d'amour mais parce qu'eux aussi étaient emprisonnés dans ce camp et c'est la direction du fichu camp qui décide une fois par année qui couche avec qui. Shin ne sait pas ce qu'est la Corée, il ne sait pas qu'elle est divisée en deux et il ne sait même pas qu'il existe un monde en dehors de la clôture. Pour lui, le
Camp 14 est le seul monde qui soit. Même la question du "leader" est floue et peu présente dans sa vie tellement ils vivent en dehors de tout.
Exécutions, maltraitances, tortures, manipulations, mensonges, famine, esclavage, rien ne lui a été épargné, de même qu'aux autres prisonniers du camp. C'est jeune enfant qu'il a assisté à sa première exécution, en représailles à quelque acte commis par quelqu'un pour quelconque raison absurde. Ses souvenirs, personne ne voudrait les avoir. C'est l'horreur qui se passe en ces murs. Des ouvriers sont envoyés aux mines et ne ressortent jamais voir la lueur du jour car emprisonnés à l'intérieur. Et pourtant, personne ne connaît l'existence de ces camps, de ses dizaines de milliers de travailleurs assignés à des travaux forcés 18-20 heures par jour pour une cuillerée de soupe ou de maïs chaque jour seulement pour nourriture. Ça ne fait jamais les manchettes. Ça ne se passe pas en 1930. Ça se passe maintenant. Aujourd'hui même. Et on le sait parce que quelqu'un a réussi à en sortir...C'est par miracle que Shin a pu s'en sortir vivant et cela lui a pris deux ans par la suite à rejoindre la Corée du Sud.
Des récits d'histoire, il y en a beaucoup. Souvent, c'était le passé. Cela ne rend pas les choses moins graves mais peut-être ressent-on plus l'espace temps entre nous, donc une certaine distance entre passé et présent. Comme si ce qui était arrivé autrefois était impensable et non-applicable aujourd'hui.
Ce qui m'a ébranlée dans "Rescapé du
Camp 14", c'est qu'en prenant conscience de tout ce que cet être humain avait pu subir (ainsi que tellement d'autres), ça se produisait PENDANT que moi j'étais encore aux études. Pendant que dans mon petit monde tout ce qui importait était d'aller à mes cours, travailler, faire mes devoirs et avoir des loisirs, ce jeune d'environ mon âge rampait entre des barbelés électrifiés pour sauver sa peau ! Ça remet beaucoup de choses en perspective ! Comment peut-on rester vautrés dans nos divans et nos salons alors que tellement de gens souffrent ? Cette histoire, elle m'a empêchée de dormir, elle m'a tourné dans la tête pendant des mois, à essayer de comprendre comment et pourquoi nos pays ne tentaient pas d'aider tous ces gens qui vivent l'enfer depuis tellement longtemps. Comment pourrions-nous faire pour qu'ils soient tout simplement "libres" en Corée du Nord ? Quelqu'un peut-il arrêter ce fou au pouvoir ? Des fous qui se succèdent depuis les années 50.
Ce livre a changé ma vie. Il m'a fait changer mes habitudes de vie. Plus jamais je n'ai considéré l'alimentation de la même manière. Honte à moi, je gaspillais beaucoup trop de nourriture à l'époque, j'achetais trop, plus que ce que j'avais besoin. du jour au lendemain, cela a changé. Je n'ai plus jamais consommé de la même façon et aujourd'hui j'achète uniquement selon les besoins, rien en surplus pour ne pas avoir à jeter. J'y pense toujours à deux fois.
Shin a déjà mentionné qu'un des plus beaux jours de sa vie avait été de pouvoir voter pour la première fois. Son premier vote après son arrivée en Corée du Sud. Imaginons un peu...Nous on fait cela mécaniquement, machinalement presque...même que cela nous irrite, parfois ! Élections fédérales, provinciales, municipales...on a l'impression de voter une fois par année ! Mais tout ce que voter peut représenter pour quelqu'un comme lui, qui n'a jamais eu même la chance de dire ce qu'il pense sous peine d'être pendu ! Incroyable. La liberté, c'est la plus grande richesse en ce monde. Et c'est vraiment quelque chose qu'il ne faut jamais, jamais perdre...Cela m'a fait apprécier la chance que nous avions. de façon générale, je suis moins négative et chaque fois que j'ai l'impression d'avoir une mauvaise journée ou d'avoir envie de me plaindre, je pense à lui et je me dis que ma journée ne peut pas être pire que la sienne. Cela me fait prendre conscience de la chance que nous avons, encore.
Cette année-là, j'avais offert ce livre à toutes mes connaissances pour Noël, même ceux qui n'aiment pas lire, car je trouve cela tellement important de partager. Trop de faits vécus restent dans l'ombre et pour que les communautés réagissent, peut-il faut-il commencer par les faire entendre ? Prendre conscience de ce qui se passe plus loin et partager l'information, peut-être un jour cela fera-t-il avancer les choses...
"C'est l'histoire d'un homme brisé par un pays où l'absurde le dispute à l'horreur, mais aujourd'hui bien décidé à éveiller le monde à une réalité d'autant plus révoltante qu'elle demeure délibérément ignorée."
Si vous avez envie de découvrir l'histoire de Shin, plongez ! Je vous avertis, ce ne sera pas plaisant. C'est révoltant. Ça vous fera pleurer. Mais son histoire est le copié-collé de toutes les autres qui sont toujours, à ce jour, emprisonnées dans ces camps.