Mon père dit que les chevaux nous renvoient l’énergie qu’on dégage. Si tu as peur, le cheval ne s’approchera pas. Si tu doutes de toi, le cheval en profitera. Si tu n’as pas confiance en toi, le cheval se méfiera. Les chevaux sont des détecteurs de vérité. Ce n’est pas de la sorcellerie. Ce n’est pas du vaudou. Pourquoi crois-tu qu’on laisse la bride sur le cou à un cheval quand on est perdu ? Parce qu’il te ramènera toujours chez toi.
Une histoire d’avant et d’après. Une histoire de nouveaux départs et d’à jamais. Une histoire peine de défauts et de fêlures, une histoire de malade, une histoire de fou, et, surtout, une histoire d’amour.
Notre histoire.
- Qu’est-ce que tu viens faire ici, Moïse ? ai-je alors murmuré. Pourquoi es-tu revenu ?
Il a tourné la tête vers moi pour chercher mon regard. Dans le sien, la colère avait disparu. Le dégoût aussi, même si je n’étais pas persuadée qu’il n’ait pas été juste provisoirement emporté par les larmes. J’ai soutenu son regard et il a dû voir la même chose dans mes yeux. Plus de colère. Du désespoir, de la résignation, du chagrin. Mais pas de colère.
- C’est lui qui m’a ramené, Georgie.
- Poe a dit : « Il n’y a pas de beauté exquise sans une certaine étrangeté dans les proportions. »
- Tu peux m’ramener ? S’il te plait, Moïse.
On aurait dit la voix d’une gamine de cinq ans. J’ai grimacé en entendant mon ton geignard.
- Quelqu’un doit payer.
- Quoi ?
- Quelqu’un doit payer pour ça, Georgie.
Mais, là, ça n’a rien à voir.
Parce que c’est mon histoire. Et que je ne m’y attendais pas.
Je pleure tous les jours. Tu sais ça ? Chaque putain de jour. Moi qui ne pleurais jamais. Maintenant, il ne se passe pas un seul jour sans que je me retrouve en larmes. Il m'arrive même de me planquer dans un placard. Un jour, je vais me rendre compte que je ne pleure plus et, au fond de moi, je ne peux pas m'empêcher de penser que ce sera le pire jour de ma vie. Parce que alors il aura vraiment disparu.
- Georgie.
Couché dans le noir, j’écoutais Georgie respirer. J’espérais que Mauna et Martin Shepard n’étaient pas eux aussi allongés dans leur lit, là en face, incapables de trouver le sommeil parce qu’ils s’inquiétaient pour leur fille. Leur fille qui avait déjà aimé et l’avait payé cher. « Soit tu mets du bonheur dans ma vie, soit tu déguerpis », m’avait dit Mauna. Et je n’avais aucune envie de déguerpir.
Le pire, c’était que je ne pouvais rien montrer. Je devais cacher tout ce que je ressentais. Je n’ai jamais été très douée pour ça. On avait un dicton dans la famille : « Quand Georgie ne va pas, rien ne va. »
Ses lèvres étaient mouillées et froides et j’imagine que les miennes l’étaient aussi. Mais la chaleur à l’intérieur de sa bouche m’a enveloppé comme une étreinte et je me suis abîmé dans cette douceur suave avec un soupir qui m’aurait collé la honte si elle n’y avait pas répondu avec le même abandon.