![]() |
La Bombe offre une autre visage de l'immigration aux Etats-Unis, celui du mouvement pour les droits sociaux acquis de haute lutte par des travailleurs étrangers fraichement débarqués sur le sol américain. Rudolph Schnaubelt, Allemand éduqué et de bonne famille arrive à New-York plein d'espoir. Mais il déchante rapidement. Dans la dèche comme Orwell, il a faim, hérite des tâches les plus difficiles comme travailler aux fondations du pont de Brooklyn au risque de mourir du mal des caissons. Quittant New-York pour Chicago, Rudolph observe avec effroi les conditions de vie et de travail des ouvriers d'origine étrangère, nécroses du visage dans les fabriques d'allumettes à cause du phosphore, saturnisme pour ceux qui triment dans les usines de blanc de céruse… Il écrit des articles pour informer la population, note que les Américains « de souche » se rangent du côté du patronat et stigmatisent les manifestants, pour la plupart venus d'ailleurs, s'éveille à l'amour et aussi à l'anarchisme. Il faut dire que son arrivée coïncide avec de forts mouvements sociaux. Sa rencontre avec le charismatique anarchiste allemand Louis Lingg (1864 -1887) s'avère déterminante. Las de voir les ouvriers se faire massacrer, tabasser, arrêter, les deux hommes décident de passer à l'action violente. « Je m'appelle Rudolph Schnaubelt. C'est moi qui ai lancé la bombe qui tua huit policiers et en blessa soixante à Chicago, en 1886. » Car lors du rassemblement du 1er mai 1886 à l'usine McCormick où 340 000 travailleurs étaient présents, la police avait chargé, fait un mort et des blessés. Lors du rassemblement pacifique de protestation qui eut lieu trois jours plus tard, alors que la foule se dispersait, une centaine de policiers chargèrent dans Haymarket Square. On lança une bombe sur eux. Sept personnes furent arrêtées, dont Louis Lingg. Avec La Bombe, Franck Harris donne au roman social ses lettres de noblesse, fait un constat glaçant de l'état du monde ouvrier américain et des méthodes policières à la botte du pouvoir et des privilégiés, mêle fiction et vérité historique. Qui jeta réellement la bombe? Ce qui importe c'est de dire à quel point les acquis sociaux eurent un prix, et quel prix. Et ça, l'auteur Irlandais Franck Harris le fait de très belle manière. La Bombe rejoint Nous ne sommes rien, soyons tout! de Valerio Evangelisti dans mon panthéon personnel des grands romans consacrés au syndicalisme américain et aux luttes sociales. Mais laissons le dernier mot à George Bernard Shaw , ami de Harris, qui déclara lors du Black Friday quand furent exécutés quatre des huit militants socialistes et anarchistes arrêtés après l'explosion de la bombe (cités par Howard Zinn dans son Histoire populaire des États-Unis) : « Si le monde doit absolument pendre huit de ses habitants, il serait bon qu'il s'agisse des huit juges de la Cour suprême de l'Illinois. » + Lire la suite |